Sarah Palin n’est pas Jeanne d’Arc (08/10/2008)

large_palin_sarah.jpgHillary Clinton n’avait pas le charisme d’Obama. Mais pour postuler aux plus hautes charges de son pays, elle avait la compétence et l’expérience (davantage que le candidat démocrate actuel).

Malgré ses qualités, Sarah Palin n’a ni l’un, ni l’autre. Mais, répondra-t-on, elle a la foi. Une foi de Jeanne d’Arc!

Une croyante fervente née catholique, devenue pentecôtiste puis charismatique sans étiquette

Oui certes, la postulante républicaine à la vice-présidence des Etats-Unis est croyante. Contrairement à ce qui a été écrit parfois, elle n’est pas, ou plus, pentecôtiste, ayant quitté depuis sept ans les Assemblées de Dieu (ADD), grande dénomination pentecôtiste à laquelle elle a appartenu dans sa jeunesse.

610x.jpgC’est aujourd’hui une protestante sans étiquette, née et baptisée catholique, de tendance évangélique et charismatique (proche de la Troisième vague, axée sur le combat spirituel).
Mon collègue Yannick Fer a précisément cerné son identité religieuse, je vous renvoie à ses deux excellents papiers, ici et ici.


Bien qu’elle ne soit membre d’aucune église, ce qui est tout de même surprenant, sa foi est beaucoup plus nette semble-t-il que chez G.W. Bush Jr. Ce dernier, en dépit des idées reçues et d’une propagande savamment entretenue, n’est pas un pratiquant chrétien très fervent, notamment dépassé dans ce domaine par son prédécesseur Bill Clinton (cf. le chapitre 5 de Dieu bénisse l’Amérique). 
Palin, elle, est très pratiquante, et comme le président actuel, elle cite volontiers Dieu, y compris sur le terrain politique.


CM Capture 2.jpgUne « Frontier Mum » de choc aux talents de communiquante

Ces convictions évangéliques et charismatiques ont conduit Sarah Palin à envisager sa candidature à la vice-présidence aux côtés du candidat John McCain comme un appel divin, à accepter «sans ciller», contemporaine Jeanne d’Arc qui répond à l’appel de Dieu en situation de crise, afin de sauver son pays.
Pour cela, Palin a des arguments.

Formée en journalisme, c’est une très bonne communiquante, rompue aux caméras. C’est aussi une femme de charisme (cette fois-ci, au sens sociologique du terme), capable de mobiliser derrière elle et de susciter des phénomènes d’identification.
Elle affiche par ailleurs un caractère attachant, sympathique aux yeux de beaucoup d’Américains ‘moyens’, celui de la Frontier Mum (maman de la Frontière) qui n’a pas froid aux yeux et qui a le cœur assez généreux pour choisir de donner naissance à un enfant trisomique.

Une femme simple et forte venue "des marges du Royaume", comme Jeanne d'Arc depuis sa Lorraine, pour sauver un pays en crise?

Enfin, elle maîtrise très bien le registre du tribun populaire, voire populiste, assaisonné de bon sens terrien, de sens du travail... mais aussi de démagogie à gros traits.
Croyante, populaire, portée par le vieux mythe américain de la Frontière.., n’était-ce pas la bonne pioche pour McCain?


Lui qui souffrait d’un déficit de voix du côté des «masses populaires évangéliques», Palin paraissait le renfort idéal pour damer le pion à la concurrence.


CM Capture 1.jpgGains de voix chez les évangéliques

À première vue, Mc Cain a en effet réalisé un coup de maître. Les sondages ont montré qu’en six semaines, suite à la nomination de Palin comme colistière, McCain a remonté de dix points parmi les intentions de vote des évangéliques blancs, passant de 61 à 71% d’intentions de vote.  Énorme! Décisif, peut-être!

Avec Sarah Palin, praticienne de la pêche au gros, tous les poissons évangéliques étaient partis pour tomber dans les filets républicains.
Tout le travail de sape qu’Obama avait réalisé en direction de cet électorat évangélique blanc, tablant sur la tiédeur religieuse de McCain, était donc réduit à néant, ou presque, à dater de début septembre 2008.

images-1.jpegGrâce à Palin, McCain était parvenu à rassembler presqu’autant d’évangéliques que Bush Jr, ce qui paraissait bien improbable. Regardons James Dobson (ci-contre), puissant leader de Focus on the Family, organisation évangélique de masse en faveur des valeurs familiales traditionnelles. Il avait snobé McCain… avec Palin, Dobson a retrouvé sa verve!

À la veille du second débat McCain-Obama, il a ouvertement appelé ses millions d’auditeurs à voter McCain…. Qui peut remercier Sarah Palin!
Malgré ses efforts et ses progrès, Obama se retrouvait début septembre avec un God Gap (handicap lié au vote religieux) redevenu aussi problématique que celui qui avait pénalisé, quatre ans auparavant, John Kerry face à George W. Bush.
L’effet Palin s’annonçait donc comme une arme redoutable, et sans doute décisive, pour la victoire du camp républicain.


Caricatures en pagaille

Sauf que… Sarah Palin ne fait pas le poids. On commence à le voir, on commence à le dire, et pas seulement côté démocrate. Cela tient-il à ses convictions religieuses charismatiques?

Un cartooniste célèbre, Pat Oliphant, s’en est moqué dans un dessin qui a fait couler beaucoup d’encre, et qui a choqué beaucoup de pentecôtistes, dont un cacique des Assemblées de Dieu aux Etats-Unis, George Wood.

Dessin Palin glossolalie.gif


Ce dessin sulfureux publié sur la version numérique du Washington Post le 9 septembre 2008, montre Sarah Palin en train de parler en langues (pratique pentecôtiste). On voit McCain qui souligne qu’on ne comprend rien à ce qu’elle dit, mais que sa glossolalie constitue une hot line vers Dieu…. Lequel, dans un langage peu châtié, le dément: la hot line ne transmet en réalité que du jargon politicien droitier.
Pat Oliphant n’y est pas allé de main morte avec ce point central des croyances pentecôtistes…. même s’il n’épargne personne.

Il est tout aussi dur …
-avec les musulmans (chez qui il dénonce une propension à la violence)
-avec les catholiques (chez qui il soupçonne des relents d’antisémitisme)

Mais dans le cas Palin, on peut dire que les caricaturistes se sont surpassés….

palin-pregnant-daughter.jpg


Le déferlement de caricatures a été tel qu’il a fait froncer les sourcils à droite comme à gauche, tantôt au nom du respect minimum à accorder à une femme (cf. les propos de l'actrice Annette Benning), tantôt au nom de la tolérance religieuse, qui demande un effort de compréhension contextuelle des croyances pentecôtistes au lieu de hurler au loup.



sarah-palin-mccain.jpgUn ‘effet Palin’ qui commence à faire «Pschitt» chez les évangéliques modérés

Ce déchaînement de caricatures n’est pourtant pas à l’origine de l’affaiblissement de la position affichée par Palin. Ces caricatures font essentiellement rire les convaincus, les démocrates.

Quant aux sympathisants républicains, ils passent leur chemin.
Au moins trois causes bien plus importantes expliquent l’érosion de ‘l’effet Palin’.

-D’abord, l’inexpérience affichée de Sarah Palin en matière de ‘grande politique’. Son costume de vice-présidente est manifestement taillé trop grand pour ses compétences actuelles. Cela se voit désormais clairement, y compris côté républicain.

-Ensuite, ses accents ultra-caricaturaux, polémiques et venimeux à l’égard d’Obama (ami d’un ‘terroriste’, etc.), qui rappellent, au delà de l’effet surprise d’une candidate femme, les vieilles rengaines de la Majorité Morale, de Falwell et Robertson... ou les publicités nauséabondes dont certaines officines républicaines ont le secret pour diffamer l'ennemi.

Las des outrances, plus pragmatiques, et les yeux fixés sur des critères de vote plus larges que leurs aînés, nombre de jeunes évangéliques (le public des megachurches) n’accrochent pas beaucoup…. On note ainsi, depuis début septembre, un début d’érosion de l’adhésion des évangéliques blancs: de 71 à 69% pour la population évangélique générale, mais l’érosion est plus nette chez les jeunes.

-Enfin, la grave crise économique actuelle va toucher de plein fouet les ménages modestes et les classes moyennes, parmi lesquels de très nombreux évangéliques. L’incompétence de Sarah Palin en matière macro-économique, ajoutée à celle de McCain, bien plus ‘branché’ sur les affaires militaires, effraie, ou inquiète.

images.jpeg-On peut ajouter à cela un double effet boomerang, mal apprécié par les conseillers de McCain.

En choisissant une femme, ils voulaient mordre sur l’électorat d’Hillary Clinton, et en choisissant une évangélique, ils voulaient renforcer le bloc conservateur chrétien.

MAIS les deux atouts s’annulent plutôt qu’ils ne s’additionnent!
En effet, Palin a beau être femme, elle est bien trop conservatrice pour séduire les électrices démocrates d’Hillary.

Et Palin a beau être évangélique, elle est trop ‘femme’ pour réjouir totalement les plus conservateurs des évangéliques, qui ne trouvent pas très séant ni très biblique qu’une femme sacrifie sa famille pour une carrière politique…



CM Capture 3.jpgUne dynamique pour Obama

En fin de compte, on constate que si la forte clientèle électorale évangélique «hardcore» a bien été dynamisée par Sarah Palin, et qu’elle reste et restera mobilisée jusqu’à l’élection, la clientèle évangélique plus modérée (dont beaucoup de jeunes) voit son adhésion refluer depuis septembre, une fois l’effet de surprise passé.

McCain a perdu, depuis début septembre, quelques centaines de milliers de voix, voire un ou deux millions, parmi cette minorité évangélique-là, qui hésite ou se reporte à nouveau sur Obama, plus que jamais attentif à les séduire (cf. le réseau Matthew 25 et ce site qui présente Obama comme plus 'pro-life' que McCain).
Or c’est sur cette marge-là des évangéliques modérés, en-dehors des blocs de «purs et durs» des deux camps, que se décidera l’élection.

Avec son inexpérience, son populisme agressif et son inadaptation aux défis économiques, Palin, malgré ses atouts, a déçu ces modérés.
L’enthousiasme qu’ils lui témoignaient est déjà retombé.


images-2.jpegRien n’est encore définitivement tranché cependant.

Mais tout laisse à penser que dans ces conditions, renforcées par le poids d’une grave crise économique et financière au passif du bilan des républicains, Obama et Biden renverront le mois prochain Sarah Palin chasser le Caribou, et McCain se reposer d’une carrière bien remplie.

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