Essor évangélique : gare aux surenchères (10/11/2009)

images-1.jpegIl est devenu de mode, depuis quelques années, de souligner l'essor évangélique au sein du protestantisme. Il est juste de le faire, car la réalité l'impose.


Est-ce une raison pour tomber dans la surenchère ou les raccourcis simplistes?


De mon point de vue de scientifique, la réponse est non, trois fois non! Car la surenchère déforme la réalité, que nous autres sommes chargés de décrire et d'expliquer.

 

Le problème est que la surenchère, cela fait vendre.... quitte parfois à prendre quelques libertés avec les contenus.
J'en veux pour preuve deux exemples récents, qui m'attribuent des propos que je n'ai jamais tenus.



logo.gifRéforme: un titre en forme de raccourci réducteur

Premier exemple (véniel): celui de l'article publié par l'excellent hebdomadaire Réforme, avant "Protestants en fête" (n°3341, p.4).

L'article lui-même reproduit avec une parfaite exactitude mon point de vue.

En revanche, le titre.... y va d'un raccourci sans doute accrocheur, mais pas tout à fait conforme à mes propos.

 

On me fait dire, dans le titre, "La nouvelle tunique protestante est évangélique".


Une phrase que je n'ai jamais prononcée, ni écrite, pour la simple raison que je ne la pense pas!

Ainsi formulé, ce titre pourrait conduire à comprendre que le protestantisme actuel ("la nouvelle tunique") est évangélique, ce qui est évidemment très excessif.

Le protestantisme actuel conserve une composante non-évangélique tellement essentielle que dans Du ghetto au réseau, synthèse publiée en 2005, je réponds par la négative sur la question de savoir si les évangéliques sont devenus le nouveau centre de gravité du protestantisme.


Rôle clef des luthériens et réformés

Je précise que je n'ai toujours pas changé d'avis en 2009: même s'il se déplace lentement en direction des évangéliques, le centre de gravité du protestantisme français aujourd'hui reste plus proche des réformés (principale église protestante française) que des Églises évangéliques de professants.

Bien que les évangéliques aient aussi beaucoup participé, sans l'apport décisif des réformés (et celui des luthériens d'Alsace), jamais "Protestants en fête", par exemple, n'aurait pu avoir lieu à Strasbourg!

Je réfute donc ce raccourci (sans doute accrocheur) qui m'attribue des propos inexacts. Ce que je soulignais simplement dans l'article, à partir d'une métaphore textile, c'est une logique de superposition, de "mue cartographique" (avec un maillage ancien et une nouvelle répartition plus urbaine et évangélique).


Actu chrétienne.jpgRodomontade évangélique

Second exemple (moins véniel): celui d'un communiqué de presse adressé urbi et orbi par un publiciste et journaliste indépendant, Paul Ohlott, par ailleurs porte-parole d'un groupuscule politique confessionnel inspiré de la Droite chrétienne américaine.

Coutumier des effets d'annonce et des formules accrocheuses à l'emporte-pièce (cf. cet interview présentant sa formation politique comme un futur possible "premier parti de France", sic), ce publiciste peu regardant (erreur de jeunesse?) a publié un communiqué triomphaliste annonçant que "les évangéliques prennent les rênes du protestantisme".



Plusieurs sites, prompts à reproduire ce type d'annonces sans toujours en vérifier le sérieux, ont reproduit le communiqué.



Cette affirmation ronflante, qui illustre une méconnaissance de l'auteur quant aux équilibres du protestantisme français actuel, s'appuie certes sur quelques données effectives: le nombre de lieux de culte, le nombre de pratiquants réguliers.

 

Mais le protestantisme français ne se réduit, ni aux lieux de culte, ni aux pratiquants réguliers!

Luthériens et réformés sont loin de se réduire à ce "protestantisme intellectualiste et humaniste" caricaturé dans le communiqué, et leur apport à la manifestation "Protestants en fête" a, par exemple, été décisif.


images.jpegUne fourchette entre 400 et 600.000 évangéliques en France?

Une approche plus nuancée aurait donc été souhaitable, en prenant, par exemple, la forme d'une question ouverte.

Mais il y a plus gênant encore: on me fait dire dans le communiqué que "selon le sociologue Sébastien Fath, chercheur au CNRS, les évangéliques seraient entre 400.000 et 600.000 en France".

Je n'ai jamais tenu ces propos, et la citation est archi fausse!


Ce dérapage est à mes yeux bien plus grave que le titre un peu réducteur choisi par Réforme, car on cite mon nom dans le corps de l'article à l'appui d'une pensée qui n'est aucunement la mienne, mais celle du publiciste.

Dans une rubrique autoproclamée "actu chrétienne", cela fait un peu désordre.


Une citation archi-fausse

Je mets au défi mes amis internautes de retrouver un quelconque texte que j'aurais signé, ou un interview que j'aurais donné, où j'évoque le chiffre de 600.000 fidèles évangéliques.

Je n'ai jamais dit, ni écrit, une chose pareille, et il est inadmissible de déformer les propos d'un spécialiste pour servir la cause du sensationnalisme et de la 'gonflette' médiatique.


thumb_Ghetto_au_reseau.jpgLa dernière estimation que j'ai validée au sujet de la démographie évangélique est une évaluation autour de 400.000. Je n'ai jamais varié depuis.

Cette donnée statistique remonte à 2005 (Du ghetto au réseau, où le montant exact était 395.000).
Elle est sans doute aujourd'hui en-dessous de la réalité: je travaille, dans le cadre d'une nouvelle enquête, à une évaluation actualisée. Mais d'après les éléments dont je dispose, elle sera loin d'approcher les 600.000 fidèles.

 

En termes de bilan, je précise que je n'en veux pas aux responsables de ces déformations... L'erreur est humaine, surtout si on la corrige!

 

Mais si je puis me permettre de donner un conseil à certains médias: merci de me citer en tant que spécialiste, au CNRS, des évangéliques. Mais merci aussi de me lire et de m'écouter avant, afin ne pas déformer mes propos.

Je ne suis la caution de personne, mon rôle est simplement de produire des travaux socio-historiques utilisables par toutes et tous.

 

Ensuite, si on me lit et qu'on ne me cite pas, aucun problème! Mais je n'accepte pas qu'on me cite sans m'avoir lu, ou écouté.

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