La corde du pendu : racisme, politique et religion à l’heure d’Obama (17/11/2008)

images.jpegL’élection de Barack Obama, il y a dix jours, a-t-elle sonné le glas des vieux préjugés racistes que la Bible Belt (Sud conservateur des Etats-Unis) a longtemps véhiculés, que ce soit dans les pages de Faits divers ou les romans de Faulkner?

En référence à un événement de 1960, Norman Rockwell avait dessiné cette célèbre scène, dans The Problem we all live with, montrant une écolière noire, Ruby Bridges, escortée par des policiers jusqu’à son école de la Nouvelle Orléans.

Norman Rockwell, the Problem we all live with.jpg

Pour une petite afro-américaine, aller dans une école «intégrée» (ethniquement mixte), c’était risquer gros.

En regardant les deux filles de Barack et Michelle Obama s’avancer, radieuses, sur le podium, le soir de la victoire, on peut mesurer le chemin parcouru! Quelle révolution, en moins d’un demi siècle!

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Le fait d’apparaître comme «bronzé» (pour reprendre le mauvais mot berlusconien) aux yeux des électeurs conservateurs ne serait plus un obstacle rédhibitoire à l’élection suprême, en tout cas aux Etats-Unis.

 

Effet Bradley, grand vaincu du scrutin

J’ai tendance à considérer cette interprétation comme assez juste. Même le fameux «effet Bradley» dont on nous rebattait les oreilles avant l’élection n’a pas joué (l’idée que l’électeur blanc, au dernier moment, ne voterait pas pour le candidat qu’il a choisi en raison de sa couleur de peau).

Un incident récent inviterait-il cependant à la vigilance? Rappelant que la «bête immonde» du racisme reste là, latente, y compris dans certains milieux chrétiens? Récit.

 

180px-Patneffhallbaylor.jpgL'incident de Texas Baylor University

Au lendemain de la victoire d’Obama, des étudiants de la Texas Baylor University affirment avoir découvert une corde de pendu accrochée à un arbre, en face de Morrison Hall.

Par ailleurs, des petites enseignes pro-Obama et pro-Biden auraient été retrouvées brûlées…

L’incident, en lui-même, est limité, même s'il a fait localement scandale.

Il n’a d’ailleurs pas été relevé en France. Mais si les soupçons portés étaient confirmés, il n’est cependant pas anodin.

 

Du ménage à faire?

Quelques mois avant que les baptistes s’apprêtent à fêter les 400 ans de la naissance de leur confession religieuse (la principale famille protestante dans le monde après le pentecôtisme, et devant les réformés et les luthériens), cet incident pourrait venir à point pour rappeler qu’il leur reste du ménage à faire.
Texas Baylor est en effet une université baptiste, plutôt bien cotée, sensée rechercher le haut niveau.

images-1.jpegElle se réclame volontiers de Martin Luther King, grande figure du baptisme au XXe siècle et prix Nobel de la paix (comme Bill Clinton et Jimmy Carter, d’autres baptistes).

Et voilà que sur son propre campus, on aurait hissé une corde de pendu au lendemain de la victoire d’Obama?

Il n 'en faut pas plus pour appuyer sur la sonnette d'alarme...

Sauf que!

Sauf qu'il semblerait que les soupçons soient sans fondement.

 

Une balançoire, pas une corde de pendu?

images-2.jpegLe 13 novembre, le président par intérim de l'Université Baylor (ci-contre) déclarait en effet que la corde de pendu en question n'était en réalité qu'une balançoire, bricolée la veille au soir par des étudiants maladroits, qui se sont dénoncés spontanément dès que l'affaire s'est emballée.

Quant aux pancartes de campagne, elles auraient été confondues avec des cartons brûlés (boîtes d'ordinateur).

Bref, beaucoup de bruit pour rien!

 

Soulagement et questions


Si cette mise au point du président de Baylor est en effet confirmée, beaucoup pousseront un grand "ouf" de soulagement.

Il reste qu'avant que la rumeur ne soit démentie, un emballement médiatique local et national a révélé l'ampleur des cicatrices laissées par le passé récent.

images.jpgQue cette histoire (et cet emballement interprétatif) se passe sur un campus baptiste du Sud des Etats-Unis a fait écho au passé chargé de la Convention Baptiste du Sud, une des nombreuses dénominations baptistes du pays.

Car cette puissante dénomination protestante a été constituée, à l'origine (1845), au nom de la défense de l’esclavage, comme d'autres unions d'églises (méthodistes et presbytériennes -réformées-, en particulier).

En son sein ont longtemps circulé, dans les assemblées locales, des conceptions ouvertement racistes («les blancs et les noirs ne devraient pas se mélanger», «les noirs ne sont pas fiables», etc).

Il est vrai que Martin Luther King était baptiste,  comme de très nombreux afro-américains..., Mais nombres de cadres du Ku Klux Klan l’ont été aussi! Mais pas dans le même cercle baptiste, évidemment...

 

Lynchages...

512SiMW99SL._SL500_AA240_.jpgCette rumeur semble-t-il infondée autour d'une prétendue corde de pendu sur ce campus baptiste nous rappelle aussi très précisément que la pratique du lynchage des noirs, objet d’une excellente synthèse publiée cette année par Joël Michel, n’a pas toujours été, par le passé, condamnée avec la vigueur souhaitée par les Églises, y compris les Églises baptistes.


Aujourd’hui encore, bien que le racisme ait reculé, le dimanche matin reste l’heure la plus ségréguée d’Amérique (Églises blanches d’un côté, Églises noires de l’autre), comme l’illustrent Michael Emerson et Christian Smith dans leur remarquable étude consacrée à la ségrégation ethnico-religieuse aujourd’hui.

 

Enjeux à venir

Après cet incident sur-interprété de Baylor, deux questions au moins peuvent être posées.

On peut bien-sûr pointer les tentations de surenchère et de surinterprétation victimaire, au moindre incident. Certains acteurs sociaux auraient un travail de distanciation à effectuer, afin d'éviter les "sur-réactions" immédiates, dans une société droguée au scoop.

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Mais les églises ne sont pas exemptées de s'interroger sur leur fonctionnement, églises baptistes compris (puisque c'est l'étiquette du campus de Baylor). Alors qu’elles se préparent à fêter les 400 ans de leur histoire, les assemblées baptistes sauront-elles balayer devant leur porte, éviter une histoire à l’eau de rose, et affronter jusqu'au bout les zones d’ombre qui ont scandé la difficile émancipation des noirs du Sud des Etats-Unis?

Beaucoup a déjà été fait. Mais qui dira qu'il ne reste plus de chemin à parcourir? (On pourrait sans problème élargir la question aux églises françaises, même si le contexte est différent).

Une dépêche de l'Associated Press publiée aujourd'hui ne laisse guère planer le doute: si l'incident de Baylor n'en était pas un, d'autres incidents racistes délibérés se sont, eux, bel et bien produits aux Etats-Unis dans le contexte de l'élection de Barack Obama.


parham-nea.jpgAller plus loin...  Tel est le souhait exprimé il y a quelques jours par Robert M. Parham (ci-dessus), directeur exécutif du Baptist Center for Ethics, appelant à sortir du registre des bonnes intentions et des déclarations lénifiantes, pour passer à l’action.


Afin que de ranger une fois pour toute les nœuds coulants du Klan aux oubliettes de l’histoire?

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