Les frères de Plymouth n°4 sont-ils sectaires ? (06/05/2006)

Le dernier rapport de la Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires (MIVILUDES) est sorti il y a quelques jours. Contrairement au Beaujolais nouveau, il sort en 2006, mais s’appuie sur la récolte de l’année précédente (2005). Dans la hotte, cette année, une mention des Frères de Plymouth n°4 (que j’appellerai FP4). On peut les désigner aussi comme frères exclusifs, tayloristes, ou «purs».

Ils ne sont surtout pas à confondre avec les Frères de Plymouth, comme on l’a fait parfois. Ce dernier mouvement est beaucoup plus vaste. Matrice originelle des FP4, il désigne les assemblées de frères, grande branche du protestantisme évangélique. Les Frères n°4 en constituent une dissidence lointaine, caractérisée par une approche maximaliste de l’ascétisme intramondain. En clair, si les Frères, ou darbystes (du nom d’un fondateur, John Nelson Darby, 1800-1882) sont stricts, les Frères de Plymouth n°4, au sein de la famille, sont les plus stricts des stricts. Ils sont à l’ascétisme protestant ce que les chartreux sont au monachisme catholique. Ces protestants sont aujourd’hui présents dans huit départements (Ardèche, Drôme Loire, Haute-Loire, Var, Gard, Rhône, Seine-et-Marne).

N’ayant pas eu encore l’opportunité de lire le rapport MIVILUDES, je me garderai de le commenter directement. En revanche, dans la mesure où cette mention des Frères de Plymouth n°4 a fait couler beaucoup d’encre, trouvant écho jusqu'au journal TV de TF1, je vous propose de faire brièvement le point sur ce groupe. Dans le cadre de mes recherches à plein temps sur le protestantisme évangélique, j’ai en effet pu étudier les FP4, consulter leur littérature, rencontrer ses responsables : sans en être un spécialiste pointu, je peux vous en proposer ici un bref aperçu général. Et poser la question : ce mouvement est-il sectaire ou pas ?

Une filiation protestante indiscutable
Je commencerai par rappeler que ces Frères de Plymouth n°4 ne sont pas nés d’hier. Ils s’inscrivent dans un héritage protestant évangélique séculaire. De leur rapport à l’institution à leur refus d’un clergé professionnel en passant par le rôle central de la Bible, le rattachement des Frères de Plymouth n°4 à l’héritage de la Réforme ne fait pas de doute. Leur proximité particulière avec la veine évangélique est encore plus nette. L’ambition religieuse de ces Frères est bien de revitaliser la foi au plus près de l’idéal évangélique, dans la tradition des «réveils» protestants. Enfin, pour resserrer encore la focale, il faut rappeler que ces FP4 s’inscrivent dans la filiation des assemblées de frères, et plus précisément du darbysme (du nom de John Nelson Darby, dont on voit le portrait ci-dessus). Cette tradition, marquée par un accent sur la séparation d’avec le Mal, a été accentuée dans ses traits les plus stricts par les FP4, à coup de scissions successives où s'imposent des figures comme Frederick Edward Raven (anglais) ou James Taylor père et fils (américains).

Une vie quasi monachique
Comment vivent aujourd’hui ces protestants ? Leur pratique religieuse est intense et quotidienne. Sans vivre eux-mêmes dans la clôture d’un monastère catholique, puisque les frères exclusifs exercent une activité professionnelle séculière et occupent des maisons individuelles à l’image de «Monsieur Tout-le-monde», ces Frères de Plymouth n°4 (FP4) se caractérisent dans leur pratique religieuse par un degré d’intensité digne de celui de nombreux moines catholiques. Réunions bibliques tous les jours, dimanche entièrement occupé à la communion chrétienne : l’inculcation et l’imprégnation sont très intenses. Bible et prière sont au centre, et la communauté se méfie des contacts avec l’extérieur : les PF4 sont largement hostiles à l’œcuménisme, et refermés sur eux-mêmes.

La vie familiale est par ailleurs très normée, dans un contexte patriarcal où le père travaille à l’extérieur, tandis que la mère prend en charge l’éducation morale des enfants tout en veillant à l’équilibre domestique. Comme les catholiques conservateurs, ils refusent la contraception. Ils excluent aussi toute sexualité pré- ou extra-conjugale (sur le modèle des autres protestants évangéliques, mais aussi de beaucoup d’autres groupes religieux). Ils privilégient une cohésion familiale fondée sur les valeurs évangéliques telles qu’ils les comprennent : c’est pourquoi, bien qu’ouverts à l’école laïque, ils ont choisi depuis quelques années de scolariser leurs enfants, à partir du collège, dans un centre d’études par correspondance, au motif de dégradations des conditions de sécurité dans le Second degré (impolitesses croissantes, violence, drogue).

Enfin, leur vie professionnelle est soumise à l’ethos religieux, c’est-à-dire la norme comportementale dictée par l’éthique chrétienne. Très travailleurs, solidaires, paisibles (et pacifistes), les FP4 connaissent un taux de chômage de zéro, bien qu’ils découragent les études longues. Soupçonnant l’ordinateur d’être un véhicule du péché, ils refusent l’usage de l’informatique (ce qui leur pose certains problèmes). Plus généralement, la citadelle de la 'culture-maison' l'emporte de beaucoup sur les passerelles avec la culture du monde environnant, que les FP4 connaissent fort mal.

Une rigueur ascétique qui fait débat
Ce profil est-il sectaire ? Cela dépend des définitions. Si l’on définit la secte comme un groupe totalitaire qui représente une menace avérée pour la société (style Temple Solaire), soyons clairs : les Frères de Plymouth n°4 n’ont rien d’une secte. Si, à l’autre extrême, on définit la secte de manière sociologique et descriptive (comme une association de virtuoses religieux), on a bien affaire à une secte, sachant que suivant cette définition, ce qualificatif vaut aussi pour beaucoup d’Eglises évangéliques et d’ordres monastiques. Entre les deux, si on définit les dérives sectaires comme des tendances à l’embrigadement ou à séparation conflictuelle avec le monde, je pense qu’on peut discerner quelques risques de dérives sectaires. J’évoque ce point dans mon livre Du ghetto au réseau (pages 261 à 264). Le refus du vote, par exemple, peut légitimement poser question (même si personne n’est obligé de voter), tout comme le refus de prendre un repas avec un membre extérieur à la communauté, au motif qu’ils considèrent le repas comme un acte de communion (là-encore, le parallèle est possible avec certains monastères catholiques). Enfin, l’étroit encadrement des enfants ne laisse pas une grande gamme de choix, même si les individus, une fois adultes, sont libres de quitter la communauté. Dans le cas d’une famille où certains se rattachent à la communauté, d’autres pas, la stricte distanciation prônée par les FP4 peut conduire à des tensions, des souffrances familiales durables.

Il faut noter enfin que ces traits ont suscité, localement, des réactions parfois très vives de la part de certains opposants. Leur virulence récente peut tendre à confondre le soupçon de dérives (soupçon compréhensible), avec l'imposition brutale d’une étiquette de «secte» dangereuse (on dérape vers l'excès de zèle et la calomnie).

De tout ceci, il ressort qu’en mentionnant les FP4 dans son rapport, la MIVILUDES est bien dans son rôle, dès lors qu’elle signale à l’attention de possibles dérives sectaires. Il est normal et légitime qu’en République, on veille sur les dérives du religieux, tout comme il faut veiller aussi sur les dérives de l’économique ou du politique. Cette vigilance ne saurait, en revanche, autoriser localement ou nationalement une mise à l’index, une panique, une chasse aux sorcières : en répondant ainsi à cette forme très stricte de protestantisme, ce serait se faire «plus sectaire que les sectaires». Face à un groupe chrétien certes très ascétique, mais respectueux des lois de la République, la réponse passe par le dialogue, l’explication, la médiation. Dans la tradition républicaine et laïque, tous les citoyens, religieux ou pas, méritent le même respect et bénéficient des mêmes droits.

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