Décès d'Yves Lambert (1946-2006) (01/09/2006)

medium_sans_titre.5.jpgLa sociologie des religions vient de perdre un de ses très grands représentants français. Yves Lambert, chercheur au CNRS et membre du GSRL depuis de longues années, vient de nous quitter. Il s'est éteint le lundi 28 août 2006, après une lutte de douze ans contre le cancer des os. Je me souviens avoir croisé Yves Lambert depuis 1997, mais c'est depuis 1999 (année de mon intégration au CNRS) que j'ai eu l'occasion plus régulièrement de le côtoyer, et de l'apprécier. Spécialiste des mutations contemporaines de la religion (et particulièrement du catholicisme), mais aussi du terrain des valeurs, Yves Lambert avait des qualités et des intérêts multiples.

Mais surtout, c'était un vrai chercheur. Le travail de sociologue des religions n'était pas pour lui d'abord l'occasion d'obtenir une fiche de paye ou d'acquérir des honneurs, c'était avant tout une passion, chevillée au coeur, une passion qui l'a habité jusqu'au bout.Cette passion était servie par un tempérament généreux, pénétrant et discret, largement agrémenté par un humour qui indiquait à tous et chacun qu'il ne faudrait pas attendre d'Yves une pose de pontife. Il savait rire de lui-même et des situations, et son sourire apportait à tous, jeune thésard débutant ou chercheur confirmé, le gage de son ouverture. Un hommage scientifique collectif lui sera rendu le 28 septembre 2006, lors du séminaire de rentrée du GSRL. Je me limiterai ici à souligner trois choses qui m'ont touché de près chez Yves. 

La première, c'est le cocktail entre rigueur scientifique, patente dans son traitement méticuleux des données quantitatives (Enquête Européenne sur les Valeurs en particulier), et curiosité. Yves Lambert était d'une curiosité qui semblait ne pas avoir de bornes. Cette curiosité insatiable ne se limitait pas au domaine de la sociologie religieuse. Je me souviens d'une longue discussion avec lui en août 2003, dans l'aéroport d'Atlanta, où nous avions parlé arbres fruitiers, mauvaises herbes, pollinisation. Je découvris avec étonnement à cette occasion la grande culture jardinière d'Yves, phénomène dont j'ai pu voir cette semaine la traduction concrète en contemplant ses massifs et son verger, dans la propriété familiale de La Hilais (voir album photo de septembre 2006). 

La seconde, c'est son grand souci de transmettre. Chercheur au CNRS (détaché de l'INRA où il était rattaché à l'origine), Yves Lambert aurait pu se contenter de chercher, de publier. Mais il avait le souci de transmettre, et de manière très concrète. Lorsque je suis arrivé au labo en tant que chercheur CNRS en 1999, j'ai ainsi pu avoir le privilège, avec quelques happy few, de bénéficier d'une formation à un logiciel de traitement de données quantitatives (SPSS). Le formateur? Yves Lambert lui-même, qui avait à coeur que de jeunes chercheurs puissent reprendre le flambeau. Ce même souci de transmettre a par ailleurs conduit Yves à se perfectionner en anglais, ce qui lui a permis de participer à plusieurs grands congrès internationaux de sociologie, et de publier quelques articles majeurs en langue anglaise, dans les meilleures revues scientifiques internationales. 

La troisième, c'est l'actualité de sa pensée. Publié en 1985, son Dieu change en Bretagne, la religion à Limerzel de 1900 à nos jours, reste une inspiration et un exemple pour toute sociologie religieuse dynamique, soucieuse des mutations diachroniques dans un espace donné. Son hypothèse d'un "tournant axial", pour qualifier les basculements qualitatifs majeurs qui affectent le rapport entre les sociétés et la religion constitue aussi un outil qui n'a pas fini d'éclairer les mutations socio-religieuses que nous vivons, et sur lesquels nous avons tant de mal à prendre le recul nécessaire à l'analyse. Et on attend avec impatience l'ouvrage de synthèse, inachevé, où Yves entendait embrasser toute la réalité religieuse depuis les chasseurs cueilleurs jusqu'aux Nouveaux Mouvements Religieux du XXIe siècle. Ce livre auquel Yves tenait tant sera publié chez Armand Colin. Il prolongera, après le départ d'Yves, une pensée qui n'a pas fini de féconder notre regard.

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