Sectes et enfance: regard sur le rapport parlementaire (29/12/2006)

medium_images.30.jpgLes fêtes de Noël et Nouvel An ne sont-elle pas sous le signe de l’enfant? Ce contexte me semble bien choisi pour quelques commentaires sur le dernier rapport parlementaire intitulé «L’enfance volée. Les mineurs victimes des sectes» (remis à l’Assemblée Nationale le 12 décembre 2006), que j’ai lu de près. Présidé par le député Georges Fenech (photo ci-contre), ce travail de 213 pages tire profit de 65 auditions, conduites par 30 parlementaires, dans le cadre d’une commission qui a commencé son travail le 28 juin 2006. Je me bornerai à trois remarques.

Première remarque, un rapport utile.


Beaucoup d’acteurs hostiles à la politique anti-secte de la France répètent, parfois avec virulence (certains commentaires postés sur ce blog en témoignent) qu’un tel rapport est inutile, et qu’on perd beaucoup trop d’énergie et d’argent à des affaires qui restent circonscrites. Je ne suis pas d’accord.

Pour les milliers d’enfants concernés par une éducation «sectaire», qui dira qu’une sensibilisation du public est «inutile»? J’approuve ce constat liminaire du rapport: "Leur vulnérabilité physique, leur perméabilité psychologique et intellectuelle à des discours simplistes, leur dépendance matérielle désignent en effet les enfants comme des proies faciles pour des mouvements que l'on a coutume de qualifier de sectaires". (p.9)

 

Autant on ne peut pas prendre pour argent comptant tout ce que racontent les ex-adeptes (qui ont, par définition, des comptes à régler), autant on ne peut pas non plus tenir leurs propos pour quantité négligeable. Les souffrances induites par une éducation sectaire ne sont pas un mythe, et dans une logique républicaine, il est normal que les enfants, proies vulnérables, puissent autant que possible être prémunis contre le formatage sectaire si celui-ci revient à couper l’enfant du monde extérieur.

Que la République française se soucie des plus faibles est une excellente chose. De ce point de vue, ce rapport copieux est utile, d’autant qu’il est fouillé, assez méticuleux et manifestement respectueux du souci d’équilibre éducatif dont l’enfant doit bénéficier dans un contexte laïque. Parmi ses accents, son appel à une meilleure formation de l’Administration en matière religieuse et sectaire me paraît particulièrement bienvenu, mais d’autres observations ou propositions méritent aussi notre intérêt, car elles renforcent ce miel dont les Français sont fiers : la laïcité.

 

Ce rapport constitue et constituera un outil et un jalon appréciable pour toute réflexion ultérieure sur le sujet, et on peut s’en réjouir, dans l’intérêt des enfants de France.

medium_d_21.jpg

 

Seconde remarque, un rapport incomplet.


Ce qui m’a frappé aussi à la lecture du rapport, c’est son caractère incomplet. On a manifestement choisi de «taper» sur quelques cibles prioritaires (cf. dessin ci-dessus), à commencer par les Témoins de Jéhovah, en négligeant de nombreux autres groupes qui mériteraient pourtant aussi un coup d’œil critique. Les protestants, sur lesquels je travaille, ne sont pas totalement prémunis contre les dérives sectaires, y compris dans la manière dont on socialise les enfants. Ils apparaissent très peu dans le rapport, hormis une mention des Frères de Plymouth n°4.

On peut faire exactement la même remarque pour les catholiques intégristes, dont certaines modalités d’encadrement des enfants peuvent aussi poser question. Idem en ce qui concerne les juifs ultra-orthodoxes et certains cercles islamistes (combien de collégiens font-ils Ramadan sous la pression de leur famille? Une petite minorité qu’il serait intéressant d’évaluer).

 

Enfin, rappelons que la définition retenue de la secte, dans la loi du 12 juin 2001 (loi About-Picard) est celle-ci: toute personne morale «qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités» (def. Citée page 100 du rapport). Une telle définition inviterait aussi à aller voir du côté de groupes sociaux non-religieux, mais ultra-militants, susceptibles d’un certain formatage des enfants (extrêmes politiques à gauche et à droite par exemple)... Le rapport s’en garde bien.

Moralité: on est revenu à une « essentialisation » de quelques groupes sectaires (on se focalise sur « les sectes », particulièrement les Jéhovistes, que l’on fige dans une étiquette) au détriment d’une approche plus nuancée et plus large, celle des «dérives sectaires». Cette approche donne des résultats très incomplets, qui ont tendance à exagérer la menace, d’un côté (en figeant certains groupes comme des «sectes» incapables d’évoluer, ce qui est contraire à la réalité sociologique et historique), et à minimiser la menace, de l’autre (en écartant artificiellement du champ d’investigation des terrains qui mériteraient pourtant le regard critique des élus de la République).

 

Troisième remarque, un rapport déséquilibré.


Dans la suite de mon observation précédente, je trouve que ce document est singulièrement déséquilibré, à la fois dans sa méthode, ses conclusions et ses propositions.
D’abord, la méthode. Il est très étonnant d’observer que sur les 65 auditions, aucun sociologue ou historien professionnel des religions n’a été interrogé ! Un seul sociologue, Bertrand Sachs, émarge dans la liste des auditions, c’est presqu’incroyable. La commission évoque une «absence d'analyses sur le phénomène sectaire (...) évidente sur le plan sociologique" (p.128). On croit rêver, tant les ouvrages ou études sociologiques abondent sur la question. Y aurait-il un défaut d’ouverture au monde des députés de la commission ? Ignorer que la République paye des dizaines d’historiens, sociologues, anthropologues du religieux, ressemble, toutes proportions gardées, à ces enfants «sectaires» qui ignorent l’existence de Zidane…

Quand Martine David observe que «L'Etat ne se donne pas suffisamment les moyens pour vérifier au moins le bien-fondé de nos réflexions" (p.24), elle devrait se corriger, et dire: «L’Etat n’utilise pas ses propres moyens (chercheurs payés par la République) pour vérifier le bien-fondé des réflexions engagées».

Il serait temps d’arrêter d’utiliser ponctuellement tel ou tel comme faire-valoir ou caution, et de réviser le fond même de la démarche en intégrant à parité dans les structures mises en place ces quatre piliers d’une approche laïque, à savoir les pouvoirs publics, les anti-sectes, les acteurs religieux et les spécialistes universitaires du religieux. On en est loin, et c’est dommage.

 

Autre défaut de méthode: le «principe du contradictoire», dont la commission se réclame en page 11, n’a pas été bien respecté. On a certes fait parvenir un questionnaire aux organisations dites sectaires. Mais on a oublié ou négligé de les auditionner…. Donnant la part du lion, dans les auditions, aux anti-sectes. Or, si ces derniers sont intéressants et utiles, ils ne sont pas Parole d’Evangile, et la moindre des choses, quand on enquête, est d’interroger tout le monde. Inspecteur Colombo, au secours ! Je serai plus rapide sur le déséquilibre des conclusions, en soulignant simplement qu’il y a dans ce texte un déficit de nuances et tout simplement d’humanité. On semble oublier que les «sectaires» dénoncés (souvent à juste titre) peuvent être aussi des gens bien, à côté de la plaque certes sur divers plans, mais qui ne se réduisent pas à des sortes de robots formatés…. Et qu’ils n’ont pas forcément «tout faux sur toute la ligne».

 

Prenons l’exemple des Témoins de Jéhovah. Empêcher les enfants de fêter Noël ou des anniversaires est certes un peu triste, et le refus des transfusions sanguines peut certes être dangereux; poussée trop loin, la catéchèse familiale peut effectivement s’approcher de l’endoctrinement, ce qui peut légitimement susciter des réserves de fond.

Mais cela n’empêche pas que par ailleurs, le contexte familial TJ peut aussi comporter des aspects positifs, que l’on ne trouverait pas toujours partout ailleurs: accent sur des repères moraux, sur une famille stable et aimante, critique du consumérisme, protection contre les addictions d’alcool ou de drogue, etc. etc. Même la vingtaine heures par semaine consacrée à une activité religieuse, comprise comme inquiétante par la commission, pourrait être envisagée avec plus d’équilibre. Les millions d’enfants qui passent entre 20 et 40 heures par semaine devant la télévision sont-ils forcément indemnes, eux, de tout formatage?

D’une façon générale, le rapport cède à une approche un peu «sectaire» ou unilatérale de la question, ce qui ne laisse pas de surprendre pour un document supposé plutôt lutter contre le sectarisme.

 

Enfin, les 50 propositions présentées en fin de rapport ne respirent pas non plus l’équilibre. Vouloir «donner à la MIVILUDES des pouvoirs plus importants» (p.117) penche dans un sens répressif confirmé par de nombreuses suggestions: répression prime manifestement sur prévention. Georges Fenech, apôtre connu de la "tolérance zéro", a bien laissé sa marque.

On semble préférer créer ou renforcer un «machin» répressif de plus au lieu de mener une prévention intelligente (par exemple, en encourageant la création de structures d’interface, au niveau cantonal, entre tous les acteurs religieux et les pouvoirs publics). Soyons juste: le rapport propose aussi bien des éléments de prévention et de formation, dont j’approuve le principe (resterait à voir les modalités: historiens et sociologues oubliés, ou pas ?). Mais la tonalité dominante est la répression, au risque de certaines propositions presque liberticides (pour le détail, lisez le rapport en PDF).

En définitive, ce rapport utile, incomplet et déséquilibré confirme ce point: "La France est incontestablement un pays où les pouvoirs publics et de nombreux élus se sont montrés très attentifs aux dérives sectaires et à leurs effets" (p.97).

 

En une vingtaine d’années, la République française a multiplié les démarches et les investigations, dont ce rapport est le dernier fruit en date. On a le sentiment qu’on arrive maintenant au bout d’une logique. La sensibilisation (parfois dramatisée) a été faite. Pour éviter le radotage, l’approximation et parfois le ridicule, il est grand temps maintenant de "changer de braquet": le déséquilibre préoccupant de l’enquête proposée par ce rapport indique que le travail de fond à venir ne doit pas se borner à la répression ou l’étiquetage des déviants et sectaires. En rester là revient à entériner la logique démagogique du «bouc émissaire».

 

Sans négliger protection et prévention, le travail de fond doit prendre à bras le corps le renforcement qualitatif des prestations proposées par notre République (des élus qui travaillent mieux –notamment dans la conduite de leurs commissions d’enquête!-, un lien social dynamisé, une société civile encouragée, une laïcité consolidée contre les cléricalismes d’où qu’ils viennent, etc.), à l’écoute d’un mal de vivre citoyen qui erre entre antidépresseurs, paradis artificiels et vote Le Pen.

| Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : république, laïcité, dérives sectaires |  Facebook | |  Imprimer | |