Un "vote protestant" qui bascule à droite? (06/04/2007)

medium_images.40.jpgLe sondage IFOP rendu public le 5 avril 2007 sur le vote des protestants dans la perspective des élections présidentielles de 2007 fait l'effet d'une bombe: depuis des décennies, on pointait les affinités électives du protestantisme français avec la gauche.

Et voilà qu'après une longue phase d'atténuation, on semble aujourd'hui carrément basculer dans l'autre sens: les protestants voteraient plus à droite que leurs concitoyens!

Je renvoie tout d'abord aux excellentes remarques que Jean-Paul Willaime a publiées au sujet de ce sondage dans l'hebdomadaire Réforme. Je voudrais ensuite faire quatre remarques.

1/ Il y a bien un basculement significatif. Le sondage ne montre pas seulement que les protestants votent aujourd'hui en majorité à droite. Il montre que les protestants français votent plus à droite que leurs concitoyens! 34% des protestants français pensent voter Sarkozy, contre 28% des Français. C'est une petite révolution, à insérer dans un glissement plus général des Français vers la droite.

 

2/ Il serait erronné d'attribuer l'essentiel de ce basculement au poids des évangéliques. Ces derniers ont certes tendance, en légère majorité, à favoriser les options conservatrices (cf. le sondage Réforme-La Croix du printemps 2006). Mais ce poids évangélique est important depuis au moins 30-40 ans. Or cela ne fait pas 30 ans que les protestants français ont basculé à droite.

Par ailleurs, ce sondage a retenu les réponses de personnes se définissant comme protestants, ce qui a dû écarter un certain nombre d'évangéliques (qui ne s'auto-définissent pas toujours comme protestants). Enfin, il ne faut pas oublier que le précédent grand sondage sur les protestants montrait que les luthériens français étaient nettement plus à droite que les évangéliques.

Tout ceci laisse à penser que le basculement vers la droite répond à des CAUSES STRUCTURELLES qui touchent tout le protestantisme, et toute la société française, plus qu'à la cause conjoncturelle de la montée des évangéliques.

 

medium_images-2.12.jpg3/ Une cause structurelle que l'on peut avancer est d'ordre éthique. Jean-Paul Willaime observe que "si les protestants sont moins nombreux (59 %) que l’ensemble des Français (67 %) à souhaiter que «l’Etat donne plus de libertés aux entreprises», s’ils sont donc particulièrement sensibles aux risques d’un hyperlibéralisme économique pour les droits sociaux, ils résistent à la libéralisation contemporaine des mœurs, surtout pensons-nous, dans ce qu’elle peut représenter de mise en cause d’un ordre familial centré sur le couple hétérosexuel et les enfants."

Alors que la gauche s'oppose en principe à l'ultralibéralisme économique, elle serait devenue ultralibérale sur le plan éthique, en tout cas dans son choix de corriger la définition millénaire du mariage, en l'élargissant aux homosexuels (promis également au droit d'adopter des enfants).

Une majorité de protestants, avec tous les croyants, se cabre devant cette évolution, qui s'attaque à une part des convictions qu'ils estiment puiser dans leur lecture de la Bible.

 

4/ J'ajouterais pour finir une cause conjoncturelle: il me semble que l'état major de campagne de Ségolène Royal a gravement sous-estimé l'importance de s'adresser à l'électorat protestant. Au lieu d'embrayer spontanément et pleinement dans la tradition protestante de l'analyse et de la délibération de spécialistes comme un Rocard ou un Jospin savaient le faire, Ségolène Royal a préféré s'adresser au "peuple", au travers de débats participatifs peu relayés dans les milieux intellectuels. On peut penser (et je suis de ceux-là) que c'est à son honneur.

Mais en même temps, elle paye aujourd'hui un manque d'effort de séduction en direction de milieux protestants plus bourgeois que populaires.

medium_images-1.14.jpgIl ne faudrait pas oublier non plus que le Parti Socialiste français traverse, sur le plan idéologique, une crise intellectuelle presque sans précédent, qui ne peut que rebuter bien des protestants soucieux de cohérence, de rigueur et d'honnêteté.... Cette déréliction du PS, bien symbolisée par les errements pathétiques d'Eric Besson (lamentablement démago contre Sarkozy, puis lamentablement traître vis-à-vis de Ségolène Royal), n'est pas pour stimuler le vote protestant pour une gauche de gouvernement...

Inversement, c'est la première fois depuis 1981 (candidat Giscard à sa réélection) que le principal candidat de droite aux élections présidentielles n'a pas l'image d'un grand corrompu. La réputation trouble de Jacques Chirac, présent au second tour en 1988, en 1995 et en 2002, n'était plus à faire, ce qui a durablement rebuté les protestants français, traditionnellement soucieux d'une éthique de l'action. Cette fois-ci, avec Nicolas Sarkozy, la droite propose un candidat dépourvu de grosses "casseroles" (du type du scandale des marchés publics de la Ville de Paris). Ce candidat dès lors rebute moins les protestants, malgré son positionnement très à droite, et désinhibe une inclination conservatrice que le très sulfureux Jacques Chirac avait découragée pendant vingt ans.

 

 

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