Une autre manière d’être chrétien en France (20/03/2006)

medium_Autremaniere.jpgSociohistoire de l’implantation baptiste en France (1810-1950)

Sébastien Fath (Genève, ed. Labor et Fides,  2001, 1232p)

Ce gros livre de 1232 pages ne vous permettra pas seulement d’assommer un éventuel cambrioleur ! Il enrichira aussi votre compréhension de l’histoire religieuse française au travers de l’exemple baptiste. Il traite en effet de l’implantation d’une nouvelle minorité protestante en France, le baptisme. Caractérisé par une théologie généralement calviniste, un accent sur l’autonomie locale (principe congrégationaliste) et la pratique du baptême par immersion du converti, le baptisme constitue une des grandes branches du christianisme mondial, et un solide segment du protestantisme français actuel. Son histoire attendait d’être faite, dont acte !

Cet ouvrage reprend 80% d’une thèse de doctorat soutenue à l’EPHE (Sorbonne) en 1998. Il comporte une bibliographie étoffée, un index (indispensable), des illustrations regroupées dans un cahier central, et une préface de Jean-Paul Willaime. La taille de ce volume (qui fait un peu souffrir la reliure) implique qu’il s’agit moins d’une synthèse à lire in-extenso, que d’un instrument de travail, à utiliser  sans modération pour des études ciblées, qu’elles soient régionales ou thématiques.

Cette étude s’appuie sur le présupposé suivant : les Églises ne peuvent être étudiées comme des essences. Elles se définissent, se situent, s’affirment en relation constante avec la société globale. Cela veut dire qu’en faisant l’histoire du baptisme en France, on fait aussi celle de la société française, au travers de la manière dont elle réagit à une nouvelle implantation religieuse.

Sources et fil directeur

Des sources abondantes et diversifiées ont été consultées pour conduire cette enquête. Elles proviennent avant tout de France (Archives Nationales, archives de la Fédération, de l’Association Baptistes, du Tabernacle, archives privées), mais aussi d’Angleterre (archives de l’Angus Library, Oxford) et des Etats-Unis (archives de Valley Forge, Pennsylvanie). Elles sont tantôt manuscrites (correspondance, journaux intimes), tantôt imprimées (presse baptiste, rapports missionnaires etc.). Elles ont été traitées au travers d’une démarche analytique qui combine histoire et sociologie. La problématique générale est celle de l’implantation. On entend par ce terme le long processus d’interaction culturelle au travers duquel une identité religieuse nouvelle parvient à s’ancrer en France, sur une période d’environ un siècle et demi. Ce fil directeur a justifié une approche en trois mouvements.

Une implantation amorcée dans les années 1810

La première partie (S’ETABLIR) est à caractère historique. Elle brosse à grands traits une croissance baptiste chaotique amorcée au lendemain du Premier Empire napoéonien, dans un contexte français parfois bien difficile. Elle se déploie à partir de quatre pôles distincts, sans relation intiale entre-eux : le Nord, évangélisé par le missionnaire suisse Henri Pyt, Paris, touché par Jean-Casimir Rostan puis des missionnaires américains, la Bretagne atteinte par les baptistes gallois, et l’Alsace, sous l’influence de Frölich et d’Oncken. Cette nouvelle implantation protestante franchit quatre étapes (le baptisme originel, le baptisme pionnier, le baptisme institutionnalisé et le baptisme implanté) pour aboutir, vers 1950, à la présence d’une quarantaine d’Églises locales, inégalement réparties sur le territoire. Les effectifs avoisinent alors une dizaine de milliers de protestants baptistes (soit une micro-minorité religieuse), dont un peu plus de 3000 membres baptisés par immersion sur profession de foi, pratique à la base de la spécificité baptiste.

Un modèle « associatif idéologique »

La seconde partie, beaucoup plus sociologique (SE STRUCTURER), analyse ensuite en détail l’originalité des structures mises en place par cette nouvelle dénomination protestante Le congrégationalisme, système d’organisation qui donne la priorité absolue à l’assemblée locale, constitue le premier trait structurel fort partagé par l’ensemble des baptistes français. Il ne rentre, ni dans les catégories habituelles de l’Église (comprise comme une institution supra-locale plus ou moins centralisée, en dialogue critique avec la société englobante), ni de la secte (comprise comme une unité d’individus militants en forte opposition avec le “monde”, et qui se considère comme la seule voie de salut). En revanche, le modèle de “l’Église libre” tel qu’il a été théorisé par Ernst Troeltsch, paraît bien lui convenir. Au prix de certaines nuances, il s’approche aussi du concept de “dénomination”. En s’appuyant sur une grille élaborée par Jean-Paul Willaime, on peut aussi l’analyser en tant que modèle « associatif idéologique ». Ce modèle pose des problèmes spécifiques de  pouvoir. Il a aussi un prix: l’autonomie de l’assemblée locale se paye cher. Il se colore enfin d’un habitus militant spécifique.


Identité citadelle, sentinelle, passerelle

Les échanges entre les baptistes et le reste de la société française ne se limitent pas aux contacts engendrés par l’évangélisation. Au travers du militantisme intramondain, ils révèlent trois dimensions, évoquées dans la troisième partie (SE SITUER), Ces trois dimensions sont celles de la « citadelle », de la « sentinelle » et de la « passerelle ». Elles ont suscité un accueil contrasté de la part de la société française. On observe une large bienveillance républicaine, ô combien plus libérale que l’approche répressive des régimes autoritaires (monarchie et Empire). Si l’on se focalise sur les réserves manifestées devant l’implantation baptiste, on remarque que certaines constantes se détachent d’un bout à l’autre de la période. Elles révèlent un impensé national réticent à la nouveauté. Trois paradigmes ressortent dans les réactions affichées à l’implantation baptiste. On les retrouve à l’œuvre aussi face au judaïsme, et sans doute également, aujourd’hui, face à l’islam. Ils opposent aux aux baptistes l’ombrageux universalisme “à la française” (paradigme du prophète), le poids d’un patrimoine séculaire (paradigme de l’enracinement) et la peur d’une pollution culturelle et religieuse étrangère (paradigme de l’assiégé).

Une autre manière d’être chrétien

Mais par-delà ces constantes, la progression de la sécularisation et d’une culture pluraliste qui valorise le choix individuel (au coeur de l’ecclésiologie baptiste) ont donné à l’implantation du baptisme, au milieu du XXe siècle, un certain caractère d’évidence. Être baptiste, alors, n’est plus vécu (ou stigmatisé) comme une forme d’immigration intérieure, mais simplement comme une autre manière d’être chrétien en France.

Recension de Patrick Cabanel
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