WESTERN CATHO en 2007 : «ça barde à Niafles» (05/07/2007)

72a50df01d4b7a92f91bf962da038cd3.jpgUne église prise d'assaut, réglements de compte au village, des forces de l'ordre (et un évêque) un tantinet débordés....

Non, vous n'êtes pas dans un film de Sergio Léone. Bienvenue à Niafles, France, 2007.

 

Plantons d’abord le cadre du scénario.

3aedeae62a2a20dd7a57c5c340f10d4e.jpgNous sommes en Mayenne, dans l’Ouest français, cadre de ce «Western catho», en plein pays Chouan. Ici, le catholicisme c’est un peu comme le camembert: une tradition gourmande.

Les taux de pratique sont bien plus élevés que la moyenne nationale, et même si «Dieu change en Paroisse», pour reprendre l’excellente étude qu’Olivier Bobineau, chercheur au GSRL, a consacré à une paroisse de Mayenne, la tradition catholique, notamment la messe en latin, y est plutôt plus vivace qu’ailleurs.

Cela n’empêche pas tout de même une sécularisation manifeste, qui détourne une large majorité de la population de la pratique religieuse régulière.


b23fbd8f4b61dc89629e6d0e129dcc44.jpgVenons-en maintenant à l’affaire de Niafles.
C’est dans ce contexte que se situe l’affaire de Niafles, village au Sud de la Mayenne.

Depuis 40 ans, la messe en latin y était célébrée par un prêtre féru de Tradition catholique, l’abbé Chéhère. Les choses, semble-il, ne se passaient pas trop mal, même si la municipalité grinçait un peu des dents.

Mais voilà qu’au décès de l’abbé, l’évêque de Laval, Monseigneur Maillard, n’a pas souhaité reconduire sur place les-dites messes traditionalistes. En remplacement, bon prince (pensait-il), il a proposé aux fidèles du rite de Saint-Pie V des messes en latin à Laval.

Fureur des catholiques traditionalistes du cru! Se sentant, à tort ou à raison, lâchés par leur évêque, les voilà qui d’office, décident de poursuivre à Niafles les messes telles qu’ils en avaient l’habitude, conduits par l'affable abbé Néri. Et comme ils s’estiment lâchés par leur hiérarchie, donc en danger, ils prennent les devants et occupent carrément l’église de Niafles.

En apparence, les choses continuent donc comme avant. Mais deux ruptures ont eu lieu.

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De l’engrenage à la guerre civile locale.
La première rupture, c’est qu’en raison du lâchage dont ils s’estiment victimes par leur hiérarchie, les traditionalistes se radicalisent en «occupant» l’église niaflaise 24H sur 24, suscitant l’hostilité croissante d’une partie de la population locale.


La seconde rupture, c’est que le maire socialiste du village, Michel Montécot, déjà explicitement hostile à la sensibilité catholique qui dominait dans l’église, a saisi l’occasion pour opérer une mobilisation locale qui va crescendo, visant à bouter les occupants hors de l’église niaflaise.

Au risque de s’attirer l’inimitié d’une part non négligeable des locaux, qui le surnomment «Peppone».


Résultat : une montée des enchères, jusqu’à la violence. Le 25 juin 2007, une foule en colère converge vers l’église. Une bousculade a lieu, quelques coups de poing… Ce n'est quand même pas l'émeute, encore moins une bataille rangée, mais la porte de la sacristie est fracassée, et finalement, les occupants chassés.

Cette "attaque" a fait l’objet de deux films visionnables sur Youtube, et a suscité un intense buzz médiatique, notamment sur Internet, où un nombre important de bloggeurs, y compris à l'étranger, se passionne pour l'affaire.


Deux jours plus tard, les traditionalistes, qui ont entre-temps réoccupé l’église de Niafles, en sont à nouveau expulsés manu militari, et la porte de la sacristie est fracturée une fois de plus! Oui, "Niafles, ça barde"...

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Drôles d'émules (malgré eux) des huguenots du Désert?

Une messe sous le rite Saint Pie V en forêt.... en 2007

 

Depuis, ambiance de guerre civile, campagnes d’affichage sauvage, rumeurs de sorcellerie, et messes traditionnalistes dans la forêt, sur le modèle des «cultes au désert» des huguenots (XVIIe-XVIIIe siècle), ou, plus récemment, des baptistes laférois (Aisne), obligés de se réunir dans la forêt de Saint-Gobain sous le Second Empire (XIXe siècle) après avoir été expulsés de leur lieu de culte.


Je laisserai à des spécialistes pointus du catholicisme le soin de commenter plus avant ces événements, dont on trouve un résumé de synthèse et une chronologie (par un sympathisant des catholiques tradis du coin) à l’adresse de la Gazette de Niafles.

REFLEXIONS COMPARATISTES

Pour ma part, je voudrais tirer quelques réflexions comparatistes.

Je commencerai par pointer, dans ces événements, trois éléments révélateurs communs aux mutations religieuses françaises actuelles. Je soulignerai ensuite en quoi ces événements montrent aussi la distance culturelle persistante qui sépare l’univers catholique de l’univers protestant.

Trois leçons révélatrices

Premier élément, ce western niaflais montre bien le décalage entre religion comme choix pratiqué et religion comme patrimoine culturel.

Le paradoxe ici est que le choix pratiqué est défendu par les traditionalistes, qui pratiquent activement et revendiquent un choix fort, au risque de fortement déplaire.

Tandis que les non-pratiquants et les non-catholiques, eux, bien qu’a priori moins attachés à l’idée de tradition, sont  en fait très attachés au patrimoine culturel de l’église villageoise (même s’ils y mettent très peu les pieds), une église qu’ils n’entendent pas voir confisquée par des catholiques qu’ils jugent extrémistes.

Deuxième élément, cette affaire illustre les ambiguités du discours sur la tolérance. Les catholiques traditionalistes ne revendiquent pas la tolérance comme une valeur.

Il suffit de voir certains commentaires venimeux, sous les vidéos Youtube, pour se rendre compte qu’ils ne portent vraiment pas les franc-maçons et les socialistes dans leur cœur!

Leurs adversaires, eux, brandissent la tolérance comme étendard. Mais  il faut reconnaître qu'ils ne le prouvent guère par leurs actes: au bout du compte, qui a été le plus intolérant, les traditionalistes ultra-conservateurs qui voulaient continuer à célébrer leur messe, ou les manifestants auto-revendiqués comme ‘ouverts d’esprit’ qui les chassent par la force, et les contraignent à se rassembler…. dans la forêt? Pas si simple de trancher.

Troisième élément, ces incidents soulignent une fois de plus les limites atteintes dans l’attribution des lieux de culte pré-1905. Ces lieux de culte, dans la plupart des cas, appartiennent aux communes. Mais ils sont «mis à disposition» des communautés religieuses.

Qu’est ce que cela veut dire?

C'est loin d'être toujours évident, notamment lorsqu’un groupe local anime le lieu, tandis que l’autorité dont il dépend ne cautionne pas. Evoqué notamment par Jean Baubérot dans ses indispensables travaux sur la laïcité et le pacte de 1905, ce sujet épineux ressurgit comme un serpent de mer.

Séquelles appelées à disparaître? Je n’en crois rien. A mesure que les institutions religieuses centralisées perdent de leur emprise, des affaires comme le western niaflais risquent au contraire de se produire de plus en plus souvent.



27b820d7c0731857bc74f4a3766d026c.jpgTrois écarts avec la culture protestante

J’en arrive maintenant aux enseignements que cette affaire nous livre sur les décalages persistants entre culture catholique et culture protestante.


1/ Rapport à l’institution
On voit ici une hiérarchie qui décide pour la communauté locale au risque d’aboutir à un conflit frontal. Ceci peut aussi se produire en protestantisme, mais beaucoup plus rarement, dans la mesure où les protestants valorisent davantage les paroisses ou églises locales, et moins les institutions centralisées et autoritaires.

2. Rapport au territoire
On observe aussi dans cette affaire un rapport viscéral au territoire. Les catholiques attachés au rite de Saint Pie V se réunissaient depuis des décennies à Niafles: si on veut les en empêcher, ils occupent alors le lieu de culte.

Bien que depuis 25 ans, la paroisse catholique en France se définit de moins en moins comme un territoire donné (et de plus en plus comme une communauté), le lieu de culte lui-même reste très très important pour les niaflais traditionalistes, et il l’est du reste aussi pour les autres habitants catholiques.

Ce lien entre identité chrétienne et territoire s’observe aussi chez les protestants, mais à moindre échelle, particulièrement dans la branche évangélique, où c’est la congrégation des fidèles (et non le lieu) qui fait d'abord sens.

3/ Rapport au rite
Enfin, cette crise s’opère d’abord autour d’un rite, en l’occurrence celui de la messe en latin (dite rite de Saint Pie V), tout juste réhabilitée par Benoit XVI. Le maire socialiste du cru, qui n'est pas le diable décrit par certains, affirmait à Ouest France ne pas être contre la messe en latin, "mais pas tous les dimanches". Mais pour les occupants, le "tous les dimanches" n'était pas négociable.

Il existe aussi des cultures protestantes ritualistes (y compris chez les évangéliques, quoique ces derniers jureraient du contraire), mais le rite reste en principe second derrière la prédication, l’enseignement. Beaucoup de paroisses et d’églises protestantes varient d’ailleurs leurs rites.

441230d98e947c501d0540d9e656b6e2.jpgIci, le maintien de la centralité rituelle, dans le cadre de ce que Jean-Paul Willaime a décrit comme une culture ‘institutionnelle-rituelle’, détermine la clef du conflit, tandis que l’épicentre des crises protestantes tourne plutôt autour de la doctrine.

Ces décalages, je le précise, ne sont pas statiques. Je dirais même qu’ils ont tendance à se résorber un peu.

J’ajoute enfin qu’ils n’empêchent aucunement que jouent, de manière transversale, des dynamiques similaires en terrain catholique et protestant.

Mais ils révèlent néanmoins le maintien de cultures chrétiennes différenciées, qui gèrent chacune à leur manière les conflits internes posés par le heurt entre communauté locale et institution, pratique non-conformiste et air du temps, choix et tradition.

 

Note de méthode: 

Oui je sais, en tant que spécialiste du protestantisme, de quel droit publier cette note sur une affaire catholique aussi épique que complexe?

A ceci je répondrai :
1/ Au-delà du protestantisme, je m’intéresse depuis longtemps au fait religieux en général, et au fait chrétien en particulier (catholicisme, orthodoxie, protestantisme)


2/ Je plaide de longue date pour le comparatisme, et il me paraît particulièrement essentiel, dans un monde de plus en plus globalisé et inter-dépendant, de sortir des ornières monographiques


3/ L’affaire évoquée ici pose directement la question des types de communautés religieuses, or vous savez bien, chers bloggeurs, que l’enjeu communautaire m’intéresse particulièrement, en tant que chercheur et en tant que citoyen (cliquer sur le mot clef «communautés», et vous verrez)

 

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