A la santé de l'abbaye de Maredsous (05/12/2009)

Maredsous1.jpgLe métier de chercheur implique un rôle public, qui invite à sortir de sa tour d'ivoire pour aller à la rencontre du public.

C'est ainsi qu'au cours de l'année, il m'arrive, comme à tous mes collègues, de sillonner la France, voire au-delà, pour intervenir comme conférencier.

 

Dans ce cas de figure, trois scénarios sont possibles.



1/ Le premier, est celui d'une participation à une manifestation strictement scientifique et professionnelle (par exemple, un congrès de sciences sociales, un colloque universitaire, etc).

Dans ce cas de figure, l'usage universel (avec de temps en temps quelques petits accrocs) est de rembourser les frais de transport et les frais directement liés à la participation (logement, restauration).


2/ Le second scénario est celui d'une participation exceptionnelle à une manifestation scientifique dont vous êtes l'invité vedette (conférence inaugurale, "lecture" sponsorisée dans un établissement universitaire américain, etc.).

Dans ce cas, l'usage dominant est de rembourser les frais de transport et de séjour, mais aussi de fournir une rémunération pour la conférence donnée.



3/ Le troisième scénario, enfin, est celui d'une manifestation non strictement scientifique et académique, par exemple dans un cadre associatif, ou dans un carrefour mêlant des acteurs engagés et des chercheurs.

Ici, l'usage universel est de rembourser les frais de transport et de séjour. Quant à la rémunération, elle est la plupart du temps proposée (au moins sous forme d'indemnisation pour le temps pris sur le temps de recherche), mais elle n'est aucunement obligatoire.

 

 

 

images-1.jpegOriginalité des pratiques d'accueil des conférenciers dans l'abbaye de Maredsous


Vous remarquerez que dans les trois scénarios, le remboursement des frais de transport est systématique et incontestable. C'est le strict minimum qui va de soi, dans tous les cas.

C'est pourquoi je voudrais signaler l'originalité de la rencontre de Maredsous (abbaye située en Belgique) à laquelle j'ai participé il y a une quinzaine de jours. Cette rencontre n'est pas une manifestation strictement scientifique et professionnelle: il s'agit plutôt d'un lieu où se retrouvent chercheurs et acteurs engagés.


Le thème de cette année : "Comment transmettre l'Evangile dans un monde ébranlé ?"

Vous pouvez le télécharger ici.


On se situe donc dans le 3e scénario, avec un colloque centré non pas sur un questionnement scientifique, mais un questionnement militant, du point de vue des acteurs catholiques en l'occurence.

 

 

 

9782226193117.jpgInvitation insistante de Michel Cool


Michel Cool, ancien directeur de Témoignage Chrétien et favorable à un "capitalisme au service de l'homme", m'y avait invité avec une insistance amicale assez pressante.


J'avais hésité, notamment car l'événement se tenait à l'étranger (Belgique), demandait pour moi plus de 5H30 (2H45 multipliées par deux) de route dans une même journée...

J'avais par ailleurs modérément apprécié qu'on me présente, dans le programme provisoire, comme "sociologue protestant", alors qu'en tant que chercheur laïque, je suis historien (et un peu sociologue), sans adjectif (à la limite, d'accord pour dire "sociologue ET protestant", mais pas "sociologue protestant").

Enfin, je suis père de famille (3 enfants), et oblitérer mon samedi n'est pas chose très facile quand je consacre déjà le restant de ma semaine (sauf le dimanche) au travail.



J'avais cependant accepté. Mon fils, qui souhaitait aller voir le match de foot Lens-Nancy avec moi ce jour-là (au stade Bollaert), a dû faire contre mauvaise fortune bon coeur... Papa serait absent.



Et mon samedi s'est trouvé consacré à circuler entre France et Belgique et participer à une réflexion, relativement intéressante (en dépit du cabotinage narcissique un peu fatiguant de Philippe Verdin), sur les rapports entre christianisme et culture.

Une rencontre à laquelle assistait aussi Bernadette Sauvaget, du journal Réforme, où j'ai tenté d'apporter mon modeste écho.

 

 

 

images.jpegPas question de rembourser les frais d'essence

 


A mon retour, Michel Cool n'a pas tardé à me relancer pour la remise rapide de mon papier. En lui donnant une réponse positive de principe, je lui ai demandé des précisions sur mon remboursement de frais. Et alors, quelle ne fut pas ma surprise de m'entendre répondre qu'il n'était pas question de me rembourser mes frais de transport!


Je préciserai, à ce stade, deux choses. Il m'arrive chaque année d'effectuer telle ou telle conférence sans aucun remboursement (surtout dans un cadre de proximité), ou avec remboursement partiel.

Je suis prêt à cela sans aucun problème, "pour l'amour de la science partagée". Mais dans tous ces cas, on a la correction de me prévenir avant, car c'est rompre avec l'usage universel que de ne pas défrayer les frais d'un invité qui vient d'ailleurs.



Dans ce cas précis, jamais Michel Cool ne m'a indiqué que mes frais de déplacement ne seraient pas pris en charge.

J'ai donc effectué 5H30 de voiture vers la Belgique, sacrifié mon samedi (retour chez-moi à 23H30), sans que les organisateurs rattachés à l'abbaye de Maredsous ne prennent en compte, même de manière symbolique (remise d'un petit échantillon de bières du cru, par exemple), l'effort fourni pour eux, en-dehors de mes obligations professionnelles.

 

 

Maredsous2.jpgTrois remarques de principe

 

Dans un souci de pédagogie corrective, tout cela m'invite à trois remarques.



D'abord, comme je l'ai indiqué à Michel Cool par courriel: les pratiques de Maredsous cautionnent, , "de fait, "les initiés" ou "les héritiers" (je ne suis, ni l'un, ni l'autre)." Michel Cool est un homme de valeur(s), et je l'invite amicalement à revoir la question en prévision des futurs événements qu'il organise à Maredsous!



Ensuite, il importe de faire connaître au grand public la manière dont les organisateurs d'événements "pleins de bons sentiments" respectent le droit du travail (demander une journée de disponibilité à un intervenant, et 5H30 d'essence, sans l'indemniser au moins de son carburant, pose question)


Enfin, cet usage de non-défraiement du coût de déplacement appelle à s'interroger sur l'éthique pratique (et non pas théorique) d'une riche abbaye bénédictine censée stimuler la pensée, la spiritualité et l'agapè, quand on "presse le citron" d'intervenants extérieurs alors que, par ailleurs, la production de bière génère des profits considérables.


Sur le site (luxueux) de cette abbaye bénédictine, on se félicite qu'une "grande partie des revenus est reversée à des oeuvres de charité"...



Et si la "charité" bien ordonnée de cette abbaye commençait par s'aligner sur les pratiques minimales d'indemnisation des conférenciers venus de loin?

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