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Billy Graham, pape protestant ?

medium_Graham.3.jpgSébastien Fath (Paris, ed. Albin Michel, 2002, 310p)
 
« Ce jour (du 11 septembre ) pourra être remémoré comme un jour de victoire »… si le peuple américain se rapproche de Dieu. C’est par ces paroles singulières que l’évangéliste Billy Graham (83 ans) a conclu la prédication qu’il prononça, le 14 septembre 2001 à la Cathédrale Nationale de Washington, devant l’élite politique du pays. Lors de l’office oecuménique qui a suivi le “Pearl Harbour intérieur” des attentats du World Trade Center et du Pentagone, le prédicateur a servi une fois de plus de « grand prêtre de la religion civile américaine » (J.Gutwirth).  

Médiateur privilégié entre une nation en état de choc et un imaginaire religieux sous le signe de la conversion et de la rédemption, il a su exprimer une forme de consensus religieux à connotation patriotique.

Impact planétaire

L’impact persistant de Billy Graham, aux États-Unis comme dans le monde, suscite l’interrogation. Qui est cet homme ? Que représente-t-il ? Que nous apprend-il sur nos cousins d’Amérique ? Né dans le Sud des Etats-Unis, ce protestant évangélique est la star religieuse n°1 des Américains. Un temps proche des fondamentalistes, anti-communiste forcené durant les années 1940-50, il a su se recentrer depuis, pour occuper à partir du milieu des années 1970 un statut consensuel qui en fait l’émule américain de l’abbé Pierre. Aucun protestant n’a jamais rallié de telles foules autour de son nom, aucun prédicateur n’a connu un tel succès médiatique et planétaire, construit au fil de plus d’un demi-siècle de “croisades” d’évangélisation qui l’ont conduit aux quatre coins du monde, y compris à Paris (Vel d’Hiv en 1955, Porte de Clignancourt en 1963, Bercy en 1986). Ami personnel de tous les présidents américains depuis Eisenhower jusqu’à George W. Bush fils, il a prié pour Bill Clinton comme pour Richard Nixon, pour Lyndon Johnson comme pour Ronald Reagan. Les sondages annuels Gallup, aux Etats-Unis, le placent en tête –et de loin- des Américains les plus appréciés et les plus connus de l’après-Seconde Guerre Mondiale, et son entreprenariat planétaire d’évangélisation l’a placé, en terme de notoriété, aux abords du Pape Jean-Paul II ou du Dalaï Lama. Depuis sa première croisade-monstre de Los Angeles, en 1949, jusqu’à son sermon d’après 11 septembre 2001, sa figure charismatique a cristallisé une certaine image du message de la Réforme.

Pèlerin et converti

L’objet de ce livre publié chez Albin Michel est d’analyser la capacité de mobilisation de Billy Graham dans le contexte de sociétés contemporaines marquées par la sécularisation et la compression de l’espace et du temps (globalisation). Cette investigation, focalisée sur l’évangéliste, permet en passant de mieux comprendre l’univers religieux américain si dépaysant pour les Européens, et d’ausculter l’identité protestante évangélique (Evangelicalism), christianisme de conversion transnational et militant qui représente plusieurs centaines de millions de fidèles dans le monde. En fin de volume, des outils sont proposés pour faciliter cette compréhension : un glossaire, une bibliographie et une ample chronologie.

Bâti après deux séjours de recherche au Billy Graham Center à Wheaton (Illinois) en 2000 et 2001, cet ouvrage est construit de manière thématique, en combinant histoire et sociologie. Par le biais de son itinéraire charismatique (chapitre 1), de sa doctrine (chapitre 2), de son inscription dans le paysage politique américain (chapitre 3), mais aussi par le choix qu’il a fait d’un entreprenariat à l’échelle mondiale (chapitre 4) appuyé sur une maîtrise exceptionnelle de l’image (chapitre 5), Billy Graham est parvenu, comme aucun prédicateur protestant avant lui, à mobiliser des centaines de millions d’individus autour de son message -et de son charisme- (Cf. la question de l’impact, développée au chapitre 6). Dans un monde globalisé marqué par la massification culturelle et religieuse, le maître-à-croire américain constitue l’une des principales “icônes” religieuses de ce temps, à la charnière entre les figures du pèlerin et du converti (D. Hervieu-Léger). C’est cette capacité de mobilisation sans précédent dans le protestantisme contemporain qui pose, au final la question de sa proximité possible, du côté catholique, avec la figure du pape (chapitre 7).

Avec Billy Graham, le Pape Jean-Paul II a trouvé une figure protestante « capable de soutenir la comparaison » (J.Baubérot). Les deux hommes partagent un même recours à l’image, une même itinérance programmée, un souci commun d’hétéronomie (la norme du chrétien se fonde dans un Dieu révélé, supra-humain)… et un impact fondé dans une subtile combinatoire entre charisme et institution. Les deux hommes ont exemplarisé, dans le XXe siècle tardif, l’ambition de maintenir la crédibilité du christianisme dans l’espace public en dépit d’un mouvement croissant de privatisation du religieux. Tous deux accueillis en grande pompe par les chefs d’Etat du monde entier, les deux hommes ont appris à se connaître et à s’apprécier, au fil de quelques rencontres privilégiées au Vatican. Billy Graham serait-il, à sa manière, une forme de pape protestant ?

Une star bien plus qu’un pape

Ce serait aller un peu trop loin. L’univers confessionnel de Graham reste éminemment protestant, c’est-à-dire hostile à toute autorité institutionnelle centralisée et monarchique. En dépit de ses réseaux et de son impact institutionnel (souvent sous-estimés dans l’analyse), le prédicateur demeure un « entrepreneur individuel » au biblicisme irréductible  et à la filiation très précaire, tandis que le Pape, chef d’Etat, dirige une institution sacrée ancrée dans une « Tradition », la "Sainte Église catholique". Dès lors, le label de « pape protestant » ne peut être envisagé qu’avec une grande prudence. A l’examen de la mise en scène du « mythe charismatique » grahamien, qui n’a guère à envier à la machinerie hollywoodienne (Edgar Morin),c’est finalement avec la figure de la star, création américaine du XXe siècle, que Billy Graham partage le plus d’affinités.


Recension par Danièle Hervieu-Léger

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