Dieu et les candidats républicains: revue de détail (05/02/2008)

851bcd3e4eb431d55c512fb565c67247.jpegA l’heure du Super Tuesday, étape majeure dans la course à l’investiture en vue des élections présidentielles américaines, comment se positionnent les candidats républicains par rapport à la religion?

Je vous avais promis le mois dernier une note sur Huckabee: vous en aurez trois pour le prix d’un, avec successivement Romney, Huckabee et McCain.

7e64f488e81f5aa0eafa72bfd5f83337.jpegMitt Romney: ou trop ou pas assez

On l’a dit et redit, le candidat-milliardaire Mitt Romney est mormon.

C’est-à-dire quelqu’un d’assez religieux pour choisir et assumer une dénomination minoritaire, militante et prosélyte, adepte des valeurs familiales traditionnelles, à l’écart du protestantisme et du catholicisme. Cette étiquette religieuse le positionne a priori comme conservateur, donc attractif pour l’électorat républicain.

Ce n’est pourtant pas ce qui s’est produit dans les Primaires. La raison est simple: Romney, c’est «ou trop, ou pas assez», et ses électeurs s’y perdent.
Pour beaucoup, Romney apparaît comme «trop religieux». Revendiquer fièrement le mormonisme comme religion ne plaît pas à tout le monde, notamment aux nombreux électeurs évangéliques qui considèrent toujours le mormonisme comme un «cult»(une déviation du christianisme). Etre mormon, c’est décidément trop pour eux. Evangélique, passe encore, mais mormon, c’est pousser le bouchon trop loin.


Pour d’autres, il apparaît comme «pas assez» religieux, car par souci de plaire au grand nombre, le talentueux Romney a eu tendance, tout au long de la campagne, à changer de discours comme de chemise sur les grandes questions qui préoccupent l’électorat religieux.

Résultat: Romney ne séduit, ni les électeurs très religieux, ni les électeurs peu religieux. Pour les uns il est «pas assez», pour les autres il est «trop», et ses puissants réseaux et ses milliards n’y changeront rien.


a10ab5219089725dd9445174acf98aa2.jpegMike Huckabee: un Carter républicain qui s’est trompé d’époque

Mike Huckabee ? Que n’a-t-on écrit sur ce petit gars du Sud, échappé d’un roman de Mark Twain! Populaire et populiste, ce pasteur baptiste, ex-gouverneur républicain de l’Arkansas, fait figure de Carter républicain.
Comme Jimmy Carter en son temps, il n’a rien d’un homme de l’establishment.

Comme Carter, c’est un homme du Sud, imprégné de bon sens terrien.

Comme Carter aussi, la religion est pour lui essentielle à son identité. Pasteur baptiste, profondément ancré dans cette culture protestante évangélique populaire qui fait florès dans le Midwest et le Sud, ce born-again a ce charisme compassionnel qui avait fait la force de Carter.

Connu, comme gouverneur, pour sa clémence à l'égard des condamnés (à l’inverse du gouverneur Bush Jr.) au point d’attirer les critiques des ultra-conservateurs qui le trouvent trop tendre, Huckabee n’en partage pas moins l’agenda éthique de la Droite chrétienne: hostilité à l’avortement et au mariage gay en particulier, sympathie affichée pour le créationnisme.

Les évangéliques applaudissent et votent en masse! Et une partie des catholiques conservateurs aussi.

Mais son côté naïf, désargenté, trop idéaliste, l’a «grillé» auprès des partisans d’une Realpolitik conservatrice, Pat Robertson y compris, qui avait préféré soutenir… le catholique Rudy Giuliani.

Huckabee joue par ailleurs sur un registre désuet: la ritournelle du terrien du Sud au bon sens conservateur, en croisade contre Washington, c’était la rangaine de campagne du candidat Bush Jr. en l’an 2000. Réentendre cela huit ans après (même avec des accents plus sincèrement ‘compassionnels’ que chez Bush Jr, Mr Peine de Mort) donne un air de déjà-vu lassant. Huckabee, un Carter républicain qui s’est trompé d’époque.


81ecf28ceaac70ba9137f2e3ab3fb886.jpegJohn McCain: tiède mais sincère

Quant à John McCain, parti pour remporter l’investiture républicaine, c’était le moins bien parti du point de vue des ambitions républicaines d’OPA sur l’électorat chrétien.

Réputé croyant tiède, sans cette fibre évangélique qui parle aux électeurs de la Droite chrétienne, il passait pour battu à plate couture par les candidats plus religieux.
Lors de sa candidature 2000 à l’investiture républicaine, il s’était illustré en qualifiant de «mauvais» les leaders ultraconservateurs Jerry Falwell et Pat Robertson, s’attirant l’inimitié durable de la Droite chrétienne.

L’homme a depuis regagné du galon, même s’il ne sera jamais le «candidat du cœur» des conservateurs chrétiens. Religieusement tiède, McCain le reste, au sens d'un homme peu porté sur la question: il n’est pas un «accro» de la pratique chrétienne, même s’il affiche de temps à autre ses convictions religieuses.
En revanche, il passe pour sincère, sans hypocrisie, ce à quoi l’électorat chrétien américain a toujours été particulièrement sensible (cf. l’affaire Lewinski, où l’on reprocha moins à Clinton son ‘affaire’ extraconjugale que son mensonge).

Il a par ailleurs effectué un changement de rattachement bienvenu d’un point de vue électoral: il n’est plus épiscopalien (dénomination élitiste, vieille école, en déclin), mais baptiste, principale confession religieuse protestante aux Etats-Unis, dominante dans le MidWest et le Sud, terres où McCain avait besoin de renfort.
Du coup, bien que passant toujours pour tiède, McCain le sincère, McCain le baptiste a regagné du terrain dans l’électorat religieux (qui constituait son gros point faible). Le sésame pour l’investiture?

 

0fe88ecc4c75c5f716c45be7df6daa0b.jpegUn facteur religieux moins déterminant côté républicain 

Au bout du compte, la revue des trois candidats républicains du Super Tuesday souligne ceci: tout laisse à penser que le facteur religieux, quoiqu’incontournable, jouera un rôle moins affirmé qu’en 2004, comme l’illustre l’investiture probable du moins religieux des trois, le baptiste McCain.
Trois raisons à cela.

D’une part, la conjoncture générale, aux Etats-Unis, est moins portée à l’enthousiasme religieux et nationaliste. Le 11 septembre, et la Sainte Alliance entre réalistes et idéalistes qui a suivi, se sont éloignés, et l’enlisement catastrophique en Irak déçoit ceux qui croyaient au miracle.

D’autre part, Bush Jr a beaucoup déçu les conservateurs chrétiens. L’histoire se répète: la même désillusion qui les avait frappés à la fin des années Reagan les atteint aujourd’hui. Ils se rendent compte que Bush Jr les a utilisés, bien plus qu’il a été utilisé par eux.

887bed9d290bcb9eaf6566a5b1be1baa.jpgEnfin, il faut noter l’émergence, particulièrement au sein des "Millenials" (qui avaient 18 ans en 2000), d’une nouvelle génération d’évangéliques aux Etats-Unis. Elle est pointée notamment par le New York Times, mais aussi par Michael Lindsay, dans une remarquable étude consacrée aux nouveaux évangéliques cosmopolites, mieux formés, moins manichéens, qui fréquentent aujourd'hui les allées du Pouvoir (Oxford University Press, 2007).

Ces évangéliques restent majoritairement conservateurs, mais ils se recentrent, tel la superstar Rick Warren, pasteur de la megachurch de Saddleback, qui a invité successivement Barak Obama puis Hillary Clinton à son sommet mondial contre le SIDA (2006 et 2007).

Les hardliners de la Nouvelle Droite chrétienne n’ont pas déposé les armes, mais leur influence sur l’électorat chrétien s'est érodée.

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