François Hollande et l'enjeu de la culture générale (12/03/2012)

nicholas_shakespeare_elena.jpgDepuis quelques années, la "culture générale" se trouve questionnée, en France. Du point de vue de la citoyenneté, ce débat peut être excellent ou dommageable.

Excellent, dans la mesure où les critères de culture générale ont besoin d'évoluer, pour éviter le piège d'une réduction à une "culture de classe" (pour parler comme les marxistes).

Dommageable, si on décide de promouvoir, comme solution aux rapports de domination culturelle, "l'inculture générale" pour tous, au prix d'une régression collective (déjà engagée au fil des révisions des programmes scolaires) à laquelle n'échapperont que les happy few (assez riches pour des boîtes privées et des cours particuliers).

L'inculture est certes, en soi, un concept très contestable. Tout être-humain a une culture!

Mais on a plus ou moins de repères culturels, en fonction de la qualité de l'éducation reçue. Si, par "inculture", on entend une difficulté à se décentrer de soi, un conformisme aux diktats consuméristes et une curiosité anesthésiée, alors oui, on peut parler de risque d'inculture.

S'il remporte les élections présidentielles françaises, François Hollande sera-t-il l'homme qui remontera la pente savonneuse de l'inculture générale? A en juger par un tout récent sondage commenté dans l'hebdomadaire Le Point, la réponse serait "OUI".

 

Shakespeare or not Shakespeare

Pourtant, rappelons que dans son discours de lancement de campagne du Bourget (22 janvier 2012), le candidat socialiste à l'élection présidentielle française a illustré, bien malgré lui, ces enjeux et défis d'une dérive vers une culture de plus en plus apauvrie.

Tout en dissertant sur le "rêve français", avec des accents de télévangéliste ("la France est la solution", la démocratie, "plus forte que les religions", le rêve français, "achèvement de la promesse républicaine", "proclamé à la face du monde", amen halleluiah), il a trouvé le moyen de citer, au sujet du rêve français.... un auteur britannique.

Il y aurait certes eu pléthore de grands auteurs français pour illustrer le rêve français (Zola, Hugo, Aragon mais aussi Jaurès etc.). Mais il paraît que Shakespeare, "ça le fait mieux" quand on veut paraître cultivé  (souvenir des fiches des oraux de l'ENA?). Et puis, un britannique, ça donne au moins une touche européenne à une pensée désespérément franchouillarde par ailleurs (qui suscite l'inquiétude de tous nos voisins, mais aussi de Barack Obama).

Citer Shakespeare, c'était osé, peut-être pas très pensé, mais pourquoi pas? François Hollande a donc dit ceci: "Et je me permettrai de citer Shakespeare, qui rappelait cette loi pourtant universelle : Ils ont échoué parce qu'ils n'ont pas commencé par le rêve"

 Le problème est que.... ce n'est pas LE William Shakespeare que François Hollande a cité, mais notre contemporain Nicholas Shakesperare, obscur homonyme du grand Shakespare, et auteur de polars moyens, dont La vision d'Elena Silves (1989), où un terroriste maoiste un peu azimuté prononce la fameuse phrase.

 

logo-evene.pngVérification faite, ceux qui ont écrit le discours de François Hollande ont très probablement dû "pomper" le site Evene, qui propose des citations à la volée. Et ils ont pris un Shakespeare pour un autre.

Comme ils n'ont manifestement pas lu les oeuvres de WILLIAM Shakespeare (sans quoi ils se seraient aperçus tout de suite que la phrase en question ne pouvait provenir de l'auteur), ils ne se sont rendus compte de rien!

 

Inculture ou simple bêtise? (ou les deux?) On ne peut s'empêcher de trouver un caractère cocasse à cet impair embarassant, fort peu commenté par la presse branchouille (attention, c'est François Hollande qui a fait la bourde, pas Nicolas Sarkozy...). Cet épisode rappelle qu'un magazine people (repris par les Guignols de Canal+) avait surpris le même François Hollande il y a quelques années, sur la plage, en train de lire 'L'histoire de France pour les nuls" (hélas, ce n'était pas "La littérature pour les nuls", ce qui aurait évité la gaffe du Bourget, en tout cas cette gaffe-là).

 

De l'inutilité (précieuse!) du savoir...

Au-delà de l'événement, certes révélateur du peu d'épaisseur de certains de nos responsables politiques, l'enjeu de la culture générale continuera sans nul doute à s'inviter dans le débat républicain français des années à venir.

Et à ce titre, recommandons ce bel article publié sur le non moins excellent blog de Catherine Kintzler:

"De l'inutilité du savoir
; Réflexions sur le bannissement de la culture au sein de l’institution scolaire" (par Guy Desbiens et Albert-Jean Mougin)

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