Agence de Nivellement de la Recherche? (ANR) (27/08/2007)

f392ece8638d23b2bd2b13911c4a98d9.jpgJe sais, je sais, «on» va m’en vouloir de critiquer ainsi l’Agence Nationale de la Recherche, nouveau juge de paix en matière de financement des gros projets scientifiques.

Mais si j’ai choisi de faire de la recherche, c’est en large partie pour des raisons de liberté intellectuelle auxquelles je tiens.

Or, l’ANR, qui a recalé au début de cet été le projet Dieu Change à Paris, projet sur lequel j’ai investi deux ans de travail, ne m’inspire pas confiance.

Récapitulons : en activité depuis 2 ans, l’ANR a été créée sur le modèle de la National Science Foundation, agence américaine qui finance les grands projets scientifiques afin de "promouvoir le progrès des sciences; d'améliorer la santé, la prospérité, et le bien-être nationaux; et d'assurer la défense nationale".

 

"pertinence économique pour les entreprises"

 Pourquoi pas? Le côté pragmatique et utilitaire de l’entreprise ne me gêne pas, en soi. Je suis de ceux qui, au départ, ont estimé par pragmatisme qu'il fallait donner sa chance à l'ANR, sachant que de toute manière, cette agence devient quasi incontournable. Quand on fait de la recherche publique, on doit travailler pour le public, la nation, et pas se limiter à une gymnastique neuronale obscure. Dans la présentation de sa mission, l'ANR a le mérite de la franchise: on sélectionne sur "des critères de qualité pour l'aspect scientifique auxquels s'ajoute la pertinence économique pour les entreprises".

OK, OK, même si on aurait pu ajouter : "pertinence pour la société", ou "pour les citoyens". Ce pragmatisme explique aussi le montant, considérable, des aides possibles. Ne crachons pas sur la manne financière qui tombe dans l’escarcelle des équipes retenues: elle est très bienvenue et soutient des projets qui le méritent!

Le risque d’asservir la recherche au court terme des agendas politiques ou économiques du moment est en revanche un peu plus inquiétant, tout comme l’est l’affaiblissement programmé du CNRS, réduit de plus en plus à un loueur de main d’œuvre intellectuelle au service de projets décidés ailleurs, entre Bruxelles et Paris.

 

 Usine à gaz

Mais là où les choses se corsent vraiment, et je l’ai vérifié cette année en première ligne, c’est d’abord que cette ANR française est, pour l'instant du moins, une usine à gaz qui ne respecte pas vraiment les chercheurs, au risque de les démotiver ou de les mettre en boîte (alors qu’un chercheur, c’est quelqu’un qui sort de sa boîte!).

Je m’explique : non seulement les modes de fonctionnement sont peu clairs, mais les chercheurs qui se plient aux règles du jeu et remettent, dans les temps, des projets finalisés (ce qui fut mon cas cette année) ne sont à aucun moment informés personnellement des étapes de l’évaluation.

Et une fois l’évaluation faite, rien! On se débrouille dans son coin pour retrouver la liste des happy few retenus. C’est cela qui me choque le plus. Le fait d’être recalé pour un projet scientifique soutenu par une bonne cinquantaine de chercheurs et qualifié par beaucoup d’excellent n’est pas agréable. Mais c’est de bonne guerre, et «ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort».

Je l’accepte, et j’en fais le deuil. Mais je n’accepte pas, en revanche, un mode de fonctionnement qui jette la courtoisie par la fenêtre, et n’a pas le moindre égard pour des projets lourds qui, quoique recalés, ont été mûris collectivement durant des mois, voire des années.

Ce gros projet scientifique avait été ficelé avec soin, en collaboration avec Isabelle Saint-Martin, Patrick Weil et Sophie Nizard, avec l'assistance précieuse, pour le volet financier (env. 360.000 Euros de budget quand même...) de Nathalie Chérel et Danielle Breseghello, auxquelles je rends hommage. Il était porteur d'une pertinence sociale certaine: proposer une enquête globale sur les mutations religieuses parisiennes aujourd'hui, ce n'est pas rien pour notre pays, et beaucoup d'élus y auraient trouvé intérêt.

Est-ce trop demander d'être informé des raisons de sa mise à l'écart?

 

63ba19e1070d59bdbaf42fa26110279c.jpgAucune explication

Plus infantilisés encore que les candidats au Bac (qui, au moins, reçoivent des notes, qui éclairent leur échec ou leur succès), les candidats ANR recalés pour le financement sont réduits à tenter de se renseigner par la bande, sans notification personnalisée et critériée. Ne rêvons pas: il serait irréaliste de demander une demi page d’explication.

Encore plus utopique d’imaginer que les projets rendus dans les temps pourraient être défendus devant un jury de chair et d’os, dans la franchise d’un vrai échange, et non d’une procédure désincarnée, sans rencontre ni transparence. Irréaliste aussi sans doute de demander une sincérité totale (car la qualité scientifique n’est qu’un critère parmi d’autres : priorités politiques, clientélisme jouent aussi, sans souvent être explicités).

Mais au moins, 5-6 lignes d’explication ! Un mot ! Que l’on traite mieux un détenu qui échoue dans sa demande de remise de peine (il DOIT recevoir une notification) qu’un chercheur recalé de financement par l’ANR laisse songeur. C'est, de facto, traiter les chercheurs comme des rouages précaires, ce qui paraît confirmer ce diagnostic lucide porté par Henri Audier, un des membres du collectif "Sauvons la recherche": "l’ANR est créée pour faire tout autre chose que le CNRS : une recherche très finalisée et pilotée, basée sur les CDD" (H.Audier).

ANR, Agence Nationale de la Recherche?

Ou Agence de Nivellement de la Recherche, qui traite les chercheurs comme des pions au service de priorités qui leur échappent?

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