Jerry Falwell (1933-2007) est mort (16/05/2007)

medium_images.47.jpgTélévangéliste américain, fondateur de la Majorité Morale, pasteur d'une megachurch à Lynchburgh, président d'université fondamentaliste, célèbre pour ses dérapages verbaux et ses jugements à l'emporte-pièce, Jerry Falwell a marqué l'histoire contemporaine des Etats-Unis. Il a tiré sa révérence le 15 mai 2007 à 10H45 du matin, à l'âge de 73 ans. Il sera enterré le 22 mai prochain.

Si les journaux français semblent, pour l'instant, indifférents à cette nouvelle, tous les grands médias d'outre-Atlantique, eux, consacrent d'importants articles à cet homme qui a régulièrement fait la "une" de la presse américaine tout au long des trente dernières années.

 

Jerry Falwell restera comme l'homme par lequel beaucoup de fondamentalistes protestants américains sont revenus sur la scène politique, pesant de tout leur poids sur le Parti Républicain au nom de leur agenda ultra-conservateur. Né le 11 août 1933 dans un foyer d'anticléricaux, Jerry Falwell s'est révélé conforme à ce que les sociologues appellent un leader charismatique, c'est-à-dire un meneur d'hommes énergique, capable de susciter par sa force de caractère des phénomènes d'adhésion très fort, et des dynamiques collectives durables.

Converti en 1952, formé comme pasteur baptiste, ce prédicateur véhément aux yeux bleus a été à l’origine de la Thomas Road Baptist Church, qu’il a fondée en 1956 à Lynchburgh, Virginie avec 35 membres, et qui compte aujourd'hui 22.000 fidèles. Orateur de radio puis de télévision (depuis 1968), il créa dès 1971 un collège fondamentaliste, devenu plus tard Liberty University (plus de 9.000 étudiants aujourd'hui).

medium_Falwell.jpgEntrepreneur religieux très ambitieux, il s’est surtout rendu célèbre en dirigeant la Moral Majority, mouvement qu’il a constitué en juin 1979 en vue de remobiliser politiquement les fondamentalistes. Dissoute dix ans plus tard, la Moral Majority a entre-temps soutenu l’élection de Ronald Reagan et défendu bruyamment les valeurs morales traditionnelles de la Bible Belt (litt., ceinture biblique, qui correspond au Sud des Etats-Unis, très marqué par les évangéliques et les fondamentalistes protestants).

Il a été l'homme par lequel le fondamentalisme américain, à l'époque peu intéressé par la politique, est revenu sur la scène publique sous la forme d'un ensemble électoral cohérent, influent, capable de peser sur le destin des élections... et d'attirer l'attention des grands médias.

Cela ne s'est pas fait sans mal: parmi les protestants évangéliques dont il est issu, Falwell a enduré des critiques sur sa gauche (de la part d'évangéliques qui, comme Jimmy Carter, pensent qu'on déforme l'Evangile en le politisant sur la base d'un agenda moral tronqué) mais aussi sur sa droite (de la part de fondamentalistes purs et durs qui, comme Bob Jones, ne supportent pas que Falwell renonce au séparatisme traditionnel de sa famille religieuse en s'alliant avec des catholiques, des mormons et des juifs).

medium_images-2.16.jpgMais Falwell a persévéré, et marqué des points, attirant l'attention des principaux médias nationaux et internationaux. Même si l'électorat direct que Falwell et Robertson ont su capter s'est limité à 2 millions d'électeurs, la Moral Majority a réussi à rassembler, à ses plus beaux jours, 6,5 millions de membres, et déployer une influence indirecte sur un cercle encore bien plus large (jusqu'à 50 millions d'évangéliques américains -mais aussi plusieurs millions de catholiques- ont pu tenir compte, à des degrés divers, de tel ou tel mot d'ordre de la Moral Majority).

A l'image de son compère Pat Robertson qui l'a rejoint sur la même ligne, Jerry Falwell a comme incarné, pendant 30 ans, la Nouvelle Droite Chrétienne, avec son populisme, son conservatisme, ses outrances et ses obsessions (les homosexuels, les féministes, l'avortement...).

Les exemples, dans ces deux derniers domaines, n'ont pas manqué au fil des années, alimentant en dépêches croustillantes les Agences de presse. Après le 11 septembre 2001, Falwell n'avait pas hésité à déclarer que l'Amérique l'avait bien cherché, en libéralisant la sexualité et ouvrant une avenue aux homosexuels et aux féministes...

medium_images-1.18.jpgDeux ans avant, il avait publiquement affirmé que l'antéchrist était certainement vivant, aujourd'hui, sous la forme d'un homme juif. Un mois après cette déclaration, il avait pointé du doigt un des personnages des Teletubbies (émission pour les tout petits), en déclarant que Tinky Winky, parce qu'il portait un sac à main, encourageait l'homosexualité...

Plus récemment (émission "Sixty Minutes", 2002), c'est aussi à Falwell que l'on doit d'avoir qualifié le prophète Mahomet de "terroriste", entraînant des émeutes en Inde. Dernière perle de taille: il avait oser affirmer, en septembre 2006, que la candidature d'Hillary Clinton à la présidence des Etats-Unis mobiliserait la Droite chrétienne mieux que Lucifer le ferait...

Falwell ne se résumait cependant pas à ses dérapages. Capable de surprendre ses alliés, prêt à débattre sur tous les terrains et dans tous les lieux (son débat avec Larry Flint, empereur du porno américain, est resté célèbre, voir photo ci-dessous), chef d'entreprise avisé, il a su déjouer jusqu'au bout les pronostics qui lui promettaient de retomber dans l'anonymat.

 

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 Ci-dessus: Jerry Falwell (à droite) débat avec Larry Flint, CNN, Larry King Show, 10 janvier 1997

 

Une question ouverte est de savoir quelle succession Falwell laisse derrière lui. La plupart des commentateurs américains mettent l'accent sur un vacuum. Falwell semblerait plus exemplaire d'une 'vieille garde' déclinante que d'un courant de fond. James Dobson a aujourd'hui 71 ans, Pat Robertson 77 ans, James Kennedy 78... Les vieux grognards de la Moral Majority ne sont ou ne seront pas tous remplacés. Le Washington Post est catégorique: la fraction d'ultras représentée par Falwell serait en train de s'éteindre (dying out).

En témoigne la distance qu'affichent l'immense majorité des jeunes pasteurs de megachurches, aujourd'hui, avec l'engagement politique. Echaudés par beaucoup de promesses républicaines non tenues, la plupart des fondamentalistes et évangéliques tentés par la politique, dans les années 1970, 1980 et 1990, se montrent aujourd'hui réticents. Plusieurs ouvrages à succès ont souligné, sous des angles divers, ce changement d'humeur.

En témoigne aussi l'impopularité croissante de Falwell auprès de la majorité des évangéliques américains, lassés des propos outranciers de ce dernier. Un sondage 2004 pour PBS (Religion & Ethics Newsweekly) montra ainsi que les évangéliques américains interrogés avaient moins de respect pour Falwell (a priori, un des leurs) que pour le pape catholique Jean-Paul II...

Les tonitruentes années de la montée en puissance de la Nouvelle Droite Chrétienne appartiennent donc, selon toute probabilité, au passé. Aucun des enfants de Falwell ne reprend, du reste, le flambeau politique. Un fils reprend l'université (Jerry Falwell Jr), un autre l'église (Jonathan Falwell), laissant l'engagement politique public au rayon des souvenirs.

 

 medium_B000FL1COC.01-A35F2YAKCF027D._AA280_SCLZZZZZZZ_V53185596_.jpgL'HERITAGE DE FALWELL

Cela ne signifie pourtant pas qu'une parenthèse se referme. Le mouvement initié par Jerry Falwell n'est pas sans lendemains. On peut distinguer au moins cinq héritages durables.

 

a. Un électorat religieux remobilisé 

-Un acquis reste la capacité de mobilisation d'un électorat religieux (phénomène inconnu dans les années 1960) sur des agendas précis (famille, avortement etc.).

b. Un Parti Républicain durablement influencé par la Droite chrétienne 

-Un autre acquis est l'incorporation, dans la structure et l'identité du Parti Républicain, d'une robuste et durable composante chrétienne conservatrice, évaluée aujourd'hui entre 25% et 33% des forces vives du Parti Républicain.

 c. Un conservatisme politique chrétien culturellement décomplexé

-A l'heure du bilan, on ne saurait oublier non plus que Falwell a été de ceux qui ont décomplexé les conservateurs populistes sur la scène publique comme sur la scène religieuse. Ce n'est pas un hasard si Falwell a été salué et encensé, après son décès, par nombre de personnalités évangéliques et/ou fondamentalistes ultra-conservatrices et actives sur la scène publique, tel Richard Land, de la Convention Baptiste du Sud (1). Falwell a brisé des tabous, permettant à d'autres, ensuite, de s'engouffrer sur le créneau de la dénonciation publique des "libéraux", des "permissifs", au nom de "valeurs chrétiennes" manipulées comme un capital politique.

d. Quelques continuateurs 

-Enfin, même s'il est vrai qu'on observe une nette décrue dans l'engagement de figures fondamentalistes de premier plan sur la scène publique, Falwell ne laisse pas un vide complet derrière lui sur ce plan, comme en témoignent depuis quelques années les prises de positions conservatrices et médiatiques régulières de Franklin Graham, télévangéliste et fils aîné de Billy Graham.

 e. Une image publique des évangéliques dégradée 

-Ultime acquis, la dégradation durable de l'image des évangéliques aux Etats-Unis. La politisation ultraconservatrice opérée à l'initiative de la Majorité Morale a beau n'avoir pas rassemblé tous les évangéliques américains, loin s'en faut, le grand public et les médias ont largement fait l'équivalence entre l'agenda d'un Falwell et l'identité évangélique en général. 

Une enquête en milieu enseignant publiée le 7 mai 2007 le confirme une fois de plus: 53% des 1200 professeurs interrogés ont une vue négative des évangéliques, associés à l'intolérance et au refus de la science (2). C'est largement à l'activisme de Falwell et de ses amis que les protestants évangéliques doivent aujourd'hui, aux Etats-Unis, cette mauvaise image.

 

Jerry Falwell ne s'est donc pas réduit à un coup de tonnerre sans lendemain dans le ciel politique et religieux des Etats-Unis. Il a durablement modifié les équilibres en jeu, et dans l'équipe de chaque grand candidat aux prochaines présidentielles américaines de 2008, gageons que nul n'oubliera l'ombre de Jerry Falwell.

 

(1) Land a qualifié Falwell de "vrai géant de la foi".

(2) Et 71% des professeurs interrogés considèrent que les Etats-Unis se porteraient mieux si les fondamentalistes protestants restaient en dehors de la politique. 

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