Rick Warren, plus large qu'étroit (23/01/2009)

CM Capture 1.jpgÇa y est, Rick Warren a donc prononcé la prestigieuse prière d’investiture, moment clef des cérémonies du 20 janvier 2009, qui sacrent Barack Obama comme 44e président des Etats-Unis.

Cette prière ne restera pas dans les annales (on a connu des envolées plus lyriques), mais elle a été jugée, aux Etats-Unis, comme globalement satisfaisante.

 

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Rick Warren effectue la prière d'investiture, le 20 janvier 2009

 

Au menu: rappel des fondements de la société américaine (liberté et justice pour tous), mise en valeur remarquée de Martin Luther King et de l’aboutissement représenté par la victoire d’Obama (qui fait «éclater des cris de joie au Ciel»), appel à la bénédiction du Tout Puissant sur le nouveau président et sa famille.

 

Une touche évangélique

Une touche évangélique est ressortie dans la mention de Jésus, et la récitation finale du Notre Père, qui entendait ancrer la prière, non pas dans un Dieu indéfini, mais dans le Dieu de la Bible, le Dieu du christianisme, qui reste la religion très majoritaire aux Etats-Unis.

Pasteur de la célèbre megachurch californienne de Saddleback, Rick Warren a confirmé sa posture de protestant évangélique de centre droit, conservateur modéré (cf. mon interview dans l’hebdomadaire Réforme), manifestement heureux d’être là et de prier, plein d’émotion (sa voix a brièvement tremblé), pour le premier président démocrate afro-américain de l’histoire des Etats-Unis.

Après cette prestation modérée et sans grande surprise, ceux qui connaissent un peu le terrain religieux nord-américain peuvent, du coup, d’autant plus s’interroger sur la stupéfiante ignorance dont ont fait preuve beaucoup de commentateurs français au sujet de Warren.

 

h-20-1361926-1229694782.jpgD'extrême droite? Homophobe?

On a entendu ici et là qu’on avait affaire à un prédicateur «à la droite de Le Pen» (citation sur la chaîne LCI, le 20 janvier), voire un «homophobe» (cf. ce blog d'Eric Fassin, habituellement bien mieux informé).

Le 20 décembre 2008, Le Monde s'est contenté de le décrire comme "pasteur très conservateur"... Dans Libération du 20 janvier 2009, il devient "ultraconservateur".

Sur Le Post du 19 décembre 2008 (rattaché au Monde Interactif), Bernard Posso y va gaiement: Warren serait un "pasteur d'extrême droite". Pour le site Backchich.info, c'est un "pasteur intégriste", expression reprise par L'Express le 20 janvier 2009.

Tous les médias français ne sont certes pas tombés dans ces outrances. Mais la tonalité dominante est bien à la critique acerbe: comment le ‘gentil’ Obama a-t-il pu faire appel au ‘méchant’ Warren? Une "faute de goût", selon L'Express.

 

1101080818_400.jpgDécryptage

Sur les deux principaux griefs, à savoir les convictions d’extrême droite et l’homomphobie, un décryptage sommaire révèle… que Rick Warren est plus large qu’étroit.

 

1/ Rick Warren s’est depuis longtemps distancié de la Droite chrétienne et rapproché des démocrates. Il reste plus proche des républicains, mais il fait partie de cette génération des enfants de Soixante-huitards qui se recentrent et développent une approche très pragmatique des enjeux politiques.

Il a fait beaucoup pour sortir ses condisciples de l'hyper-focalisation sur la lutte contre l'avortement et contre le mariage homosexuel, bien qu'il se reconnaisse dans ces causes.

Je le répète, il fait figure, aux Etats-Unis, de conservateur modéré, honni par beaucoup d’ultra-religieux pour cette raison.

 

2/ Rick Warren n’a rien d’un homophobe. Il a même fait davantage pour les homosexuels atteints du SIDA que certains militants gay, en mobilisant un réseau de milliers d’églises (auparavant totalement insensibles à la question) dans la lutte anti-SIDA, lutte dont bénéficient notamment moult homosexuels.

Il est certes bruyamment favorable au maintien de la définition traditionnelle du mariage hétérosexuel, et considère la relation homme-femme comme la norme en matière de conjugalité et de sexualité… Mais est-ce si étonnant?

Il rejoint en cela, entre autres, le point de vue majoritaire de la tradition monothéiste (judaïsme, islam, christianisme, enlgobant plus de 3 milliards d’individus).

Personne n’est obligé d’être d’accord avec ces positions éthiques conservatrices, mais elles ne font pas de lui un homophobe: jamais Warren n’a appelé à la violence ou à la stigmatisation contre les homosexuels, appelant au contraire à les aimer.

2008_1223_AP_Etheridge.jpgIl n’a jamais milité pour la mise à l’écart des gays, avec lesquels il dialogue volontiers. Warren a d'ailleurs reçu le soutien public d'une chanteuse lesbienne invitée elle-aussi aux cérémonies d'investiture, Melissa Etheridge (ci-contre), qui a appelé la communauté Gay à éviter le sectarisme.

Faut-il préciser enfin que le regard de Rick Warren sur l’homosexualité apparaît comme totalement marginal dans son discours religieux, focalisé sur des questions bien plus centrales?

 

Pourquoi ce buzz anti-Warren en France?

Si ce prédicateur ultra-médiatique n’est ni homophobe, ni d’extrême droite,il n'en est pas moins critiquable, contestable.... mais sur la base d'un dossier informé, ce que l'on a parfois tendance à oublier de ce côté-ci de l'Atlantique dès qu'il s'agit de religion et de protestantisme nord-américain.

Couverture OBS.jpgPourquoi un buzz anti-Warren aussi caricatural en France?

-la première raison est un anti-américanisme de principe dans le domaine religieux, qui transparait depuis longtemps dans plusieurs milieux franco-français.

Dans ces cercles, dès qu’un leader religieux américain apparaît tenir des positions morales qui s’éloignent un tant soit peu de celles d’un lecteur lambda des Inrockuptibles ou de l’Echo des Savanes, on sort l’artillerie lourde, sans s’embarrasser de la vérité, qui passe par pertes et profits.

Et paf, le fameux «puritanisme anglo-saxon» en reprend pour son grade... et vive la France laïque (où l'on subventionne pourtant beaucoup plus la religion qu'aux Etats-Unis, allez comprendre...).

 

-la seconde raison est une hostilité aux mouvements évangéliques, loin d'être généralisée, mais nourrie par une certaine presse qui a caricaturé ces protestants convertis, il y a 3-4 ans, comme «tous bushistes».

Qu'un gros quart des évangéliques états-uniens votent démocrate (c'est à dire un réservoir de plus de 15 millions de personnes), que des millions d’évangéliques recrutent parmi les latinos et les afro-américains (comme Jesse Jackson, évangélique et baptiste revendiqué) ne vient jamais sur le tapis.

Pour certains bons esprits français, un évangélique est nécessairement un croisé, adepte d’une «secte qui veut conquérir le monde», pour reprendre un fameux dossier du Nouvel Observateur (2004), digne des accents que certains publicistes réservaient aux protestants et aux juifs à la fin du XIXe siècle (mythes du complot, de la 5e colonne etc.);

images.jpeg-la troisième raison est due à l’effet déformant de la réception, en Europe, des échos médiatiques nord-américains: on observe une énorme sous-estimation de l’écho qui provient des médias mainstream,  qui reflètent l’opinion publique moyenne et dominante (largement favorable à l’appel d’Obama à Rick Warren: cf notamment ce sondage Gallup qui montre que seuls 9% des personnes interrogées désapprouvaient le choix de Warren par Obama).

Par ailleurs, on observe aussi une énorme surestimation des envolées médiatiques de quelques lobbies libertaires, de certains chroniqueurs et d'intellectuels décalés, très minoritaires aux Etats-Unis, mais tenus comme parole d’Evangile dans certains salons de Paris rive Gauche, qui répercutent ensuite "l'info objective" à des millions de lecteurs ou d'auditeurs persuadés du coup qu'on assiste, outre-Atlantique, à une levée de boucliers contre Warren.

 

610x.jpgLe ridicule ne tue pas

Résultat : les commentaires de nombre de médias français se sont proprement ridiculisés dans leur description de Rick Warren (à peu près comme si les médias des Etats-Unis qualifiaient Monseigneur Vingt-Trois ou Monseigneur Barbarin d'intégriste).

Ils ont ridiculisé aussi, du coup, Barack Obama (il s'en remettra!).

Ce dernier avait pourtant les meilleures raisons politiques et culturelles pour faire appel à ce pasteur de megachurch emblématique: valoriser une nouvelle génération de protestants évangéliques (1/3 de l’électorat états-uniens), soucieuse de se recentrer et d’élargir son agenda éthique à la lutte contre la pauvreté, contre le SIDA et contre le réchauffement global.

Ce faisant, il élargit la base populaire du Parti Démocrate qui s'étiolait dangereusement... et coupe l'herbe sous le pied des Républicains. Si ces derniers voient en effet leur base évangélique durablement s'effriter, ils auront de gros soucis à se faire dans les années qui viennent.

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