Loi 'anti burqa' (sic) : finalement plutôt une bonne surprise? (17/07/2010)

nouvellemariannerouge.jpgL'Assemblée Nationale française a voté il y a quatre jours (13 juillet 2010) en première lecture l'interdiction de circuler le visage caché dans l'espace public, rebaptisée parfois dans les médias "loi d'interdiction du port du voile intégral", ou "loi anti-burqa".

 

Le chemin sera encore long avant la promulgation effective, mais la machine est lancée.

C'est, rappelons le, le débat sur le niqab et la 'burqa' qui a abouti, in fine, à cette loi.

 

Réserves

 

Trois réserves au moins peuvent être faites du point de vue républicain: risque d'instrumentalisation stigmatisante (à l'encontre de l'islam), danger que les femmes en niqab soient molestées, question de compatibilité avec le cadre juridique existant.

On peut se demander par ailleurs s'il n'y avait pas beaucoup d'autres lois plus urgentes à faire voter.



Mais en dépit de ces réserves non négligeables, avouons qu'il s'agit là, au bout du compte, d'une loi intelligente, relativement pondérée, qui évite les principaux écueils que l'on pouvait craindre. La formulation du texte constitue plutôt une bonne surprise au regard de l'histoire législative de notre "République laïque" française.

 

Même s'il posera des difficultés assez sérieuses du point de vue du Droit (notamment à l'échelle européenne), et en dépit des arrières-pensées pas toujours édifiantes qui ont présidé à son élaboration (contexte rance des dérives du débat sur l'identité nationale), il ne fait pas honte à la République.

 

 

1350223_3_7397_toute-personne-obligeant-une-femme-a-se-voiler.jpgUne loi intelligente

 

C'est une loi intelligente car elle ne ne tombe pas dans le piège de s'en prendre à une religion, ou à la religion, ni aux "signes religieux".

Elle ne tombe donc pas dans les travers de la dite "loi sur le voile" dans l'espace scolaire, qui posait problème par son caractère trop reserré (refus uniquement des signes religieux, mais aucun refus d'autres signes comme l'affichage ostensible des marques, etc.).

 

Même si le niqab est clairement à l'origine de la loi (on peut le souligner sans pour autant faire un procès d'hypocrisie à ses promoteurs), le législateur a pris grand soin de poser un principe général, qui vaut pour tous, et pas seulement pour les très rares musulmans qui souhaitent continuer à promouvoir le niqab dans les rues de France.

 

images.jpegUne loi pondérée

 

C'est une loi relativement pondérée, car sa formulation est pesée, mesurée, et elle constitue l'aboutissement d'un large temps de concertation, mêle s'il aurait pu être un peu plus approfondi encore. Elle rallie aussi des partisans de bords politiques différents, sans parler d'un très grand nombre de musulmans, qui ont parfaitement compris que la loi ne s'en prenait nullement à l'islam en tant que tel.

 

Imaginer, écrire ou dire qu'en interdisant (entre autres) le port du niqab, on s'attaque à l'islam dans sa globalité, c'est vraiment témoigner d'une étonnante naïveté, ou d'un immense mépris pour l'islam! Car l'islam n'est pas le niqab, ni la burqa (interdiction pour la femme de montrer son corps), pas plus que le christianisme n'est l'interdiction de la contraception (interdiction pour la femme de faire l'amour si ce n'est pour procréer). Ces dérives font certes partie d'un certain islam -et d'un certain christianisme-, mais ne représentent et résument ni l'un, ni l'autre.

 

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Tout en ayant un caractère religieux (mais pas seulement), le niqab et la burqa sont des expressions très marginales de l'islam. Les combattre, notamment au nom du droit des femmes, ne veut aucunement dire que l'on combat l'islam.

L'intellectuel Tareq Ramadan (qu'on ne soupçonnera pas d'anti-islam) affirme lui-même très clairement, tout en étant opposé à la loi, que le niqab n'est pas, d'après lui, "une prescription islamique"!

Ceci dit, il peut y avoir débat là-dessus, mais dans tous les cas, le niqab est très loin de faire l'unanimité en islam. Combattre le niqab en tant qu'outil de ségrégation visuelle des femmes, ce n'est donc pas combattre la religion musulmane.

 

Fort heureusement, la loi est très claire sur ce plan. Elle ne désigne pas un groupe particulier, ni un univers particulier (la religion), mais se met avant tout au service d'une certaine idée de la République, qui se vit à "visage découvert", comme l'a affirmé Michèle Alliot-Marie devant les députés français.

Par son équilibre entre principes et fermeté, elle jouera sans doute, par ailleurs, un rôle dissuasif, face aux tentatives de ségrégation visuelle des femmes dont le niqab constitue, qu'on le veuille ou non, une expression objective (quelles que soient les légitimations qu'on peut essayer de lui donner par ailleurs).

 

Sans oublier ceci: l'interdit peut avoir une vertu pédagogique et cognitive. Il est faux d'opposer l'interdit et la pédagogie, avec des discours lénifiants du style : "la loi n'est pas la solution, il vaudrait mieux persuader ces femmes de ne pas porter le niqab". Dans un "monde parfait", sans contrainte patriarcale, ces bonnes pensées sont sans doute valables. Mais dans le monde imparfait qui est le nôtre, l'interdit, quand il est expliqué et motivé, peut contribuer à la persuasion, et c'est bien le rôle que se veut jouer cette loi.

 

 

849491.jpgMoment de réaffirmation républicaine préservé de la tentation 'laïcarde'

 

Du point de vue de l'observation de la scène religieuse et laïque, j'y vois pour ma part un moment de réaffirmation républicaine, mais, cette fois-ci, sans intolérance "laïcarde".

Il n'est en rien choquant qu'une République qui a choisi une femme, Marianne, comme symbole, affirme ce principe: une Marianne en bonnet phrygien, en casquette ou en foulard, OUI, une Marianne sans visage, non!

 

N'en déplaise à certains, j'ose faire l'hypothèse qu'un Jules Ferry ou un Aristide Briand, "réincarnés aujourd'hui" et culturellement ajustés à cette année 2010, n'auraient pas désavoué l'esprit de cette loi.

Sans parler d'une très grande majorité de militants et militantes des droits des femmes, qui comprennent la force d'un signe politique laïque et républicain sur des enjeux aussi cruciaux que ceux du corps des femmes et de l'identifiabilité dans l'espace public.



Les risques ne sont pas pour autant écartés, en particulier les trois dangers que j'ai mentionnés aux début de cette note (caricaturer l'esprit du texte pour faire croire qu'il s'agirait d'une loi 'maccartyste' anti-islam, risque de dérives intolérantes -crachats etc.- à l'encontre des femmes en niqab, enjeux juridiques).

Sur un sujet aussi sensible, la démagogie peut faire des ravages, et il faudra faire preuve d'une extrême vigilance afin d'éviter tout dérapage intolérant, notamment islamophobe.

 

L'argumentation lumineuse de Catherine Kintzler



C.Kintzler.jpgMais c'est une erreur de réduire cette loi assez pondérée aux déformations malveillantes qu'elle peut susciter.

En campant sur ce qu'elle énonce, et sous réserve que les valeurs de la République réveillent suffisamment d'exégètes de bonne volonté, elle semble pouvoir déjouer les mauvaises interprétations, sur l'axe d'une laïcité qui conjure les tentatives de "dépersonnalisation indifférenciée négatrice de toute singularité" (Kintzler).


Je renvoie, pour plus de détails, à l'excellente argumentation développée à ce sujet par Catherine Kintzler (ci-contre) sur son blog.

 

 

Réactions dispropotionnées

 

Aussi peut-on s'étonner des réactions parfois disproportionnées que l'on peut lire ou entendre, ici et là. Ne peut-on pas émettre des réserves, avoir des doutes, sans tomber dans la caricature passionnelle et le procès d'intention?


Souvent proche des positions de mon collègue Jean Baubérot, brillant analyste de la scène religieuse et laïque, j'avoue par exemple ne pas suivre son argumentation quand, sur France 24, il effectue, dans son échange avec André Guérin, une comparaison entre le "maccarthysme" des années 50 (chasse aux sorcières anticommuniste aux Etats-Unis) et la 'loi contre le voile intégral'.

Ce parallèle est totalement disproportionné. Il creuse des fantasmes victimaires qui fragilisent au lieu de rassembler.


Je m'étonne aussi lorsque j'entends Agnès de Féo (EHESS), dans la même émission, invoquer la vérité du "terrain" et le libre arbitre" des voilées en niqab pour réfuter la loi. Marque de la capacité de recul de la chercheuse, ou énième flagrant délit d'une sociologie de la déploration mal maîtrisée, incapable de prendre une vraie distance critique par rapport à son objet?

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