Tour de France : de l’inconvénient des héros (28/07/2007)

72dd148cda3726534952c58ddaf3edd0.jpgRappelez-vous l’an dernier : Vélo Magazine avait titré sur le vainqueur 2006 du Tour de France, Floyd Landis, en titrant sur le «dieu humain».
Cette année, virage à 180° : après la victoire un peu douteuse d'Alberto Contador, précédée de plusieurs contrôles positifs sur des coureurs comme Vinokourov, le même magazine titre d’un grand «pardon». Pardon pour les problèmes de dopage, pardon pour les faux héros.

Ce changement de ton m’inspire ce commentaire : à leurs risques et périls, nos sociétés sécrètent de plus en plus de «héros», fabrication médiatique qui répond au désir d’identification, de rêve, de dépassement qui habitent nos contemporains. La lecture de maintes descriptions de stars sportives (Landis l’an dernier, mais aussi Zidane, Manaudou etc…) emprunte largement à la rhétorique religieuse.

d6a7dfd4f070abc90573431f435a535b.jpgOn rejoint certaines analyses soulevées dans La fabrique des héros (sous la dir. de P.Centlivres, D. Fabre, F. Zonabend, Paris, MSH, 1998), montrant la dimension religieuse induite par ces hommes ou femmes sortis de l’ombre, après un processus de «fabrication» (à «l’atelier des héros»), pour jouer les premiers rôles.


Ces héros peuvent tendre vers le sauveur, le «superman», parfois le traître (Cf. Lucy Hughes-Hallett, Heroes: saviors, traitors and supermen, Harper & Collins, 2004), mais ils ont en commun d’apparaître au-dessus de la mêlée. Au-dessus de la loi aussi?

En revenant sur la scène cycliste, j’ai récemment lu un superbe entretien accordé par l’Américain Greg Lemond, ancien champion vainqueur du Tour de France en 1986, 1989 et 1990. Dans cet interview à l’Express (13 juillet 2007) consacré au dopage, il a parfaitement saisi l’inconvénient posé par ce culte des héros sportifs dans son pays, les Etats-Unis.

"Trop d'espoir dans ces héros" 

4cb527576c79fa14314efc81fe89867a.jpg Citation : «Les Américains ne veulent pas croire qu’ils sont dopés. (…) Les gens ont placé trop d’admiration et d’espoir dans ces héros. Ils ne peuvent plus émettre le moindre doute. Leur dire que leur champion a triché, c’est comme les mettre eu cause eux-mêmes». (G.Lemond)

Il y aurait beaucoup à dire sur ces propos. En un mot, j’en retiens confirmation, par un observateur de haute volée de la scène sportive, l’importance du culte des héros sportifs dans nos sociétés, non seulement aux Etats-Unis, mais aussi en France (saint Zidane l’intouchable, en dépit de ses écarts et de son recours avéré aux transfusions sanguines).
Une importance telle aujourd’hui qu’elle provoque un déni de réel quand les héros s’avèrent trop humains, tricheurs, menteurs…


Conclusion : c’est sans doute vrai que nos sociétés occidentales se sécularisent, c’est-à-dire qu’elles accordent de moins en moins de place à la religion instituée.

Mais quand on écarte une croyance par la porte, les gens ne deviennent pas forcément plus «raisonnables». Car la croyance revient en contrebande par la fenêtre, tant le besoin de croire et de s’identifier paraît profond.

43b346a96e7dda605f1a3cb5f021693c.jpg En tant que polémiste, Chesterton (ci-contre) écrivait: «Quand les gens cessent de croire en quelque chose, ils ne croient pas en rien: ils croient en n’importe quoi». (When people cease to believe in something, they do not believe in nothing: they believe in anything). G. K. Chesterton.


Je ne dirais pas les choses exactement comme cela, mais une chose est sûre: le culte contemporain des héros, de plus en plus visible et structurant à mesure que progressent les empires médiatiques et les stratégies des sponsors, révèle un recyclage de la croyance qu’il faut observer de près.

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