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Faut-il des quotas aux concours d'entrée des Grandes Ecoles?

concours.jpgFaut-il des quotas aux concours d'entrée des Grandes Écoles?

Le débat peut paraître accessoire. La mort soudaine de Philippe Séguin, homme d'État profondément républicain, nous rappelle pourtant qu'il en est des hommes et de l'Ecole comme de la République: un beau jour, tout peut s'éteindre.

La politique des quotas dans les concours est un de ces poisons qui tuera sûrement le modèle républicain français.

La raison est simple: le principe républicain veut que les concours soient anonymes, ouverts à toutes et tous de manière égalitaire sur la base du seul critère de niveau. Si on passe au-dessus de la barre, on est admis, sinon, on retente sa chance où on s'oriente vers des cieux plus cléments.

 

Principe égalitaire et méritocratique



Ce principe égalitaire et méritocratique ne veut pas dire que toutes les catégories de la population doivent être également représentées.

Mais cela signifie que tous ceux, et celles, qui ont atteint, par leur travail, le niveau adéquat, ont le droit d'entrée, sans distinction de sexe ou d'origine. Pas de copinage, pas de diplôme acheté, pas de clientélisme. Le concours, anonyme, est le même pour tous, à l'image d'une compétition sportive ou d'un examen de musique.


Mais voilà que des démagogues de tout poil, parmi lesquels n'inénarrable Alain Minc, nous clament que cet idéal n'est plus de mode. Que les Grandes Ecoles reproduisent l'élite. Que les milieux ouvriers n'y sont pas assez représentés.

 

 

images.jpegQuotas comme solution miracle

 

Sur ce dernier constat, ils ont totalement raison, et je les rejoins! Mais qu'on me permette de douter de leur solution miracle:  des quotas. Des quotas d'abord à l'entrée des classes prépas, puis carrément dans les concours... Luc Chatel l'a clairement laissé entendre.

 

Ainsi, un fils de pharmacien qui échoue nettement au concours réussira haut la main l'année d'après si son père, entre temps, est passé au chômage, car il aura été reversé dans la catégorie des boursiers auxquels sont réservés obligatoirement 30% des places...

 

Luc Chatel "profondément choqué"

 

Et gare à qui craint une baisse de niveau! Pour Luc Chatel, cette crainte apparaît comme "profondément choquante", comme il l'a déclamé mardi 5 janvier 2010 sur France Info.

Richard Descoings (président de Sciences Po), qu'on a connu mieux inspiré, a brodé dans la même veine, témoignant d'une hargne étonnante contre les Grandes Ecoles et le principe du concours républicain (alors que les classes prépas qui préparent au concours des ENS, par exemple, sont infiniment moins gourmandes, financièrement, que Sciences Po Paris, qui n'a pourtant rien d'une Grande Ecole...).

 

Démagogie antirépublicaine

 

C'est pour dénoncer cette démagogie anti-républicaine maquillée de bons sentiments que j'ai proposé un petit billet d'humeur au quotidien Le Monde. Qui a choisi de le publier aujourd'hui-même sur son site (en l'écourtant très légèrement). Il se trouve aussi dans l'édition papier datée du vendredi 8 janvier 2010.


Vous pourez lire ce billet, sur le site du Monde, en cliquant ici.

Il est intitulé "Les quotas de l'absurde".



Maintenant que vous l'avez lu, chers internautes, je voudrais préciser trois points.

 

Fable hyperbolique

 

-D'abord, il s'agit d'une fable voltairienne, qui recourt à un procédé littéraire classique chez Voltaire (et bien d'autres, comme Swift etc...): le recours à l'hyperbole, c'est-à-dire l'exagération grossière. Tout est outré ici, et volontairement!

Ce texte d'anticipation est une sorte de farce qui ne fait évidemment pas de comparaison terme à terme, mais qui amplifie fortement un trait afin d'en montrer le ridicule.

Ici, en l'occurrence, je montre l'absurdité de l'idée qui consiste à faire croire qu'imposer des quotas de sélection par catégories de la population au lieu d'un recrutement des meilleurs, sur seul critère de performance, n'aurait aucune incidence sur le niveau général.

 

Plaidoyer pour l'ascenseur social par l'école républicaine

 

-Ensuite, je plaide évidemment, et avec force, pour une augmentation de la représentation des catégories populaires au sein des Grandes Ecoles, dont le fondement méritocratique a d'ailleurs précisément été conçu pour permettre aux non "initiés" et "fortunés" d'accéder à un niveau d'excellence, grâce à l'effort, à la qualité du système éducatif, et à un concours anonyme qui empêche la cooptation.

Il faut remettre en marche l'ascenseur républicain, qui fonctionnait bien mieux il y a 40 ans! Cela passera non sur la base de quotas ridicules, antirépublicains, et humiliants pour les défavorisés (dont le bilan, aux Etats-Unis, est d'ailleurs très mitigé, alors que ces quotas se justifiaient certainement davantage là-bas qu'en France), mais sur la base de davantage de bourses, et d'un enseignement secondaire beaucoup plus ambitieux, mieux encadré et plus soucieux d'élever le niveau de compétence de tous les élèves.

C'est donc "en amont", qu'il faut "mettre le paquet".

 

Plus de soutien scolaire gratuit, oui, mille fois oui! Des concours toilettés pour mieux intégrer les cultures contemporaines (comme le propose intelligemment Valérie Pécresse), oui, mille fois oui!

Mais à condition que ces concours restent fondés sur la sanction d'un niveau d'exigence égal pour tous les candidats quelle que soit leur origine.

 

Nivellement par le bas

 

Enfin, je considère l'échec du second degré actuel à faire fonctionner l'ascenseur social comme le drame français du dernier quart de siècle, drame dans lequel la gauche et la droite ont des responsabilités partagées.

Au nom de la massification, on a profondément dégradé la qualité de l'enseignement primaire et secondaire, et du coup, aggravé fortement les inégalités sociales devant les concours d'excellence: si la proportion de fils d'ouvriers qui intègrent les grandes écoles est plus de trois fois moindre aujourd'hui qu'il y a quarante ans (de 29% à 9%: chiffres de l'étude Thélot Euriat de 1995), ce n'est pas parce que les Grandes Ecoles ont changé leurs concours et introduit une sélection sociale explicite (comme c'est le cas dans nombre d'écoles privées).

On a cassé l'école républicaine en baissant le niveau général à un tel point (recul de la rédaction, de la synthèse, de la critique, de la culture générale, de l'orthographe, de l'algèbre...) que seuls les héritiers ou les favorisés (qui compensent par des cours particuliers ou du capital social) peuvent aujourd'hui réussir certains concours.

images-1.jpegLa responsabilité de cet échec n'incombe pas aux Grandes Ecoles, même si ces dernières sont loin d'être parfaites. Evitons les mauvais procès.

Malgré leurs fautes, vénielles et corrigeables, elles restent au contraire un des derniers bastions de l'idéal républicain français (par leurs droits d'inscription très faibles, leurs concours anonymes et leur sélectivité par le travail acharné et non par l'argent).

 

Luc Ferry l'a très bien dit ce matin sur France Info, en affirmant que les Grandes Ecoles sont "la dernière chose qui marche en France" en matière d'éducation de qualité.

 

 

Nivellement par le bas

 

La responsabilité est celle de politiques démagogiques (Droite libérale et Gauche communautariste) qui ont sacrifié le modèle éducatif français au nom du nivellement par le bas et des petits arrangements entre amis.

 

C'est cet immense chantier de la qualité éducative qu'il faudrait prendre à bras le corps pour que demain, les derniers bastions de la République méritocratique soient un reflet plus fidèle de la diversité sociale.

Le gouvernement le sait, et tente ici et là de répondre au défi. Mais le problème est que c'est infiniment plus coûteux pour la Nation que d'instaurer ces quotas minables, anti-républicains, qui n'ont d'autre avantage que d'être un cache-misère démagogique.

Et quand les grandes voix républicaines nous quittent...

Commentaires

  • Merci pour ce billet très intéressant. Avec vous, je m'inquiète d'une possible politique des quotas, profondément inégalitaire, tout comme je tiens en horreur le copinage.

    Mais je m'interroge tout de même. Pourquoi la France s'acharne-t-elle tant à garder ses concours? Pourquoi tout doit-il obligatoirement passer par celui-ci (brevet, bac, entrée dans les écoles, entrées dans la fonction publique, etc., etc.), alors que nous ne sommes pas égaux devant lui. Par exemple, au-delà des inégalités sociales, il existe des "bêtes à concours", et d'autres, non moins méritants, intelligents, et travailleurs, qui, pour une raison ou une autre, craquent devant la page blanche. Ceux-ci ne rentreront jamais dans les grandes écoles alors qu'ils auraient le "niveau". Je récuse donc l'idée que "niveau" doive nécessaire signifier "capacité à passer un concours".

    Sous couvert d'égalité ou de républicanisme sont exclus ceux qu'on voudrait protéger et inclure! Sans tomber dans les quotas, ne faudrait-il donc pas réfléchir à un système de sélection plus englobant que le concours, plus respectueux des manières de travailler et de penser de chacun?

    La France me semble en retard dans ce domaine sur d'autres pays.

  • Merci à NF pour ces commentaires.

    Je partage largement votre analyse. Mon propos n'est aucunement d'entrer dans le culte du concours. Il est de dire qu'une politique de quotas à la réussite des concours, c'est détruire le principe même du concours républicain, qui est l'égalité des candidats, quelle que soit leur origine.

    Mais il n'est pas du tout inutile, par ailleurs, de développer d'autres filières d'excellence, les contrôles continus, etc.... car le concours n'est en effet pas la panacée universelle.

    L'essentiel est que dans ces processus de sélection, l'idéal républicain de l'égalité des chances soit respecté, ce qui signifie des bourses en nombre, une formation de qualité et peu onéreuse, le refus des quotas et du clientèlisme.

  • Sur les boursiers et les concours, un billet sur le blog de mon collègue Camille Peugny (auteur de "Le Déclassement" chez Grasset) est intéressant :
    http://alternatives-economiques.fr/blogs/peugny/2009/09/09/bonjour-tout-le-monde/

  • Merci à Baptiste pour cette référence: entièrement d'accord avec Camille Peugny pour estimer que les quotas sont une fausse bonne solution: ils ne doivent pas se substituer aux nécessaires réformes de fond qui doivent conduire à conjuguer démocratisation et maintien de la qualité des formations.

  • Il faut tout de même reconnaître que comme c’est souvent le cas avec nos gouvernants actuels, on part de bons constats et d’une bonne volonté : permettre à davantage de personnes sous le coup de déterminismes sociaux et ethniques d’accéder à des moyens de formation et d’ouvrir des perspectives professionnelles. Lorsque Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, a relevé qu’il y a un problème de représentativité des minorités dans le haut fonctionnariat de ce pays, il fait le bon constat.

    Par contre, la solution proposée, la discrimination positive ou la politique des quotas, les deux participent de la même pensée, et tout le battage médiatique que l’on fait, tout cela finit par reléguer les compétences et les potentiels au second plan. C’est ce qui s’était passé pour la nomination de Aissa Dermouche.

    Cette volonté d'introduire des quotas participe à mon sens de la pensée sarkozienne qui consiste à endormir certains dans une certaine sécurité et des illusions: ceux qui sont censés être visés par les quotas sont toujours optimistes ; même s’ils savent que le principe même des quotas est restrictif en ce sens où l’on ne peut pas en faire bénéficier tout le monde. Et pendant que les gens rêvent, on nivelle par le bas, on vide la coquille de sa substance.

    Un de mes collègues enseignant en lycée professionnel m’a raconté comment certains parents étaient ravis quand l’éducation nationale leur a présenté le projet de faire passer la formation conduisant au bac professionnel de 4 à 3 ans. Un an de gagner, c’est pas mal : le jeune pourra arriver plus vite sur le marché du travail ! Mais quelle bonne idée ! Sauf qu’en passant, on a ramené le contenu de la formation au niveau du BEP (brevet d’études professionnelles, qui se fait sur deux ans). En d’autres termes, ils reçoivent comme formation sur trois ans ce que l’on dispensait sur deux ans ! Aller chercher l’erreur ! Et ça va en cascade : j’ai cette année en BTS (brevet de technicien supérieur) certains élèves qui ont fait le bac pro en 3 ans. Franchement, je considère que c’est une injustice que de leur faire croire qu’ils ont vraiment un bac et qu’ils peuvent prétendre à être de vrais techniciens supérieurs.

    Comme d’habitude, les présidents de jurys auront pour consigne d’aller chercher jusqu’à 8.5/20 de moyenne pour accorder le brevet (hé oui, j’ai été complice malgré moi de ce genre de décision !). Mais quelle valeur sur le marché du travail ? Pire, quelle compétitivité pour la France avec de tels « techniciens » ?

    Je suis d'accord avec vous lorsque vous défendez les concours comme moyen de recrutement républicain et démocratique mais qu’il y a besoin de les réhabiliter, les "toiletter". Mais quand vous dites qu'il faut endiguer le problème "en amont", n'incluez-vous pas dans cet "amont" la discrimination par les moyens et par l'argent qui fait que certains candidats ne peuvent pas se préparer dans de bonnes conditions?
    Je pense entre autre aux candidats qui doivent travailler pour vivre, acheter les livres nécessaires pour s'imprégner de la critique de leurs spécialités... Mais sur quels critères faudra-t-il accorder les bourses ? Jusqu’à quel montant pourra-t-on aller ?

    Les déterminismes sociaux ont des incidences sérieuses sur les résultats. En sus du nivellement par le bas des programmes, il faut en effet insister sur le fait que toutes les populations ne partent pas du même pied du fait de la répartition des moyens. Donc, oui, et là je me rapproche de NF, le candidat possédant le niveau mais non rompu à des pratiques relevant de la compétition coure le risque d'être recalé plus d'une fois. Or, ce même candidat peut d'année en année être employé par l'éducation nationale en tant que vacataire. Si on le reconduit à chaque fois, c'est qu'on doit être au moins un peu satisfait de son travail d'enseignement, non?

    Oui, les "bêtes à concours", ceux qui ont les moyens, ceux qui sont rompus aux compétitions ont certes davantage de chances de réussir que les autres. Mais, permettez que je prenne mon cas pour exemple : l'année où j'ai préparé le CAPES d'anglais, je faisais un service de surveillance de 20h/semaine dans un collège; j'étais en maîtrise sans dispense d'assiduité, ce qui veut dire que je devais assister à des séminaires et avancer dans la recherche pour rédiger mon mémoire... bref, je n'avais pas la possibilité de préparer dans des conditions optimales. Pour autant, j'aurais été aujourd'hui très malheureux d'être considéré comme quelqu'un à qui l'on a "donné sa chance" au dépens d’autres candidats sur le simple critère des déterminismes qui pouvaient (et pourraient aujourd’hui, dans d’autres circonstances) jouer contre moi.

    Il ne faut pas non plus oublier que les bons candidats, les "bêtes à concours", même si cette expression me parait un peu désobligeante, permettent aussi d’éviter un nivellement pas le bas.

    Donc, oui avec NF, le système de concours n'est pas la panacée. Mais qu’est-ce qu’on a de mieux? Qu’est-ce qu’on a de mieux à proposer à ceux qui seraient sous le coup de déterminismes ethniques et sociaux qui ne soit pas paternaliste, qui ne nourrit pas les des sentiments de racisme inversé?

  • Un excellent billet, très pédagogique. Quand on parle de foot, tout le monde comprend. Donc, espoir ? Si seulement !

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