Je sais, je sais, «on» va m’en vouloir de critiquer ainsi l’Agence Nationale de la Recherche, nouveau juge de paix en matière de financement des gros projets scientifiques.
Mais si j’ai choisi de faire de la recherche, c’est en large partie pour des raisons de liberté intellectuelle auxquelles je tiens.
Or, l’ANR, qui a recalé au début de cet été le projet Dieu Change à Paris, projet sur lequel j’ai investi deux ans de travail, ne m’inspire pas confiance.
Récapitulons : en activité depuis 2 ans, l’ANR a été créée sur le modèle de la National Science Foundation, agence américaine qui finance les grands projets scientifiques afin de "promouvoir le progrès des sciences; d'améliorer la santé, la prospérité, et le bien-être nationaux; et d'assurer la défense nationale".
"pertinence économique pour les entreprises"
Pourquoi pas? Le côté pragmatique et utilitaire de l’entreprise ne me gêne pas, en soi. Je suis de ceux qui, au départ, ont estimé par pragmatisme qu'il fallait donner sa chance à l'ANR, sachant que de toute manière, cette agence devient quasi incontournable. Quand on fait de la recherche publique, on doit travailler pour le public, la nation, et pas se limiter à une gymnastique neuronale obscure. Dans la présentation de sa mission, l'ANR a le mérite de la franchise: on sélectionne sur "des critères de qualité pour l'aspect scientifique auxquels s'ajoute la pertinence économique pour les entreprises".
OK, OK, même si on aurait pu ajouter : "pertinence pour la société", ou "pour les citoyens". Ce pragmatisme explique aussi le montant, considérable, des aides possibles. Ne crachons pas sur la manne financière qui tombe dans l’escarcelle des équipes retenues: elle est très bienvenue et soutient des projets qui le méritent!
Le risque d’asservir la recherche au court terme des agendas politiques ou économiques du moment est en revanche un peu plus inquiétant, tout comme l’est l’affaiblissement programmé du CNRS, réduit de plus en plus à un loueur de main d’œuvre intellectuelle au service de projets décidés ailleurs, entre Bruxelles et Paris.
Usine à gaz
Mais là où les choses se corsent vraiment, et je l’ai vérifié cette année en première ligne, c’est d’abord que cette ANR française est, pour l'instant du moins, une usine à gaz qui ne respecte pas vraiment les chercheurs, au risque de les démotiver ou de les mettre en boîte (alors qu’un chercheur, c’est quelqu’un qui sort de sa boîte!).
Je m’explique : non seulement les modes de fonctionnement sont peu clairs, mais les chercheurs qui se plient aux règles du jeu et remettent, dans les temps, des projets finalisés (ce qui fut mon cas cette année) ne sont à aucun moment informés personnellement des étapes de l’évaluation.
Et une fois l’évaluation faite, rien! On se débrouille dans son coin pour retrouver la liste des happy few retenus. C’est cela qui me choque le plus. Le fait d’être recalé pour un projet scientifique soutenu par une bonne cinquantaine de chercheurs et qualifié par beaucoup d’excellent n’est pas agréable. Mais c’est de bonne guerre, et «ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort».
Je l’accepte, et j’en fais le deuil. Mais je n’accepte pas, en revanche, un mode de fonctionnement qui jette la courtoisie par la fenêtre, et n’a pas le moindre égard pour des projets lourds qui, quoique recalés, ont été mûris collectivement durant des mois, voire des années.
Ce gros projet scientifique avait été ficelé avec soin, en collaboration avec Isabelle Saint-Martin, Patrick Weil et Sophie Nizard, avec l'assistance précieuse, pour le volet financier (env. 360.000 Euros de budget quand même...) de Nathalie Chérel et Danielle Breseghello, auxquelles je rends hommage. Il était porteur d'une pertinence sociale certaine: proposer une enquête globale sur les mutations religieuses parisiennes aujourd'hui, ce n'est pas rien pour notre pays, et beaucoup d'élus y auraient trouvé intérêt.
Est-ce trop demander d'être informé des raisons de sa mise à l'écart?
Plus infantilisés encore que les candidats au Bac (qui, au moins, reçoivent des notes, qui éclairent leur échec ou leur succès), les candidats ANR recalés pour le financement sont réduits à tenter de se renseigner par la bande, sans notification personnalisée et critériée. Ne rêvons pas: il serait irréaliste de demander une demi page d’explication.
Encore plus utopique d’imaginer que les projets rendus dans les temps pourraient être défendus devant un jury de chair et d’os, dans la franchise d’un vrai échange, et non d’une procédure désincarnée, sans rencontre ni transparence. Irréaliste aussi sans doute de demander une sincérité totale (car la qualité scientifique n’est qu’un critère parmi d’autres : priorités politiques, clientélisme jouent aussi, sans souvent être explicités).
Mais au moins, 5-6 lignes d’explication ! Un mot ! Que l’on traite mieux un détenu qui échoue dans sa demande de remise de peine (il DOIT recevoir une notification) qu’un chercheur recalé de financement par l’ANR laisse songeur. C'est, de facto, traiter les chercheurs comme des rouages précaires, ce qui paraît confirmer ce diagnostic lucide porté par Henri Audier, un des membres du collectif "Sauvons la recherche": "l’ANR est créée pour faire tout autre chose que le CNRS : une recherche très finalisée et pilotée, basée sur les CDD" (H.Audier).
ANR, Agence Nationale de la Recherche?
Ou Agence de Nivellement de la Recherche, qui traite les chercheurs comme des pions au service de priorités qui leur échappent?
Commentaires
L'ANR est peuplée de chercheurs, de scientifiques et fonctionne sur le même modèle que le CNU et les commissions de spécialistes : Copinage, clientélisme et clanisme y sont fréquents. C'est le problème du milieu de la recherche en France, et la solution, c'est au monde de la recherche de la trouver !
Je suis bien d'accord, c'est pourquoi j'ai choisi de ne pas me taire, et de contribuer par ce blog au débat, à mes risques et périls. Mais attention à ne pas dire: puisque l'ANR et le CNU sont peuplés de chercheurs, c'est uniquement de la faute des chercheurs si cela marche mal. Ils ont certes une part de responsabilité, mais tout le problème ne vient pas d'eux.
Car ces structures sont aussi le fruit d'une politique, qui échappe en bonne partie aux chercheurs. On demande ensuite à ces derniers de s'impliquer dans des rouages qu'ils n'ont pas toujours choisis, et qui ne leur correspondent pas toujours. Il reste à se soumettre, ou se démettre... ou à jouer les franc-tireurs, au risque d'une carrière ralentie.
Tout vient de là :
DES CHERCHEURS QUI CHERCHENT ON EN TROUVE, DES CHERCHEURS QUI TROUVENT, ON EN CHERCHE
Cette boutade de De Gaulle est trop vrai quelque part pour que la vie (privilégiée) de certains chercheurs demeure un long fleuve tranquille !
Un clin d'oeil : Peut-être qu'il vaut mieux miser sur le financement par les mégachurches américaine pour ce genre de sujet...
Bon courage cherche a toujours rester le plus honnête et le plus droit possible, parceque de telles qualités dérangent beaucoup de monde.
Christophe
De même, le CNRS devrait adopter cette même courtoisie à l'égard des candidats qu'il auditionne classe, déclasse, écarte ou reclasse sans aucune explication. (C'est ce qui s'est passé cette année en 38!)
Les Fac aussi qui communiquent dans des délais très criticables des informations aux candidats privés d'audition.
Caroline
Comme l'un des commentaires le souligne, l'ANR ne fait que refléter des tendances bien plus gnérales de clientélisme de la recherche en France, et si la sélection des financements des projets semblent opaques, injustes, on ne peut traiter la question sans y adjoindre les conditions de recrutement des chercheurs et maitres de conférence...pas seulement par solidarité corporative mais parce que c'est, sociologiquement le MEME fonctionnement! Il faut certes que les chercheurs titulaires remettre en cause les modes de selections de l'ANR mais se confrontent également à la manière dont les plus jeunes sont recrutés.
Quand on ajoute à cela que, effectivement on devient les témoins d'une recherche menées par la recherche du profit matériel rapide, on a de quoi se faire du souci pour la recherche en France...
Réponse à Caroline et VA
Oui en effet, c'est tout un système qui est à revoir, sur la base de principes simples:
-transparence publique des critères de sélection,
-évaluation faite sur la base de ces critères uniquement,
-et information sur les raisons de la sélection ou de la non-sélection faite à chaque candidat dans des délais décents (disons 10 jours).
Ce n'est pas sorcier !
Et pourtant on est souvent loin de cette feuille de route, que ce soit dans bien des facs, ou même au CNRS (avec une commission 38, cette année, qui s'est particulièrement distinguée en refusant, par la bouche d'André Mary en l'occurrence, de communiquer sur les critères d'évaluation).
L'autonomie des universités apportera-t-elle un "plus"? On peut craindre au contraire un développement des féodalités locales... même s'il faut bien convenir que la situation actuelle étant bien mauvaise, l'autonomie n'empirera au fond peut-être pas les choses?
A suivre de près.
EH oui... peut-etre faudra-t-il attendre (en vain?) le soutien des chercheurs et enseignants statutaires pour remettre le systeme en question? C'est comme ca qu'on fait des revolutions, pas en laissant les plus precaires dans leru mouise...
Bonjour Sébastien,
Pourais-tu proposer une entrevue (toi ou un collaborateur) avec les deux responsables des églises clouées au pilori par les journaliste et le fameux rapport parlementaire sur les sectes de 1995 (Eglise Evangélique de pentecôte de Besançon et Eglise "Timothée").
Ce rapport parlementaire discrédite autant les évangéliques que les députés français parcequ'il traduit l'ignorance, l'incompétence et la malhonnêteté intélectuelle de certains d'entre eux.
Choses auquelles il convient de remédier en commençant par les dénoncer.
Je te demande aussi de te pencher sur cette circulaire de Jack Lang alors minisitre de l'Education Nationale qui taxe de "secte" les évangéliques (chose qui a pesé sur ma titularisation en tant que prof!!!)
Christophe
J'ai peut-être été vite pour ce genre de proposition il faut demander leur consentement aux intéressés parcequ'ils considèrent peut être comme contre productifs de réveiller les vielles blessures.
Christophe
la seule veritable année ou un bon chercheur aurait pu avoir son projet accepté par l'ANR, cest la premiere année en 2005, où les réseaux n'etaient pas encore bien arrangés, cest a dire où le copinage n'était pas encore de rigueur.
Aujourdhui cest du grand nimporte quoi! Mais je ne crois pas que le copinage soit la cause numero 1 des recalages: la cause numero 1, cest le manque de moyen!
Aux USA, un projet sur 3 est accepté par la NSF en moyenne. En suisse, un projet sur 2!!!!
En France, on nous parle d'un projet sur 5. D'apres mes propres statistiques et mes collgues, ca serait plutot du 1 sur 6 ou 7, étant donnée la conjoncture actuelle....
Et ceux qui ont leur peojet accepté sont à 99% du temps des directeurs de labo, nos chers et braves mandarins Franchouillards, veritables dictateurs locaux et qui ont encore de beaux jour devant eux en France.
En France, entre chercheurs, cest du chacun pour soit: "donne moi des idees et moi je t'applaudis et t'écoute en faisant mine de rien comprendre, puis je te les pique dans ton dos, sans te citer evidemment, et prétends devant tout le monde en conférence que ce sont mes idees!" Telle est la devise de tout bon chercheur Francais de pure souche, élevé au grain Francais, c'est a dire ceux qui n'ont jamais travaillé dans un pays anglo-saxon et ne cnnaissent pas la vraie mentalité, la bonne, celle que devrait avoir tout bon scientifique: c'est a dire celle du respect des idees des autres (j'appelle cela la deontologie), celle du jeu et de l'esprit d'équipe!