La diversité évangélique (20/03/2006)

medium_diversite.jpgCollectif sous la dir. de Sébastien Fath (Cléon d’Andran, Excelsis, 2003, 144p)


Ce volume collectif n’est pas une synthèse, mais une collection de six études qui apportent une pierre à l’historiographie du protestantisme en langue française. «Y a-t-il un protestantisme?» s’interrogeait Emile-Guillaume Léonard  dès la préface de son Histoire générale du protestantisme. Plus de quarante ans après cette interrogation, l’historiographie du protestantisme a connu des progrès considérables, sans que la question soit pour autant réglée.

Protestants évangéliques entre unité et diversité

Parce qu’ils ne s’identifient à aucune institution centralisée, au contraire du catholicisme, les protestants sont nécessairement confrontés à une certaine « précarité » (Jean-Paul Willaime) : leur identité paraît perpétuellement à réaffirmer, entre unité et diversité. Le protestantisme de type évangélique, expression que l’on a pris l’habitude d’utiliser pour désigner un courant particulièrement focalisé sur la conversion, le biblicisme et l’engagement, semble à première vue échapper quelque peu à cette pluralité.

Pour d’aucuns, les « évangéliques » constitueraient un bloc relativement homogène. Caractérisés par leur conservatisme doctrinal, leur accent sur l’expérience, et leur particulière méfiance pour les appareils institutionnels, les évangéliques sont parfois identifiés, dans leur ensemble, à un christianisme du slogan prosélyte, qui oscille entre la Bible (lue avec peu de médiations) et le miracle (volontiers actualisé). La réalité empirique de cette branche du protestantisme est pourtant bien plus diverse qu’il n’y paraît, et ce volume de 144 pages qui rassemble six contributions entend apporter un éclairage sur cette variété.

Six textes, autant de terrains et d’approches

Différents univers protestants évangéliques sont ici sondés. On aborde des milieux pentecôtistes français, marqués par une articulation complexe entre émotion, sacré et rationalité (textes 1 et 4, consacrés à l’Église de pentecôte de Besançon et à trois milieux pentecôtisants montpelliérains). Le premier baptisme hexagonal, caractérisé par une enceinte doctrinale très affirmée, est également ausculté (texte 2, centré sur le conflit entre baptistes stricts et larges dans les années 1832-42), ainsi que l’Armée du Salut, stigmatisée dans la France des années 1880 pour sa hiérarchie militaire, jugée quasi fanatique (texte 3, «La guerre est déclarée ! Regards protestants sur l’invasion salutiste de 1881»). Deux mondes évangéliques d’une extrême densité sont enfin approchés, celui de l’Angleterre, où se repèrent trois stratégies d’adaptation très différenciées à la sécularisation (texte 5, «évangéliques, institutions publiques et pluralisme») et celui des Etats-Unis, exploré au travers du gigantesque terrain de la musique religieuse (texte 6, «Aspects du rôle de la musique en protestantisme évangélique américain, 1970-90»).

Au fil des textes, on perçoit combien la diversité évangélique n’apparaît pas seulement de l’extérieur. Elle est aussi souvent perçue par les acteurs eux-mêmes, au prix de clivages inter-évangéliques parfois très virulents, comme le montre très bien la contribution de Pierre-Yves Kirchleger. Deux ans après l’arrivée de l’Armée du Salut en France, le publiciste évangélique Eugène Reveillaud estime, à la lecture d’un pamphlet anti-salutiste de Valérie de Gasparin, que le Serpent est là, Satan, «habile comme on sait à se déguiser en ange de lumière. Mme de Gasparin n’a pas tant tort d’expliquer ainsi les S.S. de leur collet.» Des évangéliques qui assimilent d’autres évangéliques à des suppôts de Satan…. On ne saurait décrire plus grande diversité interne ! On peut tout aussi bien parler de divisions, de clivages ou de conflits d’identité (un volume serait un jour à consacrer à la socio-histoire mouvementée des conflits inter-évangéliques).

À la diversité des terrains, dont les textes rassemblés ici témoignent avec éloquence, s’ajoute la variété des approches scientifiques. Aucune discipline ne pouvant prétendre cerner complètement son objet, la possibilité de combiner différents angles et méthodologies apporte une valeur ajoutée non négligeable. On bénéficie ici de deux regards d’historiens du XIXe siècle (S.Fath, P-Y. Kirchleger), de deux perspectives civilisationnistes focalisées sur le XXe siècle (C.Sinclair, D.Zimmerlin), et de deux points de vue qui combinent anthropologie et sociologie (L.Amiotte-Suchet et F. Labarbe).

Le premier volume d’une nouvelle collection d’histoire du protestantisme

Ce double accent sur des terrains évangéliques différents et sur une ouverture à toutes les sciences sociales n’est pas le fait du hasard: il répond au projet d’une nouvelle collection. Intitulée Collection d’Etudes sur le Protestantisme Evangélique (CEPE), dont ce livre constitue le premier volume. Cette collection a pour but de stimuler la recherche pluridisciplinaire sur un terrain où se rencontrent les figures du religieux contemporain que sont le «pèlerin» et le «converti» : le protestantisme évangélique, identité religieuse complexe et plutôt résistante, semble-t-il, à la sécularisation. Jusqu’au seuil des années 2000, cet univers est resté sous-étudié, en France, si on le compare avec les autres branches du protestantisme. Quoique les Églises évangéliques de l’hexagone aient au moins multiplié par sept leurs effectifs depuis 1945, elles restaient sinon une terra incognita pour la recherche, du moins une «carte floue» où cohabitent de rares zones explorées et beaucoup de pointillés.

Ces dernières années, marquées notamment par un colloque international à Paris en mars 2002 (publié aux éditions Brépols à l’automne 2004), ont amorcé un rééquilibrage. Publiée par la maison d’édition Excelsis, cette Collection d’Études sur le Protestantisme Evangélique (CEPE) se situe dans cette dynamique. Elle entend, à sa petite échelle, contribuer à préciser le regard en proposant au lecteur des études de terrain rigoureuses et diverses, livrées par des chercheurs en sciences sociales qui viennent de tous horizons. Le format retenu dans cette collection vise à une présentation scientifique (avec notes infrapaginales) mais aérée (textes de taille moyenne, avec illustration pour chacun), afin de faciliter l’accès à des lecteurs dont le profil ne se limite pas au cercle restreint des spécialistes.

 

Recension de David Roure (Esprit et Vie)

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