Rock-star, ministre… et évangélique? (29/04/2008)

ima.jpgLu dans Le Monde hier (28 avril 2008), cette belle enquête sur Peter Garrett, figure mythique du rock engagé australien, devenu ministre de l’environnement à l’automne 2007.
Mais ce n’est pas tout! Ce que Le Monde ignorait, mais que je vous révèle, c’est que le dit Garrett est aussi…. un protestant évangélique.

Durant vingt-quatre ans, Peter Garrett a fait connaître son immense silhouette de prophète au crâne rasé au travers d’un groupe de Rock’n roll fabuleux (un de mes trois préférés pour tout dire): Midnight Oil.

 

sd.jpgMidnight Oil 

Ce groupe au renom international a marqué la scène par des titres comme Beds are Burning, Put Down That Weapon ou Blue Sky Mining.
Atout maître: la personnalité charismatique et la voix gutturale, inimitable, de Peter Garrett. Classé à gauche, trrrrès à gauche même (avec un fort accent écolo), Garrett fut l’homme de toutes les provocations, de tous les combats: contre la déforestation, pour les droits des aborigènes, contre les essais nucléaires français dans le Pacifique, pour des formes alternatives à la société de consommation…

Et voilà que le prophète Garrett semble avoir mangé ses bandanas, pour endosser le costard d’un ministre. Embourgeoisement?

 

Choix des petits pas

 Peut-être. Sauf que le citoyen Garrett a fait le choix des petits pas concrets de la politique, plutôt que des grandes envolées lyriques qui ne mangent pas de pain. Elu député travailliste en 2004 (à gauche), c’est assez logiquement qu’il a été appelé ministre par un gouvernement appartenant à sa sensibilité.
Je vous invite à lire le portrait que brosse avec finesse Marie-Morgane Le Moël dans l’article du Monde de ce 28 avril 2008, et vous apprendrez bien plus sur les choix difficiles effectués par Garrett, au nom d’un désir d’agir en politique.

 

071214_oils.jpgUn protestant évangélique d'une variété particulière

Mais ce que vous n’apprendrez pas, et qui compte pourtant dans le portrait de cet homme, c’est qu’il s’agit aussi d’un protestant évangélique.
Décrit dans le Guardian comme un «chrétien qui se proclame comme tel», il est présenté comme une référence sur un blog évangélique américain de gauche, proche du mouvement des Sojourners, où Ryan Rodrick Beiler décrit Garrett comme un «chrétien pratiquant» dont les paroles de ses chansons sont «imprégnées de foi».
Wikipedia souligne de son côté qu’il s’agit d’un «chrétien engagé» (terminologie souvent employée pour désigner les évangéliques). Sur un blog du journal australien The Herald Sun, Andrew Bolt (un de ses opposants) le décrit enfin comme «notre ministre de l’environnement évangélique».

Je le confirme: Garrett appartient bien à ce que l’on peut appeler le protestantisme évangélique.

Mais c’est une variété peu commune, qui renvoie à la veine utopiste, prophétique et anticonformiste des paysans anabaptistes révoltés du XVIe siècle, des niveleurs de Cromwell au XVIIe siècle, ou plus récemment à Martin Luther King.
Des protestants évangéliques particulièrement hostiles au conservatisme, allergiques aux abus de pouvoir, volontiers radicaux dans leur critique sociale, qui penchent beaucoup plus du côté du prophète que du pasteur ou du prêtre.
Cette posture prophétique, Garrett n’a pas hésité à l’adopter face au gouvernement conservateur Howard, dont la sévérité à l’égard des migrants a attiré sa critique, cinglante.

 

peter_garrett.jpg Regardez par exemple ce texte, posté par Garrett en 2006.


Il s’agit d’un texte politique, mais où Garrett l’écolo évangélique n’hésite pas à citer le Christ, pour dire que sa lecture de l’appel christique à tendre l’autre joue l’enjoint à refuser l’engrenage de la violence, de la logique «œil pour œil, dent pour dent», en particulier dans le domaine de l’accueil des étrangers sur le sol australien.
Garrett use ainsi d’une argumentation religieuse, chrétienne, pour contrer la rhétorique politico-religieuse conservatrice de John Howard, sorte de George W. Bush australien.

C’est en tant qu’évangélique (entre autres) qu’il dénonce chez Howard ce qu’il considère être un détournement du christianisme à des fins politiques.

howard.jpgIl accuse, en substance, la droite australienne portée par John Howard d'hypocrisie, et d'usage biaisé des références chrétiennes (sur Howard et ses relations avec la religion, voir l'excellent livre de Marion Maddox, ci-contre).

Garrett défend quant à lui une claire séparation des églises et de l’Etat, tout en plaidant aussi, sur cette base, pour le droit des chrétiens à s’exprimer publiquement, notamment pour dénoncer l’inacceptable.

Avouons que ça décoiffe! Et je gage que nombre de fans ou d’ex-fans de Midnight Oil doivent être surpris.
Autant on aurait, sans risque d’erreur, collé l’étiquette évangélique du côté des conservateurs australiens, autant on imagine mal une telle affiliation chez un prophète rock au crâne rasé reconverti chez les travaillistes….
Et pourtant si.

Comme quoi la réalité, en Australie comme aux Etats-Unis, est plus nuancée que les clichés qu’on répète.
Ce qui m’amène à cette conclusion:

NE JAMAIS REDUIRE UN MOUVEMENT RELIGIEUX A UNE ETIQUETTE POLITIQUE


Cela s’appelle du réductionnisme, c’est très français, et c’est une source de beaucoup d’angles morts.

N’oublions jamais que la religion, et notamment le christianisme, recèle une dynamique contestataire dont on trouve des ferments partout…. Y compris dans la parole engagée d’une ex-rock-star écolo qui s'investit pour la cause des Aborigènes.

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