Programme ultra-modernité: les deux premières réunions (2007-2008) (13/12/2007)

70cec959686cf309cfa491bca01acb13.jpgVous vous intéressez aux activités du programme GSRL "Religions et religiosités minoritaires en ultra-modernité"?

Vous avez raison, c'est passionnant! Et pour le prouver, jetez un oeil sur les compte-rendus ci-dessous, qui restituent l'essentiel des deux premières séances de ce programme au cours de l'année universitaire 2007-2008.

f1fd7bacf8713620eac29ed4c271d650.jpegSEANCE 1. 29 octobre 2007

Cette première réunion du programme GSRL «Religions et religiosités minoritaires en ultra-modernité» pour l’année 2007-2008 a été l’occasion, outre le tour de table traditionnel, de préciser les objectifs fixés pour cette troisième année:


-poursuivre la réflexion sur l’extension et les limites de la notion d’ultra-modernité (suivant les aires géographiques),
-prolonger la tradition GSRL d’expertise sur les groupes religieux minoritaires (après une journée sur l’adventisme en 2006-2007, une journée est prévue cette année sur le mormonisme, le 10 mars 2008),
-continuer à former et valoriser des doctorants (Frédéric Dejean prévu comme intervenant principal le 14 février 2008),
-et  maintenir un mode de fonctionnement du type Atelier de travail, en encourageant davantage de courtes présentations d’ouvrages lors des tours de table.

Cette réunion a par ailleurs permis de faire le point sur le projet d’enquête sur les mutations religieuses en région parisienne, intitulé Dieu Change à Paris (DCP).

Retoqué par l’ANR, ce projet reste mobilisateur et sera poursuivi sur un mode décentralisé, sous la forme de différentes opérations de recherche, qui comporteront chaque fois leur financement propre.



383f89e1c3ef81fbed786bfa9bc20ae6.jpgSEANCE 2. 29 novembre 2007: journée d’étude sur l’orthodoxie

Les études sur les mondes orthodoxes ont longtemps été compliquées par le Rideau de fer, qui freinait la possibilité d’une étude libre et indépendante.

Désormais, et depuis au moins 15 ans, le champ est largement ouvert aux sociologues, anthropologues, historiens, et d’immenses chantiers restent à explorer, dans une configuration où, il faut bien le dire, l’orthodoxie reste un peu marginalisée en France en tant que terrain d’étude pour les sciences sociales.

Cette journée a eu pour but de contribuer, avec d’autres, à stimuler ce terrain de recherche, encore insuffisamment étudié en France, en encourageant à décloisonner les champs et à favoriser les comparaisons.

Elle a été rendue possible par l’implication de Steven Headley et de Kathy Rousselet, les concepteurs de cette journée, deux chercheurs également associés dans un projet de recherche sur les mondes orthodoxes (PICS).

Devant 11, puis 9 personnes (on aurait aimé davantage d’auditeurs, surtout vu la grande qualité des exposés!), les présentations ont survolé la situation française puis deux aspects du terrain russe orthodoxe actuel.

 

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De gauche à droite, Kathy Rousselet, Steven Headley, Irène Semenoff-Tian-Chansky

 

77667895e9f9f24c635851e17b8973b1.jpgL'émigration orthodoxe en France, enjeux et questions


Steven Headley a commencé par évoquer «la sociologie de l’émigration orthodoxe récente en France et dans l’Union Européenne: réactions pastorales et juridictionnelles.»
Il a pointé le contraste entre l’émigration russe blanche (d’origine très aisée) des années 1920-40 et l’émigration actuelle, marquée par des situation économiques très difficiles. De nombreux éléments entrent en jeu pour comprendre le champ religieux orthodoxe français.

D’abord, le niveau paroissial ; ensuite, le contexte socio-économique général dans lequel s’insèrent les fidèles, notamment les nombreux immigrés venus d’Europe de l’Est depuis la chute du Rideau de fer (logiques de diasporas) ; ensuite le niveau institutionnel national: qui parle au nom des orthodoxes?


Enfin, le niveau international, avec la question du rôle des Églises-mères dont dépendent les évêchés français (non-territorialisés): Églises russe, syrienne, roumaine, serbe, grecque... Représentant moins de 200.000 fidèles, 21 monastères et une quarantaine de paroisses, en manque de prêtres, les orthodoxes français démontrent une étonnante diversité où s’entrechoquent pression migratoire, logique de conversion (50% des fidèles seraient aujourd’hui des convertis) et éclatement institutionnel.


L’essor des monastères orthodoxes pose bien la question du positionnement actuel des orthodoxes français dans une société sécularisée ultra-moderne. Le succès rencontré par ces lieux témoigne d’un besoin d’échanges personnalisés (plus faciles avec les moines qu’avec les rares prêtres de paroisse). Il révèle aussi une aspiration à une reliogiosité de l’intensité, qui contraste avec l’impact sécularisateur de l’immersion dans les grandes villes françaises. Les monastères peuvent ainsi apparaître comme des lieux de refuge, de résistance par rapport à une société sécularisée et ultra-moderne. Mais ils se nourrissent aussi de ce contexte ultra-moderne, et du besoin de devantage d’intimité, de suivi personnalisé, de «souci de soi».

 

8730d3e15fb6e86bd5699596e9d53d08.jpgLe culte des icônes mariales


Irène Semenoff-Tian-Chansky (Université de Caen) a ensuite traité le sujet suivant: «Le culte des icônes mariales en Union Sociétique et en Russie depuis la révolution de 1917».

Le culte des icônes de la Mère de Dieu était déjà très ancré à Byzance, il a été repris et cultivé en Russie orthodoxe: le culte des icônes est la pratique religieuse sans doute la plus répandue en Russie. La pratique religieuse régulière ne touche qu’une très faible portion de la population: seuls 2 à 4% de la population russe est aujourd’hui réellement intégrée à l’Eglise orthodoxe!

Mais une large majorité de Russes cultivent en revanche une réelle dévotion autour des icônes. Presque tous les Russes ont une icône dans leur maison ou leur voiture. Il s’agit de quelque chose de très naturel, de presqu’instinctif.

L’icône la plus populaire est celle de la Mère de Dieu. Ensuite vient celle de St Nicolas. Le Christ apparaît en 3e position. Il existe 400 types d’icônes différents de la Mère de Dieu. L’icône est présente de la naissance à la mort de chaque Russe. Elle est présente lors des rites de passage, elle sert à bénir les lieux de travail, les galeries marchandes, les locaux de la milice, les voies navigables, les frontières (vol /procession de 1999...)... Mais le rôle 1er de l’icône, c’est d’aider le chrétien à prier.


D’une manière générale, Irène Semenoff-Tian-Chansky insiste sur le retour en force de la piété traditionnelle dans l’ère post-soviétique, avec un accent sur l’identité orthodoxe du pays, notoire notamment chez Vladimir Poutine, qui n’hésite pas à faire allusion à la «Sainte Russie».

L’Eglise orthodoxe, très discrète sur les miracles attribués aux icônes avant 1992, ne fait plus rien pour démentir les miracles, au contraire. Des processions peuvent aujourd’hui rassembler jusqu’à 25.000 personnes autour d’une icône. Le culte des icônes apparaît aujourd’hui comme très ambivalent. Il est adapté à un individu assez sécularisé, non pratiquant, de l’ère post-soviétique. Mais il peut aussi se faire symbole de non-différenciation, à dimension politique, holiste.

 

961cb6e2310b598f838664fa9a778ee0.jpgLes nouveaux martyrs de la foi

Enfin, Kathy Rousselet, directrice de recherche à la FNSP, a présenté un exposé sur «Les nouveaux martyrs de la foi en Russie».
Cette thématique est devenue aujourd’hui incontournable en Russie, en référence aux martyrs persécutés durant des décennies sous le régime soviétique.

Depuis la chute du Rideau de fer, une longue suite de canonisations a «redonné à l’Église orthodoxe sa virginité», souligne Kathy Rousselet, au sens où cette revalorisation des martyrs permet aussi de faire passer aux oubliettes l’attitude équivoque de la hiérarchie orthodoxe vis-à-vis du pouvoir soviétique...


Aujourd’hui, l’Église orthodoxe a effectué un retour en force spectaculaire sur la scène publique russe, en capitalisant sur le prestige des «martyrs». Ce retour en force, illustré en cette année 2007 par la réconciliation entre l’Église orthodoxe russe et l’Église  orthodoxe hors-frontière, se cristallise autour de certains lieux emblématiques, dont le site de Boutovo.
Sur ce site où ont été fusillés, au total, environ 20.000 personnes, 1000 «martyrs de la foi» ont été exécutés. Parmi ces derniers, 300 ont été canonisés. Boutovo est devenu un lieu de mémoire de la Grande Russie, où Vladimir Poutine s’est rendu avec le patriarche.
Ekaterinburg (lieu de l’assassinat du tsar Nicolas II et de sa famille) constitue un autre lieu de mémoire récemment promu, dans la foulée de ce grand courant de canonisation qui a atteint la famille impériale en 1992 (canonisation de la soeur aînée de la tsarine et de sa servante). 
Lieu où cohabitent des virtuoses religieux, des intégralistes, mais aussi une religiosité populaire, Ekaterinburg exalte un «nous» patriotique un peu ambigu, qui cohabite avec une spiritualité mystique individuelle ou familiale («on prie moins pour le salut de la Russie que pour ses propres enfants»).
Personnages héroïques dont la vie prend volontiers une tournure tragique, les saints  contribuent à l’unité de la nation, et affirment le mythe national d’une continuité qui transcende les ruptures politiques.

Le retour en force de ces saints et martyrs, qui va de pair avec l’affirmation de nouveaux lieux de mémoire à caractère religieux, illustre la difficulté à transposer la problématique de l’ultra-modernité en terrain russe. Oui certes, il y a des processus d’individualisation, une sécularisation manifeste (faible pratique religieuse régulière), ainsi qu’une «modernité» héritée de la période soviétique.
Mais cette modernité, parce qu’elle a été imposée de manière autoritaire, a laissé place, après la chute du Rideau de fer, à un paysage très incertain, balloté entre une exaltation d’un nouveau monisme religio-politique et la poursuite d’une modernité sécularisante propice à l’individualisation des croyances.

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