Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Ellul, un nouveau Saint protestant français ?

protestantisme,culte des saints,jacques ellul,labor et fides,frédéric rognon,réforme,école de frankfort,technique,islamophobie,écologieJ'ai découvert avec une certaine surprise que le culte des saints, finalement, ça existait chez les protestants, en tout cas en France.

La semaine dernière, en feuilletant l'hebdomadaire protestant français Réforme nouvelle mouture (piloté désormais par Antoine Nouis), je me suis frotté les yeux.

Dans le numéro centenaire sur Jacques Ellul (édition du 5 janvier 2012), pas un article critique, que des éloges.

 On peut certes voir, en Jacques Ellul, un remarquable penseur critique de la technique, même si, dans sa génération, il n'était ni le seul, ni forcément le plus clairvoyant (l'Ecole de Frankfort, notamment, n'était-ce pas plus rigoureux?).  On peut certes voir en lui un authentique intellectuel chrétien anticonformiste, ce qui suscite a priori la sympathie chez beaucoup.

Ses analyses sur la propagande ne manquent pas non plus de sel, ni (plus généralement) l'alacrité de sa plume très (trop?) prolixe.  L'universitaire bordelais était aussi d'une très grande curiosité intellectuelle, et ne s'interdisait rien, y compris en matière théologique, où sa pensée continue à stimuler et provoquer.

Il avait ce côté visionnaire qui manque souvent, aujourd'hui, avec tous les risques, mais aussi les grandeurs, que cela comporte. L'auteur impressionne, par exemple, lorsqu'il se montre capable d'écrire avec lucidité, dès 1972 (!) que: "S’intéresser à la protection de l’environnement et à l’écologie sans mettre en question le progrès technique, la société technicienne, la passion de l’efficacité, c’est engager une opération non seulement inutile, mais fondamentalement nocive".

 

Enfin, il n'avait pas de frontières, ouvrant les fenêtres du débat à l'échelle internationale.

100145 .jpgPour tout cela, chapeau: Jacques Ellul est certainement un des bons auteurs à lire et relire aujourd'hui, et pour découvrir cette figure, on ne saurait trop recommander la belle synthèse de Frédéric Rognon (2007).

 

 Hommage justifié

Banco, donc, pour l'hommage, certainement justifié. Mais des regards critiques? Comment parler, à son sujet, de "briseur d'idole".... si l'on en fait une idole?

 J'ai le malheur de me souvenir de lectures de jeunesse (à l'époque où Ellul n'était pas embaumé) où je me rappelle avoir sursauté en lisant Jacques Ellul.... dénoncer le travail des femmes, faire l'éloge de l'Apartheid en Afrique du Sud, salir le nom de Nelson Mandela, grossièrement caricaturer l'islam (nombre de ses écrits dépassent la critique informée, pour tomber dans ce qu'on appelle aujourd'hui l'islamophobie).  

 

Tentation hagiographique

Par ailleurs, sur le fond, sa manière même de conduire la réflexion sur la technique, sous couvert de non-conformisme, pouvait être passablement idéologique, et parfois carrément simpliste et caricaturale (peu inductive). 

Par ces quelques exemples, il ne s'agit pas de décrédibiliser globalement Ellul, mais de rétablir un regard équilibré, au-delà de la tentation hagiographique.

 A ne retenir aujourd'hui chez Ellul que ce qui brosse dans le sens du poil (Ecologie branchouille, quand tu nous tiens), je crains fort que Réforme ait raté une bonne occasion de pratiquer l'iconoclasme qu'elle voit (à juste titre) dans son modèle.

Commentaires

  • Merci Sébastien pour cet article! En effet, le spécial Réforme m'a fait l'effet d'une... propagande visant à faire la promotion du discours d'Ellul. Soit, en soi, rien de critiquable. Mais certains articles m'ont paru vraiment racoleurs. D'autres m'ont paru excellents (je pense notamment aux articles de Decarsin, Chastenet et Nouis lui-même).

    La tentation est toujours grande d'élever un personnage plus haut qu'il n'a pu aller lui-même, c'est sûr. Moi-même grand lecteur d'Ellul, je ne refuserai toujours le titre d'ellulien (que beaucoup de lecteurs aiment aborder - ça les regarde et je les respecte) car même si la pensée d'Ellul me stimule et me parle en profondeur, cette forme de sacralisation (contre laquelle il n'a eu de cesse de lutter!) me fait horreur.

    Critiquer Ellul? Bien sûr qu'il le faut! C'est d'ailleurs le contenu de l'oeuvre magistrale de Rognon, que vous citez! Mais pour ma part je nuancerai ce que vous dites d'Ellul sur quelques points.

    D'abord, sur le travail des femmes (cf. Exégèse des nouveaux lieux communs). Il ne s'indignait pas sur le fait que les femmes travaillent - en tout cas tel n'est pas ma compréhension de son propos. Il avait plutôt l'air de s'indigner que ce "mouvement de femmes" prennent pour une liberté ce qui asservit l'humain en général : le travail. Cet engouement soudain des femmes pour le travail lui faisait penser à une magnifique maxime (je suis ironique) : ARBEIT MACHT FREI. Et pour le coup, il posait la question fondamentale : mais que vont devenir nos foyers? Pour lui, un progrès aurait été de voir l'homme (le mâle) plus présent à la maison (donc travailler moins pour vivre mieux?). Or c'est l'inverse qui s'est produit, et là où le salaire d'une personne (oui, d'accord, c'était le mâle et ce n'était pas forcément un bien) suffisait, le salaire de deux aujourd'hui ne suffit pas toujours. Si aujourd'hui, dans un couple, l'un des deux souhaiterait plutôt rester à la maison, ce n'est pas possible, à moins d'avoir un conjoint dont le travail lui donne les moyens. Et le foyer (synonyme de chaleur, de présence, etc.) se transforma en garage à humains, où ceux-ci ne font qu'aller et venir sans plus jamais habiter. Voilà, selon ma lecture, ce qui était le regret d'Ellul concernant le travail des femmes. Je veux donc ici rappeler qu'Ellul était particulièrement en faveur des femmes (voir ses écrits sur la Genèse notamment), mais qu'il refusait le féminisme en tant que mouvement de revendication politique (et politisée) qui ne faisait rien d'autre que de faire ce qu'ont fait les mâles, à savoir prendre la domination sur l'autre. Voie de la revanche, voie de la violence, et voie de l'échec.

    Sur l'Apartheid, j'ai été tout autant choqué et je ne peux être d'accord avec lui - même si sa tentative n'était sans doute pas d'en faire l'éloge : il était "contre les violents" (ce qui ne l'empêchait pas de justifier les actions de l'Etat d'Israël, ce que vous n'avez pas indiqué, mais avec l'objectif de présenter les choses sous l'angle : si vous acceptez de tels actes pour une nation, pourquoi le refuser à Israël?). Peut-être son objectif était-il de relativiser, mais enfin, au sujet de l'Apartheid, ça me semblait quelque peu déplacé. Sur Nelson Mandela - même sujet - il pointait surtout du doigt sa démarche communiste, accompagnée de la propagande et de la violence classique. Bon, c'était un point de vue. Et question encensement, Mandela n'était pas en reste ;-D Mais idem, incompréhension de ma part - comme vous sans doute.

    Sur l'Islam, cela me semble délicat et épineux. En effet, il a écrit à ce sujet, vous dites en caricaturant... Peut-être? Toujours est-il qu'il a remarqué que les musulmans modérés - qui sont les plus nombreux dans le monde - n'ont pas d'autre choix, sous peine de violences, que de se ranger du côté des intégristes, minoritaires, quand ceux-ci viennent au pouvoir. Toute voix contraire étant persécutée, comme dans tous les régimes totalitaires. Bien sûr, les Chrétiens en ont fait autant lorsqu'ils étaient au pouvoir (il le signale à maintes reprises dans ses ouvrages). Son accent n'était pas - me semble-t-il - sur une critique de la religion musulmane en soi, mais plutôt sur l'actualité qui se présente dans les rapports politico-religieux, et le danger de voir s'imposer la Chariah en Occident. Islamophobe, oui, sans doute, mais au sens "peur des conséquences d'un Islam fort". Certainement pas au sens de "peur du musulman". Comme je l'ai indiqué dans l'article Ellul sur Wikipédia, : "Ellul a pu affirmer en 1980, lors de son passage à Radioscopie, l'émission de Jacques Chancel : « Si l'islam redevient l'islam de ses prophètes et de ses mystiques, alors j'ai l'impression que le dialogue peut être extrêmement fructueux »." Il me semble ici "lire" sa motivation véritable, et c'était sa démarche de toujours (à mon avis contre-productive chez la plupart des gens, mais il était lui-même) : prouvez que vous pouvez faire autrement que ce que je dénonce. Ceci n'a jamais été entendu ainsi.

    Si Ellul était un très bon enseignant et un penseur génial (à mes yeux), il était néanmoins peu pédagogue et très provocateur. Ce qui n'aide pas à faire passer son message. Peut-être, justement, pour qu'on ne l'accuse pas de propagande?

    En tout cas, encore merci pour votre article qui permet le débat, et qui équilibre les propos un peu trop sucrés (oserai-je dire mielleux?) du numéro de Réforme.

  • Un grand merci cher Lionel pour ces commentaires éclairés et nuancés qui étoffent considérablement mon propos, qui, vous l'avez compris, visait surtout à rééquilibrer les perspectives.

  • Lionel j'aimerais en rester sur la citation de Ellul que vous évoquez pour tempérer les pensées qui lui sont attribuées sur l'islam
    Mais par exemple l'article de réforme justement paru en 1989 est désastreux au niveau de sa conclusion et c'est 9 ans après l'émission de Chancel
    De plus Ellul à introduit la pensée de Bat Yeor dont les prises de position sont extrêmement douteuses
    Tout n'est sans doute pas a rejeter d'un bloc sur ses positions concernant l'islam que je ne connais pas toutes , mais celle que j'ai pu lire provoquent un malaise
    Mais bon ce n'est pas le point fondamental de la pensée de cet auteur qui a écrit bien plus intéressant

  • Mon père disait souvent que les grands esprits avaient toujours leurs faiblesses. Une vérité qu'il avait du mal à appliquer à lui même !!!

Les commentaires sont fermés.