On enquête à Lourdes : rôle à double tranchant de l’institution (11/07/2008)

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Alors qu’Ingrid Betancourt s’apprête à visiter le sanctuaire marial de Lourdes, par fidélité à un vœu et à sa foi, une enquête secoue ce lieu de pèlerinage.

Cette affaire révèle les ambiguités de la régulation institutionnelle catholique.

 

ifric.jpgJe ne suis pas le dernier à avoir décrit en détail, y compris sur ce blog, les dérives de l’autorité charismatique en milieu protestant évangélique, quand aucune institution supra-locale ne vient réguler les choses.


Que ce soit au Brésil ou en Amérique du Nord, des télévangélistes peu scrupuleux avec l’argent des fidèles sont régulièrement soupçonnés de déraper, et sont parfois pris la main dans le sac. On en reparlera d’ailleurs dans ce blog, selon l’actualité.
Seuls maîtres à bord, les télévangélistes dépassent parfois d’autant plus facilement les limites qu’aucune institution centralisée ne viendra mettre de garde-fou. Et l’argent liquide coule à flot sur les comptes en banque des intéressés.

Mais quand une institution supra-locale solide est là, comme dans l’église catholique, constitue-t-elle vraiment toujours une garantie?

 

Canard.jpgLe Canard Enchaîné mène l'enquête


La manière dont se déroule l’enquête actuelle à Lourdes invite à s’interroger.


Voici le rappel des faits, tels qu’ils ont été dévoilés par le Canard Enchaîné de la semaine dernière (article de Louis-Marie Horeau, «Avis de tempête sur les bénitiers de Lourdes", édition du 2 juillet 2008, p.3)

 

Un recteur des sanctuaires au compte en banque bien rempli

Au printemps 2008, le père Raymond Zambelli, recteur des sanctuaires de Lourdes (un poste clef), tombe dans le colimateur du service Tracfin, chargé de déceler les mouvements d’argent suspects et les tentatives de blanchiment.


La raison: 427.000 Euros déposés sur les comptes personnels du prélat catholique.

Imposante somme en effet.
En 2007, selon le Canard Enchaîné, il est établit que le recteur des lieux saints catholiques a effectué six versements en argent liquide pour une somme de 16500 Euros, sans compter 26 remises de chèques tirés sur des particuliers, pour une somme de 14328 Euros.


CM Capture 3.jpg Les enquêteurs de TRACFIN ont par ailleurs observé qu’il s’agissait d’une pratique bien rôdée: le père Zambelli, avant sa nomination à Lourdes, exerçait au sanctuaire de Lisieux, avec les mêmes fonctions….

Et les mêmes pratiques, nourrissant un compte courant personnel très abondamment créditeur grace aux généreux versements en argent liquide.


Et voilà Raymond Zambelli, vicaire épiscopal, suspecté de détourner de l’argent des fidèles de Lourdes.

Policiers et magistrats de Tracfin alertent alors le procureur de la République de Tarbes.

 

B16.jpgUrgent d'attendre.... jusqu'aux lendemains de la visite de Benoît XVI 

Inaginons un télévangéliste soupçonné des mêmes faits…

On peut présumer que les choses n’aient pas traîné, et elles n’ont effectivement pas traîné du tout il y a quelques mois dans une affaire que j’avais évoquée dans ce blog.

Elle impliquait deux vedettes charismatiques brésiliennes (Estevam Hernandes Filho et Sonia Haddad Hernandes), mises immédiatement en état d’arrestation sur le territoire états-unien après avoir été interceptées avec de fortes sommes d’argent liquide.

Mais là, surprise : le procureur n’est pas franchement pressé.

Gérard Aldrige, ainsi que son supérieur hiérarchique, Jean-François Lorans (procureur général de la cour d’appel de Pau) se hâtent.... de temporiser.


Le ministère de la justice, sollicté pour avis, aurait-il suggéré de prendre son temps?... C'est ce qu'affirme le Canard Enchaîné, suite à investigation approfondie.

Et le parquet général emboîte le pas, indiquant dans un document de son cru que l’interpellation et l’audition du père Zambelli «pourrait ainsi n’intervenir qu’après le voyage du pape en France»….

D’autant que cette affaire «n’a pas pour l’instant de retentissement médiatique, n’étant pas connue de la presse». (Voir portion du document ci-dessous, source originale, le Canard du 2 juillet en page 3).

 

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CM Capture 1.jpg La question n’est pas ici de savoir si le père Zambelli (ci-contre) est coupable ou non.

Il faut laisser la justice faire son travail, et en attendant, respecter la présomption d’innocence.

 

 
Quelle régulation par l'institution?


Mais d’un point de vue sociologique, la question que je me pose est la suivante : comment joue ici la régulation par l’institution?
Cette fameuse régulation, si souvent présentée comme un garde-fou efficace devant les dérives personnelles?

images.jpg Eclairé par l’enquête de Tracfin exposée par le Canard Enchaîné, mais aussi par le discret article publié le lendemain dans Le Monde sur le même sujet, voici ce que je constate :

-Le poids institutionnel régional du catholicisme, garant d’énormes rentrées d’argent liées à l’industrie touristique de Lourdes (6 millions de visiteurs par an), a implicitement…. freiné la régulation ou la mise à jour de pratiques soupçonnées de dérapage.


-Le prestige institutionnel du pape Benoît XVI (le «big boss» du père Zambelli) a explicitement eu pour effet de ralentir les procédures en cours, au lieu de les soutenir ou de les accélérer.


-Les supérieurs catholiques du prêtre en question ont explicitement défendu leur subbordonné (au lieu de s’abstenir de juger sur le dossier, qu’ils connaissent a priori moins bien que les services Tracfin qui ont enquêté à plein temps sur cette affaire).


Perrier.jpg D’après l’article du Monde (Stéphanie Le Bars et Allain Salles, 4 juillet 2008), l’evêque de Tarbes et de Lourdes (ci-contre) s’est empressé de dire sa conviction que Zambelli est de «bonne foi».

Il semblerait donc qu’à l’évêché, se faire verser sur son compte personnel (pas un compte de paroisse ou de diocèse) des dizaines de milliers d’Euros en liquide soit tout naturel.

Conclusion: cette affaire, qui évoque un peu péniblement l’omerta qui a longtemps entouré, dans l’Eglise catholique, les affaires de pédophilie (prêtres si souvent soutenus par leur hiérarchie) rappelle une chose très simple:


Le contrôle institutionnel n’est aucunement une garantie automatique de régulation des dérapages.


béni.jpg Il peut, au contraire, freiner la régulation sociétale, en «couvrant» pour des motifs divers celui qu’on soupçonne. Cela ne signifie pas que cette régulation institutionnelle n’existe pas, ou soit inefficace, et les protestants (peu friands d’institution) auraient certainement d’utiles leçons à recevoir, sur certains plans, des catholiques.


Mais cette régulation n’est pas une panacée, l’un des enjeux posés étant sans doute sa démocratisation: en clair, passer d’une culture «top-down» (du haut vers le bas) où la hiérarchie est trop souvent encline à proclamer, «circulez, il n’y a rien à voir», vers une culture plus «bottom-up», à l’écoute de ce qui se passe à la base, choisissant de respecter les informations (et enquêtes) qui remontent plutôt que de couvrir à tout prix ce qu’on croit être le prestige de l’institution.

Il y a 50 ans, la première stratégie (top-down) pouvait sans doute encore se prévaloir de son efficacité (à défaut d’être toujours très respectueuse des individus), même si le Canard Enchaîné, à cette époque, veillait déjà, pour le plus grand bénéfice des citoyens.


Mais dans notre monde globalisé du XXIe siècle, marqué par la Révolution numérique et ses milliards de «pronétaires» (pro-internet), ces vieilles recettes ne sont plus tenables….
Et plus on voudra couvrir, plus le buzz médiatique, désormais démultiplié par internet, contrera l’omerta, que ce soit sur les sites d’information, les forums ou… les blogs.

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