Massacre en Norvège: l'oeuvre d'un antifondamentaliste (25/07/2011)

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Lors des deux premiers jours qui ont suivi le carnage perpétré vendredi 22 juillet 2011, en Norvège, par un militant d'extrême droite, Anders Behring Breivik (ci-contre), les médias, notamment français, ont répété, sur la base des très fragiles "fuites" venues de la police norvégienne, qu'il s'agissait d'un "fondamentaliste chrétien".

Ah bon? Sans doute n'est-il pas inutile de passer par un bref décryptage et une mise au point.

Le fondamentalisme est un terme piégé.

Dans les médias, il en est venu à désigner, aujourd'hui, toutes les formes de radicalité religieuse (hindoue, chrétienne, musulmane, juive etc.) qui mettent en avant une appropriation personnelle ultra-structurante de la foi, au risque de dérapages intolérants voire persécuteurs. Il dénote, dans tous les cas, une très forte intensité dans l'expression individuelle du croire.

1231936465.jpgL'historien du protestantisme rappellera, quant à lui, que le mot "fondamentalisme" a historiquement désigné un type spécifique de radicalité, au sein des Eglises protestantes, qui vise à revenir aux "fondamentaux" de la foi (Trinité, divinité du Christ, résurrection, etc...), face à l'offensive du Libéralisme théologique.

Il a notamment été décrypté en 2003 dans un numéro thématique du Monde des Religions que l'on peut consulter en ligne (cliquer ici).

 

Qu'on prenne la définition 1 (médiatique) ou la définition 2 (spécialisée) du "fondamentalisme", comment se situe Anders Behring Breivik?

 

 Un assassin qui défend le christianisme comme culture héritée

La réponse ne tombe pas du ciel. Elle peut nous être apportée par une lecture des compte-rendus qui commencent à nous parvenir de ses abondants écrits théoriques.

Sur la question religieuse, voici en particulier ce qu'écrivait l'assassin dans le manifeste idéologique de 1500 pages qu'il a longtemps laissé accessible sur internet  (je traduis, à partir d'un texte fourni en anglais sur le site CP): 

"Pour ma part, et pour beaucoup d'autres gens comme moi, je n'ai pas nécessairement une relation personnelle avec Jésus-Christ et avec Dieu. En revanche, nous croyons en un christianisme comme plate-forme morale, sociale, identitaire et culturelle. C'est ce qui fait de nous des chrétiens"

(Anders Behring Breivik, p.1307 de son manifeste, publié sur internet).

 

(extrait original en anglais : “If you have a personal relationship with Jesus Christ and God then you are a religious Christian. Myself and many more like me do not necessarily have a personal relationship with Jesus Christ and God. We do however believe in Christianity as a cultural, social, identity and moral platform. This makes us Christian.”)

 

Le commentaire du site d'information (de tendance protestante évangélique) qui propose cet extrait est intéressant: pour ce site, Anders Behring Breivik "nie la vraie foi en Christ".

En clair, il est à l'opposé de la foi personnelle classiquement défendue par les protestants évangéliques (qu'on associe parfois, dans les médias, au "fondamentalisme" en général).

 

Religion par héritage des "racines" contre religion par conversion

facho.jpgQue les protestants évangéliques le renient ne signifie pas qu'il n'y ait pas de lien, même lointain... Mais force est de constater que la définition donnée par l'assassin de ce qu'il pense être un chrétien est très opposée à la manière dont les évangéliques et fondamentalistes protestants voient le sujet.

En résumé, l'assassin du plus grand massacre jamais perpétré en Europe du Nord par un individu isolé est certainement un membre de la "fachosphère", comme l'évoque le quotidien Le Monde.

 

Mais est-il ce "fondamentaliste chrétien" décrit un peu vite dans les médias? Soulignons, d'une part, qu'il n'est pas membre d'une Eglise protestante évangélique (que cette dernière soit de tendance fondamentaliste ou pas). Ensuite, au vu des textes de l'assassin lui-même, il est bon de préciser ces trois points:

1/ L'assassin se démarque d'une appropriation personnelle intense du divin (recherchée par les fondamentalistes) au profit d'une définition culturelle et ancestrale du christianisme (rejetée par les fondamentalistes au nom du primat de la conversion)

2/ Il exalte le passé religieusement, ethniquement et culturellement homogène de la Norvège et de son Eglise nationale (approche combattue par les religions de conversion et les fondamentalismes actuels, notamment les pentecôtismes, présents en Norvège et fortement multiculturels)

anders behring breivik,norvège,fondamentalisme,protestantisme,évangéliques,luthéranisme,le monde des religions3/ Il fonde son discours sur une approche initiatique, ésotérique syncrétique (appartenance aux Chevaliers du Temple, entre autres...), aux antipodes du conversionnisme fondé sur un Texte partagé que  les fondamentalistes religieux prônent aujourd'hui

 

En résumé, la vision religieuse du luthérien Anders Behring Breivik se centre sur un christianisme comme héritage culturel (paradigme constantinien -pour parler comme le théolien catholique George Weigel- des Eglises nationales "de multitude", qui encadrent une population homogène), tandis que les fondamentalismes protestants se centrent sur un christianisme comme identité personnelle (paradigme post-constantinien d'Eglises de convertis, souvent multiculturelles dans les faits).

 

anders behring breivik,norvège, Constantin, George Weigel,fondamentalisme,protestantisme,évangéliques,luthéranisme,le monde des religionsBreivik l'ultranationaliste est attaché à l'Eglise nationale de son pays, la Norske Kirke, de confession protestante luthérienne, comme 85% des Norvégiens (officiellement membres de l'Eglise luthérienne de Norvège).

Et les raisons de fond son islamophobie pathologique (qui motivent explicitement les massacres qu'il a commis) éloignent aussi son univers mental des 2% de fidèles des Eglises évangéliques et pentecôtistes de Norvège. Car que reproche-t-il notamment aux musulmans? D'introduire de la diversité ethnique et religieuse, de saper le ciment norvégien commun, et de favoriser le multiculturalisme.

Ces reproches sont transposables de la même manière à la petite minorité fervente d'évangéliques et de pentecôtistes présents en Norvège, dont l'une des caractéristiques majeures est qu'elles sont largement multiculturelles (ce que Breivik déteste par-dessus tout).

 

En clair, l'assassin d'Oslo n'est pas le "fondamentaliste chrétien" décrit dans les médias.

L'univers religieux de ce sinistre membre de la "fachosphère" scandinave, dont la santé mentale reste à prouver, est même à l'opposé du fondamentalisme, rejetant les recompositions religieuses et culturelles contemporaines (musulmanes ou évangéliques) au nom d'un culte morbide des racines, poussé jusqu'à la folie meurtrière.

 

 

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