Faut-il des quotas aux concours d'entrée des Grandes Ecoles? (07/01/2010)

concours.jpgFaut-il des quotas aux concours d'entrée des Grandes Écoles?

Le débat peut paraître accessoire. La mort soudaine de Philippe Séguin, homme d'État profondément républicain, nous rappelle pourtant qu'il en est des hommes et de l'Ecole comme de la République: un beau jour, tout peut s'éteindre.

La politique des quotas dans les concours est un de ces poisons qui tuera sûrement le modèle républicain français.

La raison est simple: le principe républicain veut que les concours soient anonymes, ouverts à toutes et tous de manière égalitaire sur la base du seul critère de niveau. Si on passe au-dessus de la barre, on est admis, sinon, on retente sa chance où on s'oriente vers des cieux plus cléments.

 

Principe égalitaire et méritocratique



Ce principe égalitaire et méritocratique ne veut pas dire que toutes les catégories de la population doivent être également représentées.

Mais cela signifie que tous ceux, et celles, qui ont atteint, par leur travail, le niveau adéquat, ont le droit d'entrée, sans distinction de sexe ou d'origine. Pas de copinage, pas de diplôme acheté, pas de clientélisme. Le concours, anonyme, est le même pour tous, à l'image d'une compétition sportive ou d'un examen de musique.


Mais voilà que des démagogues de tout poil, parmi lesquels n'inénarrable Alain Minc, nous clament que cet idéal n'est plus de mode. Que les Grandes Ecoles reproduisent l'élite. Que les milieux ouvriers n'y sont pas assez représentés.

 

 

images.jpegQuotas comme solution miracle

 

Sur ce dernier constat, ils ont totalement raison, et je les rejoins! Mais qu'on me permette de douter de leur solution miracle:  des quotas. Des quotas d'abord à l'entrée des classes prépas, puis carrément dans les concours... Luc Chatel l'a clairement laissé entendre.

 

Ainsi, un fils de pharmacien qui échoue nettement au concours réussira haut la main l'année d'après si son père, entre temps, est passé au chômage, car il aura été reversé dans la catégorie des boursiers auxquels sont réservés obligatoirement 30% des places...

 

Luc Chatel "profondément choqué"

 

Et gare à qui craint une baisse de niveau! Pour Luc Chatel, cette crainte apparaît comme "profondément choquante", comme il l'a déclamé mardi 5 janvier 2010 sur France Info.

Richard Descoings (président de Sciences Po), qu'on a connu mieux inspiré, a brodé dans la même veine, témoignant d'une hargne étonnante contre les Grandes Ecoles et le principe du concours républicain (alors que les classes prépas qui préparent au concours des ENS, par exemple, sont infiniment moins gourmandes, financièrement, que Sciences Po Paris, qui n'a pourtant rien d'une Grande Ecole...).

 

Démagogie antirépublicaine

 

C'est pour dénoncer cette démagogie anti-républicaine maquillée de bons sentiments que j'ai proposé un petit billet d'humeur au quotidien Le Monde. Qui a choisi de le publier aujourd'hui-même sur son site (en l'écourtant très légèrement). Il se trouve aussi dans l'édition papier datée du vendredi 8 janvier 2010.


Vous pourez lire ce billet, sur le site du Monde, en cliquant ici.

Il est intitulé "Les quotas de l'absurde".



Maintenant que vous l'avez lu, chers internautes, je voudrais préciser trois points.

 

Fable hyperbolique

 

-D'abord, il s'agit d'une fable voltairienne, qui recourt à un procédé littéraire classique chez Voltaire (et bien d'autres, comme Swift etc...): le recours à l'hyperbole, c'est-à-dire l'exagération grossière. Tout est outré ici, et volontairement!

Ce texte d'anticipation est une sorte de farce qui ne fait évidemment pas de comparaison terme à terme, mais qui amplifie fortement un trait afin d'en montrer le ridicule.

Ici, en l'occurrence, je montre l'absurdité de l'idée qui consiste à faire croire qu'imposer des quotas de sélection par catégories de la population au lieu d'un recrutement des meilleurs, sur seul critère de performance, n'aurait aucune incidence sur le niveau général.

 

Plaidoyer pour l'ascenseur social par l'école républicaine

 

-Ensuite, je plaide évidemment, et avec force, pour une augmentation de la représentation des catégories populaires au sein des Grandes Ecoles, dont le fondement méritocratique a d'ailleurs précisément été conçu pour permettre aux non "initiés" et "fortunés" d'accéder à un niveau d'excellence, grâce à l'effort, à la qualité du système éducatif, et à un concours anonyme qui empêche la cooptation.

Il faut remettre en marche l'ascenseur républicain, qui fonctionnait bien mieux il y a 40 ans! Cela passera non sur la base de quotas ridicules, antirépublicains, et humiliants pour les défavorisés (dont le bilan, aux Etats-Unis, est d'ailleurs très mitigé, alors que ces quotas se justifiaient certainement davantage là-bas qu'en France), mais sur la base de davantage de bourses, et d'un enseignement secondaire beaucoup plus ambitieux, mieux encadré et plus soucieux d'élever le niveau de compétence de tous les élèves.

C'est donc "en amont", qu'il faut "mettre le paquet".

 

Plus de soutien scolaire gratuit, oui, mille fois oui! Des concours toilettés pour mieux intégrer les cultures contemporaines (comme le propose intelligemment Valérie Pécresse), oui, mille fois oui!

Mais à condition que ces concours restent fondés sur la sanction d'un niveau d'exigence égal pour tous les candidats quelle que soit leur origine.

 

Nivellement par le bas

 

Enfin, je considère l'échec du second degré actuel à faire fonctionner l'ascenseur social comme le drame français du dernier quart de siècle, drame dans lequel la gauche et la droite ont des responsabilités partagées.

Au nom de la massification, on a profondément dégradé la qualité de l'enseignement primaire et secondaire, et du coup, aggravé fortement les inégalités sociales devant les concours d'excellence: si la proportion de fils d'ouvriers qui intègrent les grandes écoles est plus de trois fois moindre aujourd'hui qu'il y a quarante ans (de 29% à 9%: chiffres de l'étude Thélot Euriat de 1995), ce n'est pas parce que les Grandes Ecoles ont changé leurs concours et introduit une sélection sociale explicite (comme c'est le cas dans nombre d'écoles privées).

On a cassé l'école républicaine en baissant le niveau général à un tel point (recul de la rédaction, de la synthèse, de la critique, de la culture générale, de l'orthographe, de l'algèbre...) que seuls les héritiers ou les favorisés (qui compensent par des cours particuliers ou du capital social) peuvent aujourd'hui réussir certains concours.

images-1.jpegLa responsabilité de cet échec n'incombe pas aux Grandes Ecoles, même si ces dernières sont loin d'être parfaites. Evitons les mauvais procès.

Malgré leurs fautes, vénielles et corrigeables, elles restent au contraire un des derniers bastions de l'idéal républicain français (par leurs droits d'inscription très faibles, leurs concours anonymes et leur sélectivité par le travail acharné et non par l'argent).

 

Luc Ferry l'a très bien dit ce matin sur France Info, en affirmant que les Grandes Ecoles sont "la dernière chose qui marche en France" en matière d'éducation de qualité.

 

 

Nivellement par le bas

 

La responsabilité est celle de politiques démagogiques (Droite libérale et Gauche communautariste) qui ont sacrifié le modèle éducatif français au nom du nivellement par le bas et des petits arrangements entre amis.

 

C'est cet immense chantier de la qualité éducative qu'il faudrait prendre à bras le corps pour que demain, les derniers bastions de la République méritocratique soient un reflet plus fidèle de la diversité sociale.

Le gouvernement le sait, et tente ici et là de répondre au défi. Mais le problème est que c'est infiniment plus coûteux pour la Nation que d'instaurer ces quotas minables, anti-républicains, qui n'ont d'autre avantage que d'être un cache-misère démagogique.

Et quand les grandes voix républicaines nous quittent...

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