Ellul, un nouveau Saint protestant français ? (14/01/2012)

protestantisme,culte des saints,jacques ellul,labor et fides,frédéric rognon,réforme,école de frankfort,technique,islamophobie,écologieJ'ai découvert avec une certaine surprise que le culte des saints, finalement, ça existait chez les protestants, en tout cas en France.

La semaine dernière, en feuilletant l'hebdomadaire protestant français Réforme nouvelle mouture (piloté désormais par Antoine Nouis), je me suis frotté les yeux.

Dans le numéro centenaire sur Jacques Ellul (édition du 5 janvier 2012), pas un article critique, que des éloges.

 On peut certes voir, en Jacques Ellul, un remarquable penseur critique de la technique, même si, dans sa génération, il n'était ni le seul, ni forcément le plus clairvoyant (l'Ecole de Frankfort, notamment, n'était-ce pas plus rigoureux?).  On peut certes voir en lui un authentique intellectuel chrétien anticonformiste, ce qui suscite a priori la sympathie chez beaucoup.

Ses analyses sur la propagande ne manquent pas non plus de sel, ni (plus généralement) l'alacrité de sa plume très (trop?) prolixe.  L'universitaire bordelais était aussi d'une très grande curiosité intellectuelle, et ne s'interdisait rien, y compris en matière théologique, où sa pensée continue à stimuler et provoquer.

Il avait ce côté visionnaire qui manque souvent, aujourd'hui, avec tous les risques, mais aussi les grandeurs, que cela comporte. L'auteur impressionne, par exemple, lorsqu'il se montre capable d'écrire avec lucidité, dès 1972 (!) que: "S’intéresser à la protection de l’environnement et à l’écologie sans mettre en question le progrès technique, la société technicienne, la passion de l’efficacité, c’est engager une opération non seulement inutile, mais fondamentalement nocive".

 

Enfin, il n'avait pas de frontières, ouvrant les fenêtres du débat à l'échelle internationale.

100145 .jpgPour tout cela, chapeau: Jacques Ellul est certainement un des bons auteurs à lire et relire aujourd'hui, et pour découvrir cette figure, on ne saurait trop recommander la belle synthèse de Frédéric Rognon (2007).

 

 Hommage justifié

Banco, donc, pour l'hommage, certainement justifié. Mais des regards critiques? Comment parler, à son sujet, de "briseur d'idole".... si l'on en fait une idole?

 J'ai le malheur de me souvenir de lectures de jeunesse (à l'époque où Ellul n'était pas embaumé) où je me rappelle avoir sursauté en lisant Jacques Ellul.... dénoncer le travail des femmes, faire l'éloge de l'Apartheid en Afrique du Sud, salir le nom de Nelson Mandela, grossièrement caricaturer l'islam (nombre de ses écrits dépassent la critique informée, pour tomber dans ce qu'on appelle aujourd'hui l'islamophobie).  

 

Tentation hagiographique

Par ailleurs, sur le fond, sa manière même de conduire la réflexion sur la technique, sous couvert de non-conformisme, pouvait être passablement idéologique, et parfois carrément simpliste et caricaturale (peu inductive). 

Par ces quelques exemples, il ne s'agit pas de décrédibiliser globalement Ellul, mais de rétablir un regard équilibré, au-delà de la tentation hagiographique.

 A ne retenir aujourd'hui chez Ellul que ce qui brosse dans le sens du poil (Ecologie branchouille, quand tu nous tiens), je crains fort que Réforme ait raté une bonne occasion de pratiquer l'iconoclasme qu'elle voit (à juste titre) dans son modèle.

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