Marianne publie 40 pages sur les religions (02/04/2010)

Image0001.JPGA noter cette semaine un intéressant numéro spécial du magazine Marianne, consacré aux "nouvelles guerres de religions".

Sur ce sujet il est vrai passionnant, Marianne (n°675 du 27 mars au 2 avril 2010) a consacré pas moins de quarante pages!

Dont quatre sur les protestants évangéliques.


Je ne passerai pas en revue tous les articles. Je soulignerai simplement, d'une manière globale, trois enseignements à en tirer.


images.jpeg-1. D'une part, il est intéressant d'observer un dossier aussi copieux dans un magazine traditionnellement assez hostile aux religions. Marianne est en effet de tendance anticléricale, voire "laïcarde", plutôt que de tendance "laïque", en tout cas dans sa ligne dominante. En d'autres temps, Marianne aurait proposé le même dossier, mais en huit pages. Ici, quarante pages!

 

Avec cartes, chiffres, données et analyses à l'échelle de la planète, témoignant d'un véritable effort de synthèse. On peut y voir le signe d'une prise de conscience croissante, même dans la presse assez hostile aux religions, du rôle incontournable joué par le facteur religieux au début du XXIe siècle.

 

 

couv.jpg-2. D'autre part, ce qui me frappe aussi, mais ce n'est pas une surprise, est l'approche hémiplégique du phénomène. On ne voit que le négatif: "Partout le fanatisme religieux ruine le vivre ensemble, minant la vie des pays et sabotant la laïcité. Sidérant retour vers le passé!" 's'exclame Martine Gozlan en page 94.

Du point de vue des sciences sociales des religions, je dirais que ce côté négatif est plutôt bien vu. Et même bienvenu, en dépit de quelques caricatures outrancières et inutiles. La corporation des chercheurs (que ce soit sur l'islam, le christianisme, le bouddhisme ou l'hindouisme) a parfois tendance à sous-estimer le potentiel subversif et violent des religions.

Marianne est parfaitement dans son rôle en rappelant que la religion, c'est parfois comme les huiles essentielles: un dosage trop fort vous envoie à l'hôpital, ou pire! Mais il aurait été fair-play de rappeler, en contre-point, que la religion peut aussi être aussi facteur de pacification, d'apprentissage de la confiance, voire de guérison (au moins symbolique) et un formidable outil pour juguler la violence, à l'instar de ce que René Girard nous a magistralement rappelé, il y a longtemps déjà, dans La violence et le sacré (1972). Mais rien de tout cela dans Marianne!

 


laicite.thumbnail.jpg-3. Enfin, ce qui marque aussi l'ensemble de ce dossier est un vif attachement à la laïcité. Définie comme un "garde-fou", la laïcité s'y présente dans des habits militants, parfois carrément laïcards (voir plus haut). Cet accent robuste, dans l'hebdomadaire de news le plus lu en France,  témoigne du maintien, dans l'hexagone, d'un lien fort entre laïcité et anticléricalisme, à rebours de certaines analyses qui postulent une laïcité remodelée, assouplie, plus conciliante à l'égard des religions.

 

C'est une laïcité de vigilance qui s'exprime ici, non sans accents vibrants et convainquants. On pourra certes regretter des dérapages laïcards (amalgames caricaturaux et insultants) qui affaiblissent, au lieu de renforcer, le propos laïque.  Mais l'ensemble reste assez intéressant, avec un dossier tout à fait réussi sur "Ce que disent les musulmans laïcs" (pages 120 à 123, par Martine Gozlan).

 

 

P1030394.JPGRegard de Marianne sur les protestants évangéliques

 

J'ajouterai pour terminer quelques remarques au sujet du dossier sur les protestants évangéliques aux Etats-Unis (pages 106 à 109), dans la mesure où mes recherches portent sur l'évangélisme. L'article de Marianne s'intitule "Les zinzins du Christ à l'assaut de Miss Liberty" (Eric Dior).

Sans surprise (non plus), les évangéliques, qui constituent depuis au moins un demi-siècle la majorité du protestantisme mondial sont présentés en bloc comme "les fêlés du Christ" (p.107) et des "croisés" nouvelle manière (p.109). En pages 106-107, on montre une famille américaine les yeux fermés, en prière, lors d'un rassemblement avec l'évangéliste Billy Graham, en 2005. Le commentaire est franchement hilarant : cette posture de prière très classique (à l'occasion d'un événement qui n'a rien de charismatique) est présentée comme une "transe mystique"! (p.107).

 

On parle aussi de "galaxie évangéliste" (p.107), alors qu'il faudrait parler de galaxie évangélique... Autre énormité, on présente leurs effectifs comme de 4 millions en 1940, et 500 millions aujourd'hui.... Or les évangéliques étaient déjà au moins 20 ou 30 fois plus en 1940. Une paille! Et tutti quanti.

Mais au-delà des amalgames et des propos méprisants sur "l'armada des cagots" (p.108), on trouve quelques informations notamment dans l'encadré pertinent signé par Stéphanie Marteau au sujet des évangéliques français (p.109), qui se distingue par une approche plus documentée et plus équilibrée (ceux qui le liront verront que j'y suis brièvement cité, mais je ne suis pas pour grand chose dans le dossier!).

 

Enfin, soulignons que plusieurs critiques faites sont tout à fait justifiées du point de vue de la laïcité, notamment les logiques d'hyper-spiritualisation qui anesthésient l'esprit critique et peuvent conduire à l'embrigadement, les tendances populistes et conformistes, la rhétorique martiale, etc.... Comment ne pas comprendre que certains aspects de la militance évangélique, notamment aux Etats-Unis, suscite l'inquiétude de ceux qui ne pensent pas comme eux?

Mais on regrettera, du point de vue de l'intelligence du fait religieux, que ce qui relève de la dérive, bien réelle, est présenté ici comme la règle, sans souci d'équilibre. Un lecteur qui ignore tout de la galaxie évangélique ressortira de cet article avec une vision déformée.

 

Globalement, on voit là dominer un recyclage de thèmes antiprotestants et antiaméricains, une ignorance toujours aussi flagrante de l'histoire religieuse (et de celle du protestantisme en particulier), mais aussi un frémissement d'intérêt.

 

laicite02.gifComme si, malgré eux et à contre-coeur, les militants anticléricaux devaient se rendre à l'évidence qu'à l'heure de la mondialisation, le facteur religieux mérite mieux que quelques entrefilets. Souhaitons que cette curiosité laïque pour la religion se confirme, car dans l'intérêt même de la laïcité et du vivre-ensemble,il est utile d'apprendre à connaître la diversité religieuse et ses traductions sociales.

A condition de résister à la paresse de la caricature et au défouloir des amalgames outranciers, pour mieux entrer dans le débat critique et informé dont nos sociétés modernes ont besoin.

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