Cachez ces cinq femmes derrière le comptoir (20/09/2008)

teresa_hairston(006-headshot-med).JPGCinq femmes souriantes qui n'ont pas froid aux yeux vous fixent, sur un magazine en papier glacé. Le magazine n'est pas visible dans les rayons de la librairie. Il est conservé caché derrière la caisse.

Pour l'obtenir, il faut expressément le demander. Cela vous fait penser à quoi?

A un magazine religieux évidemment!! Hum hum, enfin... j'espère pour vous! C'est exactement ce qui est arrivé ce mois-ci au magazine évangélique états-unien Gospel Today.

 

Fondé par Térésa Hairston (photo ci-dessus), mère de famille entreprenante et de conviction chrétienne, ce magazine a proposé ce mois-ci un dossier sur les pasteures femmes. Avec cinq femmes pasteurs en couverture, qui "cassent le plafond de verre". Voici la couverture qui fait scandale:

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De ligne évangélique, ce magazine était distribué jusque là sans encombre dans les librairies Lifeway, puissant réseau de librairies évangéliques dont est propriétaire la Convention Baptiste du Sud (principale dénomination protestante américaine).

 

Mais voilà: conformément à ses convictions bibliques, la Convention Baptiste du Sud (plus de 16 millions de membres baptisés) n'accepte pas les femmes pasteurs.

 

Elle n'est pas la seule: d'autres dénominations évangéliques sont dans le même cas. Quant à l'Eglise catholique, elle fait mieux (ou pire, c'est selon): pas de femmes prêtres, et même pas de femmes de prêtres.

 

D'où un malaise: "Shocking! Nos librairies diffusent un numéro consacré aux femmes pasteurs, que nous ne voulons pas dans nos églises baptistes du Sud!"

La décision est tombée: retirer illico presto le magazine de ce mois des rayonnages. Dans les semaines qui viennent, Lifeway ne le proposera plus dans ses rayons, mais seulement sur demande, conservant la pile derrière la caisse. "Cachez ces pasteures que nous ne saurions voir".

 

 

images-1.jpegD'un côté, on peut comprendre le raisonnement: la Convention Baptiste du Sud refuse le pastorat féminin, les librairies Lifeway appartiennent à la Convention Baptiste du Sud, donc la Convention Baptiste du Sud a le droit de ne mettre en valeur que les publications conformes à ses vues.

Après tout, Lifeway n'a pas retiré la publication, on l'a simplement rendue moins visible. Et le magazine n'a pas non plus été caviardé, censuré (article et couverture enlevés par exemple). Pas de quoi crier au loup donc!

 

Magazine.jpgD'un autre côté, cette procédure de mise à l'écart, qui ressemble à une censure très soft, pose quand même trois questions:

1/ Le pastorat féminin, que la Convention Baptiste le veuille ou non, est un fait, une réalité du paysage chrétien. Comment reprocher à un magazine de proposer un dossier sur ce fait?

C'était le seul objectif de Gospel Today dans ce numéro. Il ne s'agissait pas de faire de la réclame en faveur du pastorat féminin, ni même de développer une argumentation théologique favorable, mais simplement d'enquêter sur un fait. Dès lors, refuser cette couverture de magazine dans les rayonnages de Lifeway, c'est refuser de faire face à la réalité du pastorat féminin.

 

2/ On a tout à fait le droit d'être contre le pastorat féminin. Mais ce droit n'interdit pas d'être exposé à cette réalité. Compliquer l'accès d'un magazine sous prétexte que celui-ci parle d'une réalité qu'on préférerait ignorer entrave le droit du consommateur baptiste à se confronter au réel. On contribue à une logique de tour d'ivoire, ou d'infantilisation, plutôt qu'à une logique de réflexion adulte et de débat.

Si la Convention Baptiste du Sud estime que lire un magazine qui parle de femmes pasteurs détruira les convictions de ses membres, c'est que ces convictions ne sont pas bien solides.

 

3/ Gospel Today constitue un ensemble de revues portées par une "ligne", une cohérence, tout comme un roman de Balzac a sa cohérence. Ou bien on accepte la ligne générale, et alors on met en valeur le magazine dans la librairie, ou bien on n'accepte pas la ligne générale, et on ne propose pas la revue.

Mais faire un tri, au sein des dossiers, entre ce qui est montrable et ce qui ne l'est pas, c'est comme si on faisait le tri entre les bonnes pages et les pages honteuses d'un roman de Balzac: c'est une atteinte portée aux créateurs du produit culturel. C'est aussi une forme subtile de censure, qui empêche le consommateur de se faire une idée juste de l'ensemble.

 

 

Conclusion de Térésa Hairston: "ils ont traité (le magazine) comme de la pornographie, et l'ont mis derrière le comptoir". Manque de chance pour les censeurs: cette mise à l'écart va générer dix fois plus de publicité pour le magazine.

 

Elle va aussi renforcer une image dont la Convention Baptiste du Sud se serait probablement bien passée: celle d'un carcan conformiste, de moins en moins ouvert au débat (qui est pourtant une tradition baptiste), confirmant une évolution conservatrice pointée au début des années 1990 dans ces deux ouvrages de sociologie devenus des classiques:

images.jpegNancy Ammerman, Baptist Battles: Social Change and Religious Conflict in the Southern Baptist Convention. (New Brunswick, NJ: Rutgers University Press, 1990

Nancy Ammerman (ed.). Southern Baptists Observed: Multiple Perspectives on a Changing Denomination. (Knoxville: University of Tennessee Press, 1993)

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