Emmanuelle Mignon et les sectes: la stratégie des pieds dans le plat (23/02/2008)

1305095716.jpgL’interview d’Emmanuelle Mignon dans VSD (20 février 2008) au sujet des sectes a donné lieu à une comédie en trois actes.

Acte 1, le dérapage, acte 2, les réactions, acte 3, le recadrage.

Beaucoup estiment qu’Emmanuelle Mignon a simplement dérapé en qualifiant à tort les sectes de «non-problème», ajoutant une bourde de plus à la liste déjà longue des accidents de parcours qui émaillent depuis quelques temps la chute de popularité du président Sarkozy.

Pour ma part, je n’en suis pas si sûr. Certes peu experte es-médias, Emmanuelle Mignon est suffisamment intelligente pour savoir ce que VSD fera de ses propos directs. Au-delà de la bourde, je n’exclus pas de voir dans cet épisode une illustration de ce que j’appellerais la «stratégie des pieds dans le plat». Explication.

Il n’a échappé à personne que l’équipe sarkozyenne affectionne, de temps à autre, la provocation. On «sort» une idée à l’emporte-pièce, manifestement excessive, puis on observe les réactions. La priorité est donnée à la franchise, quitte à s’auto-caricaturer un peu.

Cette méthode a ses risques: à force de susciter le charivari, on aboutit à la cacophonie, et à l’impopularité. Mais elle a aussi beaucoup d’avantages: rien de tel qu’une bonne polémique pour agiter la matière grise, expliciter les positions, catalyser un débat, ce qui permet d’accélérer ensuite la synthèse.

 

Décantation

Dans le cas de l’interview sur les sectes et de ses conséquences, le charivari a bien eu lieu, et la décantation faite, j’observe trois éléments:

1. La société française n’est manifestement pas prête à enterrer la question des sectes. A droite comme à gauche, les sectes restent un «problème», à la fois parce le fait sectaire peut blesser des individus, mais aussi parce que la thématique en elle-même génère automatiquement la controverse, y compris parfois à des fins politiciennes.

2. Le gouvernement français entend poursuivre une politique claire de lutte contre les dérives sectaires, mais la MIVILUDES, dans sa forme actuelle, paraît mise en cause à plus ou moins long terme, pour manque de travail.

3. Couplé avec un souci de ne juger que sur les faits, le renforcement de la lutte contre les sectes annoncé par Nicolas Sarkozy annonce une refonte à venir du dispositif anti-sectes.

Compte tenu des objectifs explicités à chaud par le gouvernement au cours des jours derniers, je ne pense pas qu’il soit à craindre qu’on mette fin à la politique de lutte contre les dérives sectaires.

Ces dernières existent bel et bien, et il est normal que la République s’en préoccupe. Le changement à venir viendra plutôt de la forme donnée à cette lutte. En toute hypothèse, à la lumière des débats de ces derniers jours, voici trois pistes possibles:

 

Trois pistes

-A. Améliorer la composition de l'équipe.

D’une MIVILUDES quasi dépourvue de chercheurs reconnus vers une structure qui intègre un tiers d’experts laïques du religieux (agrégés titulaires d'un doctorat, chercheurs en histoire, anthropologie et sociologie), afin de mieux cerner les faits sectaires, au-delà des rumeurs. Si le cap est bien celui de juger les faits, il faut des spécialistes et un vrai recoupement d'informations, tous azimuts.

Il faut arrêter d'utiliser les chercheurs, payés par la République, comme de négligeables rustines d'appoint: c'est la raison pour laquelle, en désaccord de fond avec l'optique d'alors de la MIVILUDES, j'avais refusé d'accepter un siège au conseil d'orientation de cette structure.


-B. Améliorer la qualité du travail.

D’une structure qui passe d’une logique d’étiquetage approximatif et parfois peu laïque à une logique de travail élargi, professionnel, en amont: accroître la prévention, l’information, la formation, et le périmètre d’investigation –toutes les religions ont des dérives sectaires!-.

Il faut bien avouer que la fameuse liste des mouvements sectaires de 1995 s'est révélée contre-productive, Jean-Pierre Raffarin lui-même finissant par en demander la mise à l'écart dans une circulaire de 2005.

Même remarque concernant la tentation de disqualifier parfois des actes ou des faits en soi non-répréhensibles, simplement parce que la personne qui en est à l'origine est accusée d'une appartenance sectaire. Ceci n'élève pas le débat, dans un pays qui s'honore de garantir à tous les citoyens les mêmes libertés, sans distinction d'opinion. Au rayon de la laïcité, poser des étiquettes est une solution de facilité, un travail de "contrôle qualité" en amont est bien plus utile.


-C. Améliorer la transparence et la lisibilité laïque.

D’une structure peu lisible et parfois contaminée elle-même par le sectarisme (liste noire de 1995 non révisable, manquements aux «principes du contradictoire», personnes en poste trop longtemps etc.) vers une structure plus laïque, plus transparente (y compris au plan financier), qui dépassionne le débat et justifie pleinement l’argent versé par le contribuable.

Au bout du compte, Emmanuelle Mignon a sans doute commis une bévue dans son interview, surtout avant les Municipales.

Mais la brillante et controversée conseillère juridique de Nicolas Sarkozy a aussi contribué, en jouant la stratégie des pieds dans le plat, à décanter un débat plombé de toutes parts.

A suivre.

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