Encadrement religieux des enfants et débat sectaire: deux exemples (23/10/2006)

medium_images-3.5.jpgUne commission parlementaire française est en train d’auditionner sur la question du traitement des enfants en milieu sectaire ou à tendance sectaire. Une question importante, qui nécessite effectivement de la vigilance et du discernement de la part de la société. Pour contribuer à la réflexion, voici deux exemples à méditer, tirés du terrain que j’étudie, à savoir le protestantisme évangélique.

medium_images.19.jpgPremier exemple, celui des Amishs de Pennsylvanie
Comme tous les milieux religieux, les protestants évangéliques peuvent générer, dans leurs rangs, des tendances de type sectaire. Dans l’imagerie populaire, les Amishs de Pennsylvanie illustrent depuis longtemps une de ces orientations, qui vise à marquer des distances radicales avec le monde moderne et sa technologie. Issus du mouvement mennonite, tradition évangélique qui valorise une piété pacifique et communautaire depuis le XVIe siècle, les Amishs se distinguent notamment par leur refus d’adhérer aux derniers progrès techniques. Pour les plus stricts d’entre-eux, il n’est pas question de couduire une voiture, de regarder la télévision, d’utiliser le téléphone ou de porter des vêtements synthétiques.

L’idéal des Amishs est de vivre simplement, en contact avec la nature, comme leurs aïeux du XVIIIe siècle, au sein de communautés homogènes où les enfants reçoivent une éducation «maison», imprégnée des valeurs religieuses du groupe. C’est une de ces communautés du comté de Lancaster, dans l’école de Nickel Mines, qui a été frappée par un tireur fou (1), le 2 octobre 2006. Cinq fillettes sont mortes d’une balle dans la tête, cinq autres sont blessées, et le tireur s’est suicidé plutôt que de se rendre. Les médias français ont raconté cette histoire horrible. Mais ils n’ont pas évoqué les suites. Voici ce qui s’est produit.

(1) Le tireur n'était pas lui-même Amish, et n'avait aucun contentieux personnel avec la communauté. 

medium_061011_amish.jpg La réaction communautaire des Amishs ne s’est pas bornée à entourer les familles meurtries. Elle s’est orientée aussi vers Marie Roberts, la veuve de l’assassin d’enfants. Les Amishs ont demandé qu’on prie pour cette femme et ses enfants, ils sont allés la visiter, ont pleuré avec la veuve, ont encouragé une collecte en faveur de la famille de l’assassin, envoyé des cartes. Plusieurs enfants amishs, bien que bouleversés par le drame qui avait touché leur école, se sont associés à ces démarches. La famille de l’assassin, nommé Roberts, fut tellement touchée de ces marques de pardon et de soutien de la part des victimes qu’elle a rendu public un communiqué le 13 octobre. La famille se dit «submergée par le pardon, la grâce et la clémence témoignés» par les Amishs. Une des phrases répétée par les Amishs à leurs enfants est «Pardonne et oublie» (Forgive and forget). Elle s’enracine au plus profond de la tradition chrétienne, qui souligne que la haine et la vengeance ne font qu’ajouter du mal au mal. medium_images-1.6.jpg

Second exemple, les Fire Summer camps
Cet exemple nous transporte dans un autre milieu évangélique nord-américain, de type (néo)pentecôtiste. Les Fire Summer camps sont des sortes de colonies de vacance militantes pour enfants, fondés par une femme pasteur, Becky Fischer. Comme dans l’exemple Amish, l’encadrement religieux des enfants y est intense.

Du matin au soir, on encourage les enfants à prier pour des sujets précis, qui tournent autour de l’agenda de la Nouvelle Droite Chrétienne. Les enfants prient pour des «juges justes», et prient pour la fin de l’avortement. Pour les aider, on leur donne des poupées en forme de fœtus avortés, histoire de leur faire prendre conscience de l’enjeu. Le thème de la «guerre spirituelle» est martelé tous les jours, les enfants étant encouragés à combattre pour Jésus. Interrogée dans le cadre d’un documentaire, Becky Fischer déclare: «Je veux voir des jeunes gens aussi radicalement engagés pour la cause de Jésus-Christ que les jeunes gens sont engagés pour la cause de l’Islam au Pakistan, en Palestine etc».

medium_10m.jpgUn documentaire, Jesus Camp, sorti aux Etats-Unis le 6 octobre 2006, montre les effets émotionnels de cet encadrement militant sur de jeunes enfants, conduits à répéter, extatiques, des slogans militants, qui mêlent discours anti-avortement et patriotisme religieux («One Nation Under God»). «C’est la guerre, est-ce que vous voulez en être?» Harangue Becky Fisher. On voit une scène où les enfants sont appelés à détruire à coups de marteau des tasses de café, supposées symboliser le gouvernement séculier des Etats-Unis, accusé d'avoir tourné le dos au christianisme. Cette rhétorique de confrontation a suscité les réticences publiques (mais ambigües) de Ted Haggard, président de la National Association of Evangelicals. mais elle n’en mobilise pas moins des centaines d’enfants...Peut-être même des milliers.

 

Conclusion:

Ces deux exemples nord-américains nous montrent l’importance d’une approche fine des questions d’encadrement religieux des enfants. On a ici deux cas d’encadrement religieux fort, issus de la tradition évangélique, susceptibles l’un comme l’autre de soulever la question de possibles dérives sectaires.

Pourtant, il n’est pas difficile d’observer que les effets sociaux de cet encadrement intense sont très différents. Dans un cas, les enfants sont appelés à nourrir et restaurer le lien social, même après une tragédie comme celle qui a touché la communauté de Nickel Mines. Les thèmes de la paix et de la réconciliation priment ici. Dans l’autre, les enfants sont plutôt encouragés à un combat sans merci, certes métaphorique, qui divise l’humanité en deux camps et alimente une rhétorique où domine, de loin, la confrontation conflictuelle.

Ce qui m’amène à cette réflexion: l’intensité de la socialisation religieuse, en elle-même, n’est pas le critère principal pour savoir si oui ou non l’encadrement pose question. C’est aussi dans la manière de socialiser, dans les contenus transmis et dans les effets sur les enfants que l’on peut évaluer au plus juste la situation.

 

NB: pour en savoir plus, je signale que les Mennonites, dont la tradition Amish est issue, ont lancé un blog fort intéressant, qui dépend du Centre Mennonite de Paris (http://www.centre-mennonite.fr/blog/).

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