Pour la séparation (souple) entre Culture et Etat (01/03/2008)

772533361.jpg.2.jpgLes milieux culturels sont en émoi: voilà qu’on baisse de 6% en moyenne les dotations publiques, suscitant l’interrogation d’Ariane Mnouchkine, qui demande, dans Le Monde, que les citoyens s’expriment.

"Est-ce que la culture est un luxe?"

Réponse à Ariane Mnouchkine: non, la culture n’est pas un luxe.

Mais l’amour n’est pas un luxe non plus. Comme la culture, c’est un besoin fondamental.

Existe-t-il un Ministère de l’amour? Non, car la politique n’a pas à préempter l’amour.

Je répondrais la même chose pour la culture.

1938041652.jpg Il est temps de réformer en profondeur la politique culturelle, de réduire les perfusions financières artificielles, et de rapprocher la création des attentes du public.

La culture, c’est la société française toute entière qui la fait, c’est à elle qu’il revient de la rémunérer, ou non, suivant le succès rencontré.

J’approuve donc la réduction des crédits du Ministère de la culture,et j’approuverais aussi la suppression d’un Ministère dédié à la culture, car la culture est d’abord et avant tout l’affaire (et la production) de la société.


929593084.JpgCela ne signifie pas qu’il faille supprimer tout financement public à la culture, loin s’en faut.

Le mécénat d’Etat, dans la grande tradition française, est indispensable.

Les artistes ont par ailleurs besoin d’un statut qui les protège dans leur activité, par essence fragile, volatile.

Enfin, favoriser l’accès pour tous à la culture, fidélité au meilleur de notre héritage républicain, doit demeurer prioritaire, voire même être amélioré (MJC, musées, etc.).

Il ne faut pas tout casser!

Mais réduire le lien Etat-culture au profit d’un renforcement du lien entre société et culture fera, à terme, du bien à tous, au-delà de la crise d’adaptation actuelle. Trois maux pourront être réduits:

 

Trois maux à réduire

195717742.jpg-l’hypocrisie d’une frange bruyante des élites culturelles.

Ces dernières ont parfois la fâcheuse tendance à mordre la main qui les nourrit (l’Etat, surtout s’il est de droite). Mordre une main ennemie, soit.

Mais la main qui vous nourrit! Ou vous refusez la nourriture qui vient de cette main, ou vous ne la mordez pas... Cette hypocrisie culottée n’est pas à l’honneur des créateurs, dont le premier mot d’ordre devrait être au contraire de décaper les hypocrisies, dont la leur.



2085861655.jpg-le snobisme d’une part significative des milieux culturels.

La culture populaire est trop souvent méprisée dans notre pays. Dès qu’un grand spectacle populaire rallie les foules, les voix s’élèvent pour dénoncer.

Je viens de voir hier soir, sur une chaîne satellite, Odette Toulemonde, d’Eric-Emmanuel Schmitt, avec Catherine Frot et Albert Dupontel.

Ce film magnifique, que je vous recommande, a rencontré un beau public (près d’un million d’entrées).

Comme cette satire tendre et juste brocarde précisément le snobisme de certains critiques littéraires, elle a été descendue en flamme par la critique parisienne!

Et on pourrait multiplier les exemples (Amélie Poulain qualifié de film pétainiste dans Libération, Marion Cotillard qui «n’a rien de la Môme, tout d’une momie» dans Les Inrockuptibles, etc etc…).

Rendre la culture française moins dépendante de la perfusion d’argent public, et plus dépendante du goût du public, réduira mécaniquement, en quelques années, la part de marché des snobs professionnels... sans les faire disparaître (mais après tout, on en a besoin aussi à petite dose).

 

174402532.jpg -le conformisme creux d’une culture qui se préoccupe davantage des tendances élitistes d’un milieu fermé, perfusé de subventions, que des attentes du public, suscitant la très juste colère d’un Régis Debray, consterné par ce qu’il a vu au Festival d’Avignon 2005 (voir son merveilleux Sur le pont d’Avignon).

La culture est faite pour être subversive, à l’image des milieux alternatifs de la musique pop britannique, l’une des meilleures du monde (non subventionnée). Trop encadrée par un Ministère, la culture risque forcément de perdre cette capacité de subversion.

Je sais que ces propos, fort peu consensuels, vont choquer 80% des internautes qui me lisent.

J’entends déjà les accusations de néolibéralisme, de populisme, d’esprit anti-républicain, etc…

Mais j’ai choisi d’être honnête et de contribuer au débat, répondant ainsi au vœu d’Ariane Mnouchkine, pour nourrir un questionnement déjà posé lors des élections présidentielles, et pas seulement par Nicolas Sarkozy.

 

En précisant que si l’absence de politique culturelle est indigne d’une bonne République, l’excès de financement culturel sape la République en infantilisant le peuple aussi sûrement que le ferait un Ministère de l’amour...ou un Ministère de l’identité nationale (très mauvaise idée sarkozyenne).


L’amour, la culture et l’identité nationale, c’est d’abord aux Français de le vivre et de l’alimenter.



2010101277.jpgAlors, après 1905 et la séparation des Eglises et de l’Etat, vive la séparation à venir entre la culture et l’Etat!


A condition tout de même que la disparition du Ministère de la Culture ne signifie pas la disparition de toute politique culturelle, en fonction des trois axes mentionnés ci-dessus (mécénat d’Etat bien ciblé, statut amménagé pour l’artiste, politique d’accès à la culture). Se limiter à supprimer pour faire des économies n'est pas la solution!


Mais loin de saper la République, une séparation bien pensée sera un sésame vers une République plus mature, qui n’interfère plus directement dans les choix culturels des citoyens.

Notre devise républicaine s'y retrouvera très bien, sur la base d’une plus grande liberté (moins de tutelle), d’une plus juste égalité (abolition des privilèges à la subvention) et d’une meilleure fraternité (une culture populaire mieux valorisée, un élitisme snob moins arrogant).

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