Un énorme scandale sexuel éclabousse le président de la NAE (06/11/2006)

medium_images.22.jpgQui veut faire l'ange fait la bête?

Le très médiatique Ted Haggard, pasteur playboy d'une des plus grandes megachurches américaines (New Life Church, à Colorado Spring) est au centre de ce qui est en passe de devenir un des plus gros scandales sexuels de l'histoire évangélique américaine.
Il y en a pourtant eu d'autres (affaires Swaggart et Bakker dans les années 1980), mais cette fois-ci on franchit un seuil.

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La raison est simple. Tandis que les épigones de Swaggart étaient des second couteaux, celui qui est impliqué cette fois-ci est une figure centrale du monde évangélique américain. Il s'agit en effet du médiatique pasteur charismatique Ted Haggard, président (jusqu'à ce week-end) de la puissante National Association of Evangelicals (NAE).

 

L'affaire vient d'éclater dans les médias, avec la divulgation anticipée sur internet d'une enquête conduite par l'hebdomadaire Newsweek, en kiosque le 13 novembre 2006. Ce qu'on y apprend va secouer de stupeur au moins 70 millions  d'évangéliques américains, et constitue un véritable séisme pour la Nouvelle Droite Chrétienne. Cette dernière, en vue des élections Mid-term, avait beaucoup misé sur le repoussoir des droits homosexuels pour mobiliser en faveur des républicains un électorat évangélique devenu plus réticent face à G.W.Bush.

Les faits

Le beau, le puissant, le charismatique Ted Haggard, à la tête d'une megachurch très médiatisée de 14.000 fidèles, président influent de la National Association of Evangelicals (NAE), marié et père de cinq enfants, est accusé de s'être drogué, et d'avoir entretenu contre rémunération une relation homosexuelle de trois ans avec un masseur gay de Denver, Mike Jones. Il aurait agi sous un nom d'emprunt, "Art", mais son partenaire occasionnel l'a reconnu par hasard, un jour où il regardait une émission évangélique à la télévision.

Haggard a d'abord nié connaître Mike Jones, mais ce dernier a pu produire des pièces (notamment des courriels vocaux) qui ont fait s'effondrer la défense du pasteur. Il semble que la consommation régulière de drogue (methamphetamine) était liée, chez Haggard, au souci d'améliorer la performance sexuelle lors de ses rencontres avec Jones.

 

Il faut savoir qu'Haggard se distingue par un zèle évangélique transfrontière (il a notamment été invité en France, pour parler à la megachurch controversée de La Porte Ouverte Chrétienne, à Mulhouse), un engagement appuyé en faveur de la politique de Bush, du libre échange économique et des valeurs morales conservatrices. Entre autres, il prône la sévérité répressive contre l'usage de la drogue, et dénonce l'homosexualité comme contraire à la volonté de Dieu.

En 1996, il s'était opposé à la Gay Pride en disant : "ce serait comme organiser un Murderer Pride Day (jour de la fierté des assassins, entretien avec The New Republic). Haggard s'est pourtant montré de plus en plus modéré sur le  thème de l'homosexualité, insistant notamment pour un élargissement de l'agenda évangélique aux questions d'environnement. Il reste que dans le film Jesus Camp, dont j'ai déjà parlé dans une note précédente, Haggard est montré en train de prêcher contre l'homosexualité.

 

medium_1103_noti_wr_eu_evanegelicos.jpgEt voilà cet homme, respecté par des millions d'évangéliques, pris la main dans le sac, ou presque. L'histoire de l'arroseur arrosé... Les preuves semblent suffisamment accablantes pour qu'il ait été démis de ses fonctions de pasteur par son église "pour conduite sexuelle immorale", et mis au ban de la NAE. Que penser d'une telle affaire? Trois réflexions me viennent à l'esprit.

 

Interprétation

medium_Janus.jpg1. Ce type d'affaire n'est pas représentatif des élites évangéliques dans leur ensemble, ni exclusivement propre à ces milieux. On peut trouver des cas similaires partout, y compris en France (récente affaire Tony Anatrella). Mais ce qui rend ce scandale spécifique est ce cocktail explosif: les très hautes responsabilités de l'intéressé, combinées avec une distorsion particulièrement forte entre des obsessions rhétoriques anti-homosexuelles, et la pratique en sous-main de ce qu'on condamne publiquement.

 

Il me semble qu'on est en face, non pas d'un cas d'hypocrisie, mais plutôt d'une forme particulière  de schizophrénie (dissociation mentale) induit par le contexte d'Haggard. Il existe des conjonctures (et c'est le cas actuellement aux Etats-Unis) où des milieux évangéliques peuvent se laisser dominer par un discours moralisateur et légaliste, qui en vient à occuper la première place (parfois à des fins clairement électorales). Dans cette configuration, la pression à la conformité et à l'orthopraxie (conduite conforme aux normes prescrites) devient si forte qu'elle peut produire, par réaction, des échappatoires transgressifs. A force de verrouiller la cocotte minute, elle explose... et fragmente l'individu (la vieille histoire de Dr Jekyll and MisterHide).

 

medium_images.24.jpg2. Cette affaire rappelle aussi le revers de la médaille des pasteurs starisés. L'explosion des megachurches a mis en avant des pasteurs-vedettes sous la pression constante de l'image, de la caméra, sans espace privé. Enjoints d'avoir toujours la pêche, d'arborer le sourire conquérant de celui dont le Tout Puissant bénit le ministère, ces pasteurs-stars donnent une image lisse et triomphante.

Point n'est besoin de faire beaucoup de sociologie du charisme pour souligner qu'il existe fatalement un décalage entre cette image projetée sur écran géant et une réalité anthropologique moins rutilante, moins glamour, moins parfaite. Haggard, grande figure du mouvement charismatique états-unien, a beaucoup donné dans le culte de la performance et la starisation, en allant jusqu'à commercialiser un best-seller signé de son nom, vantant le "régime de Jérusalem" (Jerusalem Diet), panacée biblique pour perdre du poids. Habitué des plateaux télévisés, Haggard était devenu une icône médiatique. Au risque de recourir à la drogue pour tenir le coup?

 

medium_cuirasse.2.jpg3. Enfin, ce scandale me fait penser aussi aux remarques pertinentes de Baptiste Coulmont sur le "plastron de rectitude" (breastplate of righteousness), expression reprise d'une étude sociologique de Laud Humphreys. La formule se réfère au texte biblique d'Ephésiens 6/14, qui appelle à revêtir la cuirasse de la justice.

Commentant un autre scandale sexuel qui a poussé à la démission un membre éminent du congrès républicain, Mark Foley, proche de George W.Bush, Baptiste Coulmont observe qu'une partie des déviants recourt, pour se protéger, à ce "plastron". En d'autres termes, ils se blindent publiquement par un discours ultra-conservateur et une surenchère à la vertu, mais cela cache en réalité une propension aux penchants déviants. J'ignore si cette hypothèse fonctionne ou non pour Ted Haggard, mais c'est une piste interprétative possible.

Une chose est sûre: la vieille intuition de Pascal, suivant lequel "qui veut faire l'ange fait la bête", se vérifie décidément tous les jours:  les "anges" ne sont pas toujours ceux qui matraquent à longueur de journée des discours moralisants.

 

 

DERNIERE MISE A JOUR:
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Haggard, "Je suis un tricheur et un menteur"

Après avoir commencé à nier en bloc, Ted Haggard a fait lire une confession écrite lors du culte du 5 novembre 2006, dont le texte a été rendu public. En voici un extrait:

"A cause de mon orgueil, j'ai commencé à tromper ceux que j'aime le plus parce que je ne voulais pas leur faire du mal ou les décevoir... Le fait est que je suis coupable d'immoralité sexuelle. Et je prends la responsabilité de tout le problème. Je suis un tricheur et un menteur. Il existe une partie de ma vie si répulsive et sombre que j'ai dû combattre avec cela tout au long de ma vie d'adulte... Les accusations qui ont été proférées contre moi ne sont pas toutes justes, mais une part suffisante est vraie pour motiver le fait que je sois charitablement et justement révoqué de mon ministère" (Ted Haggard, 5 novembre 2006, trad. S.Fath).

 

Son épouse a également fait lire un message, où tout en se décrivant comme le coeur brisé, elle affirme qu'elle comptait maintenir son engagement d'une vie auprès de son mari, présentant l'épreuve comme le début d'une période de test. Ted Haggard va être spirituellement suivi dans sa démarche de repentance et de restauration par les pasteurs James Dobson, Jack Hayford et Tommy Barnett.

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