Secret Sunshine, fenêtre sur l'évangélisme sud-coréen (05/11/2007)

a857f323d59ee625031cbcecfb2d0a9e.jpgSecret Sunhine, réalisé par Lee Chang-Dong (ancien ministre de la culture de son pays), est actuellement sur les écrans. Allez le voir!!

C'est peut-être LE  film coréen de l’année. Son actrice principale, Jeon Do-Yeon, a reçu la palme de la meilleure interprétation féminine au dernier festival de Cannes. Une récompense amplement méritée pour une vraie tragédienne.
Comme un diamant poli, ce film peut être abordé sous des facettes multiples. Je parlerai ici de la manière dont sont montrés les protestants évangéliques.

Voici en effet un des très rares films relativement grand public qui dépeint en détail des protestants évangéliques, en l’occurrence ici des évangéliques sud-coréens.

 

 Evangéliques en Corée du Sud

Ce n’est pas un hasard. La Corée est un pays très profondément marqué par le christianisme, où le protestantisme a fait florès, en particulier sous sa forme évangélique. Dans l’attente du dépouillement des données du recensement 2005 relatives à la religion, on ne dispose pas de statistiques à jour sur leur nombre en Corée.

Mais on sait qu’ils représentent a minima un Coréen sur cinq, voire un sur quatre, et peut-être même plus.

L’enquête World Value Survey (WVS) montre ainsi qu’entre 1982 et 2001, le pourcentage de protestants serait passé de 23,5 à 39,3%. Ce dernier chiffre est sans doute au-dessus de la réalité, mais l’évidence demeure: la Corée du Sud est, après la Chine, le premier poids lourd chrétien d’Asie orientale, un poids-lourd lesté de millions d’évangéliques.

4f5193565b556d79b7e17c4ac67bd449.jpgUn terrain qui exporte des milliers de missionnaires et bénévoles, mais qui en accueille aussi: Franklin Graham, télévangéliste américain qui a succédé au fameux Billy Graham, a ainsi récemment rassemblé 325.000 personnes lors d’une méga-croisade à Busan au mois d’octobre 2007 (du 18 au 21).

On comprend dès lors qu’un cinéaste aussi talentueux que Lee Chang-Dong ait désiré porter son regard d’artiste et de dramaturge sur cette réalité religieuse coréenne si vivace, qu’il a en partie approchée au fil de son parcours (sans être pour autant évangélique lui-même).

Il parvient à le faire sans caricature, en montrant la fonction sociale exercée par une église évangélique (de couleur presbytérienne semble-t-il) auprès de l’héroïne.

L’histoire principale est déprimante, mais aussi d’une profonde humanité.

On montre une jeune femme, Shin-Ae précocement veuve, qui s’exile dans la région d’origine de son mari défunt, dans la petite ville de Miryang, un endroit «comme n’importe quel autre».
Elle commence à s’intégrer, quand soudain, Jun, son fils unique est enlevé, séquestré, puis tué par un déséquilibré.

 Sortir du désespoir

Qui, alors, pourra la sauver du désespoir, de la folie ? Pas son frère, distant et donneur de leçons. Certainement pas sa belle-mère, qui vient à l’enterrement de l’enfant pour déverser sur Shin-Ae une colère accusatrice qui ne fait qu’alourdir le fardeau. Les commerçants? Ils sont polis, mais médisants. Reste zapper devant la télévision, mais le petit écran n'apporte rien d'autre qu'un dérivatif dérisoire.

f6f40fad3c9be7a69ec5c1fe14c81c80.jpgTélévision, famille, voisinage... Pas de grande aide à attendre de leur part. Reste un garagiste, superbement interprété par Song Kang-Ho. Amoureux transi, il va patiemment la suivre, l’encourager, l’accompagner dans sa quête de consolation.

Reste aussi une communauté évangélique, que Shin-Ae rejoint suite à l’invitation de sa pharamacienne, elle-même évangélique fervente. "Seul l'amour de Dieu peut vous guérir", lui dit-on.

Accueillie à bras ouverts dans l’église évangélique du coin, Shin-Ae va faire l’expérience d’une conversion. Elle est transfigurée, retrouve le sourire. "Je vais recommencer à zéro", affirme-t-elle, dans la plus pure rhétorique évangélique.

Le spectateur a droit alors à plus de 30 minutes de plongée dans les pratiques d’une église évangélique coréenne assez tempérée (pas un groupe hyper-charismatique, loin de là).

Prières en commun, réunions chez l’habitant, culte avec appel à la guérison du cœur, réunion d’évangélisation en plein air, cantiques (dont plusieurs ne dépayseraient pas des évangéliques français, langue en moins), tout y est. Un vrai documentaire!

A apprécier comme tel pour qui veut connaître de plus près ces millions d’évangéliques coréens, disciplinés (voir le service d'ordre du parking), conviviaux et missionnaires, dont on voit très bien, dans le film, les atouts sociaux.

Mais voilà, l’excès de zèle de la jeune convertie conduit Shin-Ae à vouloir rendre visite au bourreau de son fils, afin de lui pardonner. Sa communauté ne l’y encourage pas franchement, mais Shin-Ae, qui y tient, ose la rencontre.

Et là, patatras : voilà que l’assassin lui-même dit s’être converti, avoir reçu le pardon de Dieu, être une nouvelle personne!

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 Jeon Do-Yeon et Song Kang-Ho

Tout le système psycho-religieux qui avait permis à Shin-Ae de se reconstruire, pensait-on, s’écroule devant cet assassin trop facilement pardonné, cet assassin dépourvu de l’immense remord que Shin-Ae aurait été en droit d’attendre.

Comme si la grâce, jugée à trop bon marché, perdait son pouvoir de guérison en occultant le douloureux travail de repentance et de pardon impliqués par le sang versé.

La dernière partie du film, dès lors, relance la spirale de crise: mortifiée, déboussolée, Shin-Ae quitte les évangéliques auprès desquels elle n’a trouvé qu’un répit momentané dans sa souffrance, et ne leur voue plus que ressentiment.
Mais elle ne se stabilise pas ailleurs non plus, guettée par la folie.

Spirale 

La voilà qui risque des transgressions, regard vers le ciel, qu’elle interroge : «tu me vois?» Ce dieu auquel elle s’adresse, où est-il? Le film laisse les questions ouvertes, conformément aux options choisies par le réalisateur.
A la fin des fins, le plan se termine sur une flaque de boue, dans le terre-à-terre d’un quotidien qui essaie de se remettre en place après la folie du désespoir.

Shin-Ae est alors toujours accompagnée du garagiste amoureux qui l’a suivie partout, même chez les évangéliques.

Mais contrairement à elle, il est resté, lui, membre de l’église qu’elle a quittée.


Une église montrée sous un jour nuancé, avec son accueil, sa prise en charge de la souffrance, son accent sur la prière communautaire, son côté aussi «recettes-toutes-faites», et sa tension entre l’intériorisation des normes, le contrôle social, et la tentation de la transgression (épisode du mari de la pharmacienne…).

En conclusion :
-Un film à voir pour sa qualité dramatique et métaphysique
-Un film à voir pour sa peinture de la société coréenne
-Un film à voir pour sa description fine des sociabilités évangéliques


Nota Bene: une partie des médias français s’est trompée au sujet de la communauté religieuse dépeinte dans ce film. Alors qu’il s’agit d’une église évangélique plutôt classique et modérée, représentative de millions de Coréens, Le Monde parle de «secte de protestants» (Jean-Luc Douin), Jacky Bornet d’une « secte chrétienne » (France2 et France3.fr), Didier Péron de «secte» (Libération).

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