Les Français sont-il généreux? (26/11/2006)

medium_CM_Capture_3.jpgOui, je reconnais que la question est un peu oiseuse. Comment juger la générosité des peuples? Laissons donc de côté la tentation de répondre par "oui" ou par "non", pour focaliser sur l'évaluation des dons aux organisations charitables. Une Fondation britannique (la Charities Aid Foundation) a rendu publique il y a deux jours une étude comparative sur douze grands pays, en listant par ordre décroissant le pourcentage des dons par rapport au produit intérieur brut. Je vous laisse deviner où se situe la France. Ensuite, cliquez sur la suite, avec le tableau des résultats.

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Vous pensiez que les Français étaient les rois de la générosité? La popularité des téléthons est l'arbre qui cache une forêt moins flatteuse. Oui vous avez bien lu ce tableau, les Français sont bons derniers. Ils consacrent 0,14 de leur produit national brut (le GDP, en anglais) au don aux organisations charitables. Allemands, Turcs, Néo-zélandais..... et Américains donnent tous plus, parfois BEAUCOUP plus. Je souligne que cette étude est méthodologiquement très solide. Les résultats sont fiables. Vous pouvez la télécharger (en anglais) ici.
 
Les conclusions de cette grande étude comparative indiquent trois choses:
1/ Que les pays où l'on taxe le moins les gens sont ceux où les citoyens sont les plus généreux (ce qui paraît logique).
2/ Que l'ampleur des dons aux organisations charitables témoigne de la vitalité, ou non, d'une société civile distincte de l'Etat.
3/ Qu'il y aurait une corrélation entre un niveau de don important et un niveau élevé de pratique religieuse.
 
Sur le troisième point, le bonnet d'âne de la France se comprend aisément si l'on se rappelle que parmi les douze pays comparés, la France est le plus sécularisé. Ce n'est peut-être pas un pur hasard si la faiblesse des organisations religieuses, en France, affiche une certaine corrélation avec un faible niveau de don, l'inverse étant vrai pour les Etats-Unis (énorme volume de dons qui passent par les ONG chrétiennes, dont le poids lourd évangélique World Vision). Cela dit, les dons aux organisations religieuses forment un gros tiers du total des dons aux Etats-Unis (contre 13% au Royaume-Uni). Même si on enlève ce gros tiers, les citoyens américains donnent toujours beaucoup plus aux organisations charitables que les citoyens français, donc la variable religieuse n'explique pas tout.
 
Quant au premier point, on constate en effet une corrélation assez large entre niveau de taxation et générosité des citoyens. Voyez plutôt sur ce tableau:
 
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 Un coup d'oeil attentif à ce tableau montre cependant qu'il n'y a pas de corrélation ABSOLUE entre niveau de taxation et générosité à l'égard des organisations charitables. En effet, les Allemands sont plus taxés encore que les Français. Ils sont pourtant plus généreux dans leurs dons aux organisations charitables. Autre exemple, les Américains donnent beaucoup plus que les Irlandais, alors que les Américains sont plus taxés que les Irlandais.
Il reste que le modèle français est bel et bien marqué par un poids écrasant de la redistribution étatique, en particulier par le biais des cotisations sociales, ce qui limite fortement les marges de manoeuvre des organisations charitables de la société civile, qu'elles soient religieuses ou pas.
 
Dans le contexte actuel, marqué par un endettement public colossal et un "trou" de la sécu qui n'en finit pas de grandir, cette grande enquête comparative peut nous suggérer une piste de réflexion pour l'avenir: 
 
Entre l'ogre de la "mondialisation néolibérale" qu'on brandit régulièrement comme repoussoir, et un Etat-père Noël débordé par la situation, il y a sans doute bien des options intermédiaires. L'une d'entre-elles pourrait être d'encourager une société civile qui, dans notre pays, reste un peu anémique (en dépit de la popularité des associations loi 1901).
Cela ne passe pas obligatoirement par un retrait de l'Etat (puisque les Allemands arrivent à être plus généreux que les Français tout en étant davantage taxés). La redistribution étatique a de très bons côtés (surtout quand elle est bien contrôlée par les citoyens), mieux vaut la préserver en la rendant plus efficace, plutôt que de saborder ce que nous savons faire.
En revanche, le gros retard de dynamisme financier propre (hors subventions) de notre société civile et de ses organisations caritatives par rapport à beaucoup de grands pays industrialisés suggère que la société française aurait à gagner à poursuivre une évolution culturelle. Laquelle?
Le passage d'une République-nourrice (le citoyen attend tout de l'Etat, sans pour autant bien en contrôler les rouages) à une République-émancipatrice (le citoyen apprend à exercer sa part de responsabilité, à la fois dans le contrôle de l'Etat et dans l'initiative pour le bien commun).
 
Citation du rapport, p.4 (transposée par votre serviteur): 
  
"(...) les comparaisons internationales sur le don sont des indicateurs significatifs sur l'état de la société civile, et sur les endroits où elle doit être consolidée. Dans un monde où les responsabilités des gouvernements nationaux déclinent, il est vital de comprendre dans quelle mesure les individus sont directement engagés dans l'effort d'amélioration de leur société - comparer les niveaux de don apporte des éléments importants dans cette compréhension."
 
 
 

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