L'honneur terni de François Chérèque (14/12/2011)

Unknown.jpegDans le petit monde syndical français, aussi prétentieux que freluquet (en comparaison des robustes syndicats de la plupart des pays voisins), François Chérèque, à la tête de la CFDT, a longtemps fait figure de père La Vertu.

En dépit de diverses controverses, il avait su, jusqu'à très récemment, conserver une forme de crédibilité morale, fondée sur une impression de sincérité, et un fonds de valeurs pas (trop) frelatées.

Hélas, le gentil François Chérèque vient de plomber (définitivement ?) son image.

Dans un entretien surréaliste au quotidien Le Monde, publié le 13 décembre 2011, on lui a notamment demandé de réagir au fameux rapport de la commission parlementaire sur le financement des syndicats.

Il faut préciser que ce rapport parlementaire, certes critiquable, comme tout document de ce genre, est le résultat d'un travail suffisamment rigoureux pour être parvenu à décaper la rhétorique cosmétique des uns et des autres, et mettre en lumière de graves disfonctionnements, connus depuis longtemps de l'ensemble de la classe politique au pouvoir, mais inconnus de la plupart des Français.

C'est la raison pour laquelle des arrangements politiciens de dernière minute ont conduit au blocage de la diffusion de ce rapport, qui dérange beaucoup de monde, à gauche et à droite.

Quand la température est mauvaise, on casse le thermomètre?

 Unknown-1.jpegChargé du rapport sur le financement des syndicats, Nicolas Perruchot, député du Loir et Cher (ci-contre), effectue pourtant des constats utiles, et formule des propositions qu'on gagnerait à méditer. En dépit de la non-publication du rapport, de nombreux organes de presse en ont donné un aperçu, synthétisé ci-dessous.

 

 CONSTATS: un syndicalisme français peu rassembleur, mais méga-subventionné

Parmi les constats, une certaine opacité persistante des comptes, en dépit de la réforme de 2008 (loi du 2 août, qui oblige les syndicats à publier leurs comptes, et, au-delà d'un certain seuil, de les faire certifier).

Il rappelle aussi cette réalité bien connue, qui veut que le syndicalisme français est caractérisé par ce paradoxe: tandis qu'il est particulièrement peu représentatif de la population (seulement 8% de la population est syndiquée, contre 29% en Allemagne et 29% en Grande-Bretagne), il est aussi particulièrement subventionné.

Moins de 5% des ressources syndicales françaises proviendraient des cotisations des adhérents. Le reste? L'argent public, sous diverses formes.

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Tableau ci-dessous à partir de données 2004 de l'IGAS (Wikipedia)

 En cumulant les divers échelons de subventions (d'argent des citoyens), le total des subventions reçues par les syndicats français avoisinerait, selon le rapport, entre 3 et 4 milliards d'Euros par an. Oui, on a bien lu: entre 3 et 4 milliards d'Euros par an.

 

syndicats,syndicalisme,marianne 2,laurence dequay,société civile,france,certification,associations,françois chérèque,cfdt,nicolas perruchot,subventions,pierre-patrick kaltenbach,philippe séguinCeci contribuerait à expliquer pourquoi la France est le pays d'Europe qui compte le plus grand nombre de permanents syndicaux par rapport aux nombre de syndiqués.

En clair : non contents de demander des cotisations souvent élevées, c'est avec l'argent des citoyens ("protégés", mais aussi "victimes" des grêves syndicales, je sais de quoi je parle, en tant qu'usager SNCF...) que les syndicats financent leurs activités multiples et variées... et assurent le train de vie de leurs responsables.

Tout se passe comme si une caste de syndicalistes mangeait au double râtelier des syndiqués (sommés de cotiser et de "faire masse") et de l'Etat (qui crache au bassinet), dans un étrange mélange des genres fort éloigné de la vertueuse rhétorique des "valeurs des salariés" défendues, soi-disant, par Thibault, Chérèque et Cie.

 

 100 millions pour les syndicats britanniques, 3-4 milliards pour les syndicats français

Pour information, les syndicats britanniques (pourtant plus nombreux qu'en France) auraient reçu, en 2010, un peu plus de 100 millions d'Euros de subventions publiques (cf. ce document PDF, où les montants sont en livres sterling). En France, le montant dépasserait les 3 milliards d'Euros.

Gargantua.jpgPourquoi ne réduirait-on pas ces subventions gargantuesques? Et pourquoi ne développerait-on pas davantage le timide processus de certification amorcé depuis la loi de 2008, processus appliqué beaucoup plus rigoureusement et systématiquement chez nos voisins britanniques?

On rejoint ici un débat qui vaut aussi pour le champ associatif, et sur lequel quelqu'un comme Pierre-Patrick Kaltenbach (et, avant lui, feu Philippe Séguin) se sont beaucoup investis.

 

PROPOSITIONS: certification, représentativité, contrôle démocratique

Parmi les propositions, justement, qui ont "fuité" dans la presse, Nicolas Perruchot préconiserait dans son rapport de donner aux employeurs, la possibilité de contrôler les dépenses des comités d’entreprise par le biais de l’Inspection du travail, en particulier pour ceux de la SNCF et d'EDF (dont la gestion a été récemment épinglée).

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Surtout Nicolas Perruchot lançait un sacré pavé dans la mare. Il proposait de jauger la représentativité des organisations patronales, à commencer par celle du Medef, par des élections. Un scoop et une revendication de longue date des syndicats de salariés !"

En clair, Nicolas Perruchot proposait un effort de transparence, de certification, de représentativité, afin de corriger la douloureuse impression de double langage, voire de dérive mafieuse et népotique, qui ressort de l'examen du fonctionnement actuel des grandes organisations syndicales françaises.

Tout ceci n'apparaît pas scandaleux, bien au contraire, d'autant plus, comme le fait observer le CREF (syndicat des TPE et PME, très petites entreprises et petites et moyennes entreprises), "le candidat François Hollande a justement lancé sa campagne sur le thème de la démocratie sociale qu’il souhaite renforcer en donnant plus de pouvoir aux syndicats grâce à une réforme constitutionnelle.

Donner plus de pouvoir à des organisations dont on se refuse à contrôler le financement est choquant, et permet de s’inquiéter pour la démocratie et le devenir de la République". Le rapport Perruchot, dans ce contexte, vient d'autant plus à point, tant dans son descriptif, que dans ses suggestions de réformes.

 

 syndicats,syndicalisme,marianne 2,laurence dequay,société civile,france,certification,associations,françois chérèque,cfdt,nicolas perruchot,subventions,pierre-patrick kaltenbach,philippe séguin"Circulez, y'a rien à voir"

Face à ce double volet de constat et de propositions, que répond François Chérèque ? On aurait pu attendre, d'un homme réputé intelligent et relativement intègre (jusqu'à preuve du contraire), un minimum d'autocritique. Que nenni ! Il crie au "poujadisme", agite l'épouvantail du Front National, multiplie les raccourcis démagogiques, les défenses corporatistes, et il botte en touche. "Circulez, y'a rien à voir". Il menace même de l'arme du procès (porter plainte).

C'est tout juste s'il n'atteint pas le point Godwin (évoquer la Seconde Guerre Mondiale, faute d'arguments massue). Ce sera peut-être pour la prochaine interview?

Sa non-réponse aux questions gênantes posées, entre autres, par le rapport parlementaire, mais aussi par d'autres instances (Cour des Comptes) est proprement sidérante dans son déni du réel, et son arrogance tranquille. On n'attendait certes pas de l'enthousiasme, ou un mea-culpa retentissant, mais au moins, une ou deux concessions, une ou deux pistes d'autocritique?

François Chérèque finit certes par admettre que "la réforme de la représentativité doit nous amener à des pratiques plus en proximité avec les salariés et à plus de transparence sur nos modes de fonctionnement, y compris financiers. Il nous faut redonner du sens au syndicalisme, développer son utilité, renforcer l'intérêt des salariés." Mais comment croire à une telle profession de foi si les questions gênantes sont balayées avec mépris, du revers de la main?

 

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Critiquer l'opacité financière des syndicats et leur mode de représentativité, c'est faire le lit du Front National, voilà ce que nous semble nous expliquer le brave François.

Si on a bien compris, toute revendication d'un meilleur contrôle du financement des institutions (syndicales en particulier) c'est faire le jeu des extrêmes. Inversement, que tout le monde continue ses petites combines, si possible loin des regards indiscrets, avec un bon peuple prié d'applaudir devant l'estrade de Guignol (ou des Guignols de l'Info), et tout ira bien?

C'est Marine Le Pen qui doit bien se marrer!

On répondra au triste François que ce n'est pas le rapport Perruchot, mais sa propre rhétorique du déni, et celle de ses collègues et copains, qui nourrit le Front National (quasi assuré non seulement d'accéder au Second Tour des prochaines Présidentielles françaises, mais peut-être même d'être en tête au Premier Tour).

 

Société civile en trompe-l'oeil

Du point de vue des sciences sociales, on remarquera par ailleurs que ce dossier du financement des syndicats confirme une singulière spécificité française, dont il faudra bien finir par guérir sous peine d'implosion: une société civile en trompe-l'oeil, composée d'associations de terrain et de communautés locales vivantes, portées par leurs membres, mais aussi d'associations subventionnées envahissantes (MRAP, Armée du Salut, Secours Catholique, SOS Racisme, CRAN, culture bobo perfusée et compagnie) et de syndicats biberonnés d'argent public, (CGT, CFDT et tutti quanti) dont la vitalité est sujette à caution, et dont la puissance contre-culturelle  est stérilisée (la subvention publique noie la subversion et l'utopie dans la lait tiède des compromis et des appétits d'appareil).  

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Ce jeu de dupe, qui fait croire à un débat démocratique et au jeu des contre-pouvoirs, alors qu'il s'agit d'un accommodement d'intérêts réciproques (les assoc' et syndicats n'ayant aucune indépendance véritable, puisqu'ils ont besoin de leur petit sandwich d'argent public pour exister), entretient confusion et logiques de copinage (mafieuses?) au détriment d'un débat social en prise avec le REEL des citoyens.  

 

 Un spectacle social qui ne dit pas la vérité

C'est ce déficit de relais crédibles, honnêtes et représentatifs avec le pays réel qui contribue largement au fait que des millions de Français ont aujourd'hui plus que jamais le sentiment que le spectacle social qu'on leur montre ne les représente pas, et ne dit pas la vérité.

syndicats,syndicalisme,marianne 2,laurence dequay,société civile,france,certification,associations,françois chérèque,cfdt,nicolas perruchot,subventions,pierre-patrick kaltenbach,philippe séguinIls n'ont hélas pas tort, même si le vote extrême qui tente beaucoup d'entre-eux n'est qu'un dangereux pis-aller.

 

Pour aller plus loin, on lira avec profit Roger Lenglet, Jean-Luc Touly, Christophe Mongermont, L'argent noir des syndicats, Fayard, 2008.

 

 (1) Voici comment Jürgen Habermas définit la société civile:

« (...) ce qu’on appelle aujourd’hui société civile n’inclut plus (...) l’économie régulée par les marchés du travail, les marchés des capitaux et des biens et constituée par le droit privé. Au contraire, son cœur institutionnel est désormais formé par ces groupements et ces associations non étatiques et non économiques à base bénévole qui rattachent les structures communicationnelles de l’espace public à la composante «société» du monde vécu. La société civile se compose de ces associations, organisations et mouvements qui à la fois accueillent, condensent et répercutent en les amplifiant dans l’espace public politique, la résonance que les problèmes sociaux trouvent dans les sphères de la vie privée. Le cœur de la société civile est donc constitué par un tissu associatif qui institutionnalise dans le cadre d’espaces publics organisés les discussions qui se proposent de résoudre les problèmes surgis concernant les sujets d’intérêt général». Jürgen HABERMAS, Droit et démocratie, Paris, Gallimard, 1997, p.394.

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