France, la fin d’un monde (30/03/2006)

Dans son dernier ouvrage, Danièle Hervieu-Léger a titré sur le «catholicisme, la fin d’un monde». On pourrait sans peine la paraphraser, et souligner qu’aujourd’hui, nous assistons, en France, à la « fin d’un monde ». Avec cette crise du CPE qui n’en finit pas, deux modèles semblent arriver à bout de souffle.
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Bonapartisme désuet
Le premier, c’est celui d’un bonapartisme condescendant, qui implique qu’en haut, on sait tout, sans besoin de consulter les manants qu’on gouverne. Dans son mépris souverain de la négociation, le premier ministre Dominique de Villepin paye cash un mode de gestion hérité du XIXe siècle, dont le monde démocratisé et globalisé d’aujourd’hui ne veut plus entendre parler (voir la note sur la « crise de la représentation et le modèle du « top-down »).

Pour avoir du cœur à l’ouvrage, les Français ont besoin que leur dignité soit respectée (Cf. analyses de Philippe d’Iribarne, CNRS, dans le dernier Télérama). Ce respect rime avec la négociation, pas avec le passage en force.

Les manifs : mauvais remake ?
Le second modèle à bout de souffle, c’est celui de la France dans la rue, des grandes manifs aux slogans choc ou démagos. En regardant mardi dernier les interminables cortèges, on avait parfois l’impression d’un mauvais remake.

Dans les années 1980s, la France pouvait encore se payer le luxe de manifs à répétition. Mais aujourd’hui, avec les caisses de l’Etat dramatiquement vides, un chômage des jeunes record et une globalisation industrielle qui ne nous fait pas de cadeau, la France n'a plus les moyens d'une paralysie sociale tous les 6 mois, qui fait fuir les investisseurs, stupéfie nos voisins européens, et contribue à éroder un peu plus une culture du travail déjà bien fragilisée. Arrêtons ce lent suicide!

Quelle issue ? L’immobilisme est la pire option. Le discours «ne pas toucher aux acquis» n’est hélas aujourd’hui plus tenable, car nous n’en avons plus les moyens, sauf à accabler totalement les jeunes générations (qui arrivent au travail plus tard que leurs aînés, et qui n’auront pas leur retraite). De ce point de vue, le discours conservateur de la gauche et des syndicats dépasse souvent la limite de la démagogie, voire du mensonge.

Au nom des droits des travailleurs, on sacrifie, en fait, les chômeurs (méprisés de longue date par les syndicats) et les jeunes, réduits à un assistanat de plus en plus prolongé.Quant à la droite, le moins que l’on puisse dire est que l’application bonapartiste de la « méthode Villepin » laisse beaucoup à désirer. Si des réformes douloureuses sont à faire, encore faut-il qu’elles visent juste (le CPE n’est pas irréprochable sur ce plan) et qu’elles soient négociées dans le respect des citoyens.

COLÈRE
Alors quoi ? Alors, rien. Tel Drago dans le Désert des Tartares (Dino Buzzati), sommes-nous réduits à regarder l’horizon en attendant les barbares ? Dans ce climat de «fin d’un monde», reste peut-être une ressource, la colère. Dans un pays qui sombre au ralenti, rien de pire que l’apathie. La colère de bien des Français constitue de ce fait un signe d’espoir. Bien que mal dirigée, souvent instrumentalisée par des discours démagos et autistes, la colère des citoyens, et notamment des plus jeunes, porte la promesse que tout n’est pas dit. La France de papa se meurt, mais la France de demain est à construire ! Aux politiques, d’où qu’ils viennent, de savoir saisir l’étendard de cette colère et en représenter les défis sur la scène de ce monde du Troisième Millénaire.

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