Rappelez-vous l’an dernier : Vélo Magazine avait titré sur le vainqueur 2006 du Tour de France, Floyd Landis, en titrant sur le «dieu humain».
Cette année, virage à 180° : après la victoire un peu douteuse d'Alberto Contador, précédée de plusieurs contrôles positifs sur des coureurs comme Vinokourov, le même magazine titre d’un grand «pardon». Pardon pour les problèmes de dopage, pardon pour les faux héros.
Ce changement de ton m’inspire ce commentaire : à leurs risques et périls, nos sociétés sécrètent de plus en plus de «héros», fabrication médiatique qui répond au désir d’identification, de rêve, de dépassement qui habitent nos contemporains. La lecture de maintes descriptions de stars sportives (Landis l’an dernier, mais aussi Zidane, Manaudou etc…) emprunte largement à la rhétorique religieuse.
On rejoint certaines analyses soulevées dans La fabrique des héros (sous la dir. de P.Centlivres, D. Fabre, F. Zonabend, Paris, MSH, 1998), montrant la dimension religieuse induite par ces hommes ou femmes sortis de l’ombre, après un processus de «fabrication» (à «l’atelier des héros»), pour jouer les premiers rôles.
Ces héros peuvent tendre vers le sauveur, le «superman», parfois le traître (Cf. Lucy Hughes-Hallett, Heroes: saviors, traitors and supermen, Harper & Collins, 2004), mais ils ont en commun d’apparaître au-dessus de la mêlée. Au-dessus de la loi aussi?
En revenant sur la scène cycliste, j’ai récemment lu un superbe entretien accordé par l’Américain Greg Lemond, ancien champion vainqueur du Tour de France en 1986, 1989 et 1990. Dans cet interview à l’Express (13 juillet 2007) consacré au dopage, il a parfaitement saisi l’inconvénient posé par ce culte des héros sportifs dans son pays, les Etats-Unis.
"Trop d'espoir dans ces héros"
Citation : «Les Américains ne veulent pas croire qu’ils sont dopés. (…) Les gens ont placé trop d’admiration et d’espoir dans ces héros. Ils ne peuvent plus émettre le moindre doute. Leur dire que leur champion a triché, c’est comme les mettre eu cause eux-mêmes». (G.Lemond)
Il y aurait beaucoup à dire sur ces propos. En un mot, j’en retiens confirmation, par un observateur de haute volée de la scène sportive, l’importance du culte des héros sportifs dans nos sociétés, non seulement aux Etats-Unis, mais aussi en France (saint Zidane l’intouchable, en dépit de ses écarts et de son recours avéré aux transfusions sanguines).
Une importance telle aujourd’hui qu’elle provoque un déni de réel quand les héros s’avèrent trop humains, tricheurs, menteurs…
Conclusion : c’est sans doute vrai que nos sociétés occidentales se sécularisent, c’est-à-dire qu’elles accordent de moins en moins de place à la religion instituée.
Mais quand on écarte une croyance par la porte, les gens ne deviennent pas forcément plus «raisonnables». Car la croyance revient en contrebande par la fenêtre, tant le besoin de croire et de s’identifier paraît profond.
En tant que polémiste, Chesterton (ci-contre) écrivait: «Quand les gens cessent de croire en quelque chose, ils ne croient pas en rien: ils croient en n’importe quoi». (When people cease to believe in something, they do not believe in nothing: they believe in anything). G. K. Chesterton.
Je ne dirais pas les choses exactement comme cela, mais une chose est sûre: le culte contemporain des héros, de plus en plus visible et structurant à mesure que progressent les empires médiatiques et les stratégies des sponsors, révèle un recyclage de la croyance qu’il faut observer de près.
Commentaires
Votre article m'a vraiment intéressée, j'étais une passionnée du Tour de France. Mais cette année, j'ai laissé tomber.
D'abord, parce que je ne supporte pas Gérard Holtz. Pour moi, il est ce qu'il y a de pire dans le " lèche-cul" qui mène à l'idôlatrie...
Malgré tout, je regardais les classements sur internet car je fais parti du fan club de Jérôme Pineau.
Il faut reconnaître que sans dopage, il est impossible de gagner. Jérôme Pineau est un bon coureur mais malgré tout il avait presque 3 heures de retard sur lContador.
Alors pourquoi continuer ? L'amour du vélo, sans doute...
Je voudrais dire toute mon admiration pour Greg Lemond.
Finalement le plus important est de savoir que l'on veut faire de sa vie. Car inévitablement la mort est au bout. Et cela on y peut rien.
Bonjour,
Je partage globalement les constatations développées dans votre billet, par contre votre conclusion me gène : je n'ai plus l'impression que nos sociétés de sécularisent, je sens plutôt un retour en force des valeurs religieuses.
Il me semble également que la religion tient un rôle important dans la vie nord-américaine, et pourtant lorsque l'on voit les productions hollywoodiennes les héros sont omniprésents.
C'est vrai, j'ai aussi l'impression que la religion revient en force mais je n'en suis pas sûre.
On le dit peut-être pour se rassurer ou pour faire bien parce qu'on ne sait plus quoi dire et qu'il faut à tout prix trouver une explication à tout sans doute pas faute d'idéal comme : Liberté, Egalité, Fraternité.
Pour ma part, je ne suis pas croyante malgré une éducation religieuse très, très stricte. Comme quoi.
Par contre, les américains ne m'ont jamais fait révée, ils ont un côté moralisateur qui me donne immédiatement la nausée...
Les Américains sont dans les 300 millions. Je ne pense pas qu'il y ait 300 millions de moralisateurs. Comme quoi même quand on croit ne pas croire...
Le plus dur dans ce bazar c'est de pouvoir juger du niveau de croyance des idées qui nous occupent la tête. Quand je pense quelque-chose, est-ce que c'est une pensée qui décrit "fidèlement" une réalité ou est-ce que c'est une idée qui me sert à me sentir bien (et donc la vérité de l'idée n'a dans ce cas que peu d'importance) ? Ou bien encore est-ce une idée "commune", partagée par mon (mes) groupe(s) sociaux et donc que je doive impérativement intégrer sous peine dexclusion du groupe ?
Faire ce pas est d'une importance capitale pour qui prétend à une quelconque pensée rationnelle.