Evaluation des chercheurs: halte au f...ormatage? (21/01/2011)

evaluation2.jpgChaque année, les chercheurs CNRS sont conduits à remplir, au moins une fois, un rapport sur leurs travaux.  C'est normal, utile et instructif! 

Rendre des comptes est une responsabilité civique. Je suis POUR!

Le problème est cependant qu'avec l'informatisation et les standardisations européennes, ce rapport est de plus en plus détaillé, de plus en plus "rubriqué"... au risque de frôler les limites de l'absurde.

Cette année, le système RIBAC, qui a remplacé le système CRAC (non ce n'est pas une blague, il s'agit des sigles officiels), réussit le petit d'exploit d'être encore plus fastidieux à remplir que le précédent.

C'est du ligne à ligne, pendant des pages et des pages, alors que deux ou trois textes PDF soigneusement rédigés par le candidat auraient été tellement plus simple.

Mais voilà : l'évolution croissante vers une évaluation quantifiée, anonyme et mécanique (le rapport ressemblant de plus en plus à un QCM amélioré) privilégie les "usines à gaz" formatées, qu'une machine pourrait désormais analyser, plutôt que les textes lisibles par un être humain doué de raison.

 

Pour la première fois cette année, j'ai manifesté une certaine mauvaise humeur en découvrant l'évolution (en pire) du système. Sans doute n'étais-je pas dans les meilleures dispositions d'esprit, après avoir accumulé récemment pas mal d'"extra work" (notamment des mises en ligne internet pour notre nouveau site GSRL). Mais cela dit, j'assume et plaide coupable d'avoir exprimé cette mauvaise humeur en remplissant ce RIBAC.

Maxima culpa! D'autant que mon petit sandwitch risque de s'en trouver un peu affecté. Mais bah! Je ne suis qu'un petit chercheur, cela n'a pas d'importance.

 

D'ailleurs, à la rubrique "points forts" qu'on nous demande de remplir, j'ai écrit cette année, dans un accès de sincérité bien éloigné des sains enseignements de Bernard Tapie et de ses successeurs:  "Je n'ai aucun point fort. Que des points faibles à travailler."

J'espère du coup l'indulgence des augustes évaluateurs (ou des machines informatiques utilisées pour compter nos bons points). J'avoue ma stupidité! Je ne suis qu'incapable de comprendre l'immense progrès qui consiste à faire triomphalement remplir et valider ligne à ligne des pages de données qui tenaient "avant" (au temps des âges obscurs) dans un ou deux fichiers de texte, ou quelques rubriques commodes!

 

 Plus de temps de lire les travaux des autres

Et voilà qu'aujourd'hui, trois jours après avoir rendu mon RIBAC, je découvre dans Le Monde un texte lumineux, non sans rapport avec notre sujet, qui pointe notamment "la détérioration de la situation des enseignants-chercheurs dont les heures travaillées explosent dans un contexte de pression budgétaire et de précarisation des conditions matérielles".

Il est signé par Martin Marchman Andersen, Xavier Landes et Morten Ebbe Juul Nielsen (Les chercheurs sont prisonniers d'une course à la publication)

 

Ce texte dénonce notamment une course à la quantification des productions, qui pousse les chercheurs à "faire du chiffre", au risque de n'avoir plus le temps de lire les travaux des collègues....

 

Comment ne pas applaudir des deux mains à la conclusion des auteurs (chercheurs à l'université de Copehnhague):

 "Les standards actuels pour l'évaluation des chercheurs n'incitent guère à l'optimisme. Qu'attendons-nous de nos institutions de recherche et d'éducation supérieure? La question mérite que les acteurs du domaine, des chercheurs aux politiciens, s'y penchent sérieusement, c'est-à-dire en cessant de subir l'évolution actuelle et en adoptant une distance critique à l'égard des divers classements qui pullulent depuis quelques années, pour considérer la panoplie complète des bénéfices que les universitaires sont censés apporter à une société."

 Retrouvant dans cette analyse un écho direct de l'évolution de mes conditions de travail (et de celles de mes collègues), je ne résiste pas au plaisir de vous recommander la lecture du texte intégral, en cliquant ici.

 

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