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Les burqas invisibles du rejet primaire de l'autre

Voile intégral.pngLe Parisien est un quotidien populaire.


Et pour cela, je dis "total respect".

 

Et admiration! Voilà un excellent journal d'information générale et de proximité, qui n'est peut-être battu que par La Croix (sans doute le meilleur quotidien de France).

Je le situerais même un peu devant Le Monde, pas en valeur absolue mais en termes d'adéquation entre la qualité rédactionnelle et l'attente des lecteurs.


Il arrive cependant que Le Parisien dérape du "populaire" (très respectable) vers le "populiste" (beaucoup moins recommandable).

 

 

909787-1076245.jpgDérapage populiste



La différence entre les deux? Elle est assez simple.

Tandis que le "populaire" s'intéresse aux besoins et attentes du peuple, à commencer par ses besoins culturels et civiques, le "populiste" flatte le plus petit commun dénominateur.

C'est exactement ce qui s'est passé dans l'édition d'hier (25 janvier 2010), avec la "Une choc" consacrée au témoignage d'une artiste parisienne de 40 ans qui a choisi de passer un mois couverte sous le voile intégral, en juin 2009.

Sur le fond de la démarche, rien à redire. Je trouve même plutôt bien vu de donner la parole à une femme qui a vécu, de l'intérieur, ce que c'est que la vie au quotidien en portant le voile intégral.

 

 

Un-mois-en-burqa-C-etait-l-enfer-!_mode_une.jpgLa vie sous la 'burqa' (sic)

En revanche, le traitement et la mise en page des informations pose problème. D'abord, en première page, le titre est: "La vie sous la burqa". Or, on devrait savoir qu'il n'y a pour ainsi dire pas de burqa en France (vêtement traditionnel afghan). Ce qui existe en France, de manière hyper marginale (mais d'autant plus choquante), c'est le voile intégral.


En pages intérieures (pages 2 et 3), le réductionnisme populiste prend de l'ampleur. Les titres sont accablants : "un mois de calvaire sous la burqa", peut-on lire en double page. En page 3, le titre principal est: "C'était l'enfer!" Enfin, en page 2, on peut lire "Deux Français sur trois souhaitent une loi".

Fermez le ban. Un lecteur pressé (profil type du lecteur du Parisien) conclura très vite, au regard des titres: "la burqa c'est l'enfer, il faut l'interdire". Pourquoi pas?

 


Agressivité haineuse de la foule

Le problème est que le fond de l'expérience vécue par Bérengère Lefranc révèle aussi tout autre chose. La lecture de son témoignage, dont Le Parisien livre des bribes intéressantes (non exploitées dans les titres réducteurs) laisse en effet apparaître qu'au-delà de l'inconfort, bien réel, du port du voile intégral, le problème a été, d'un bout à l'autre de l'expérience, l'agressivité haineuse de la foule.

"L'enfer" vécu n'est pas simplement la pénibilité de la tenue. "L'enfer" a également été, et peut-être surtout, l'expérience des regards de haine, en raison de sa différence vestimentaire, certes provocatrice. C'est là dessus que Bérengère Lefranc insiste le plus!


Ce sont "les gloussements des joggeurs", les "regards courroucés des vieux musulmans" (parce qu'elle tente de fumer sous son voile), "les enfants appeurés", "le vigile" qui "barre l'entrée de la supérette", "les crachats des hommes sur son passage", "les regards noirs des jeunes femmes"...

Conclusion de Bérengère: "Très peu d'indifférence, un peu de respect, quasiment aucune bienveillance" (p.3).

Qui osera dire "cocorico"?

Blessée par ce mépris, Bérengère en a retiré une "horreur" de la foule: "pour la première fois de ma vie, j'ai eu peur des gens", dit-elle... Elle se prononce aussi, du coup, contre une loi, qu'elle juge "inadaptée".... Une forme de "double peine" pour des femmes "prisonnières du voile et cloîtrées à la maison" (page 2).

 


Manque de compassion

 

L'expérience de rejet violent vécue par Bérengère Lefranc fait écho à un sondage alarmant réalisé par la société GN Research, et dont Le Parisien donne les résultats en page 2: 15% seulement des Français interrogés déclarent compatir lorsqu'ils croisent une femme vêtue du voile intégral. 56%, en revanche, sont révoltés, et 22% sont indifférents.


Ce manque de compassion pour des femmes soumises, de leur gré ou non, à une tenue pénible et socialement mutilante, m'inspire ce commentaire tout simple: on peut parfaitement comprendre qu'un Etat soucieux de la dignité de ses citoyennes et de ses citoyens s'inquiète d'une mode vestimentaire, même ultra-marginale (une femme en burqa pour 500 skin heads néo-fascistes?).


Ce vêtement soustrait les femmes au regard et les contraint à un accoutrement en forme de linceuil désocialisant.

Le voile intégral est une prison symbolique pour les femmes, qu'aucun démocrate soucieux de l'égalité des sexes ne peut approuver.



images.jpegLa bête immonde est réveillée: les burqas invisibles du rejet primaire de l'autre



Mais l'expérience de rejet vécue par Bérengère Lefranc nous rappelle que sous le voile, il y a une femme, un être humain, digne de respect, quelle que soit sa tenue.

Rien ne saurait justifier qu'en raison du voile intégral, une femme, en France, essuie des crachats ou des regards de haine.

Qu'on déteste les burqas visibles, OK (et je me range plutôt dans cette catégorie).

Mais ce n'est pas une raison pour opposer aux burqas visibles les burqas invisibles, les "burqas de l'âme" qui voilent toute bienveillance et expriment le rejet primaire de l'autre.

Aucune femme ne mérite un crachat pour sa tenue, quelle qu'elle soit!


J'ignore si la République française décidera, ou non, d'une loi au sujet du voile intégral.

Si elle n'a pas plus urgent que de céder à cette tentation légiférante, au risque de sur-dimensionner un problème réel, mais très marginal en France, et de susciter l'inquiétude de nombre de démocraties (légiférer sur les tenues vestimentaires portées dans la rue, ce n'est pas rien!), je suggère ceci: qu'à aucun prix, la loi à venir ne conduise à stigmatiser une population, en particulier des femmes, nourrissant l'intolérance ordinaire.

Si loi il devait il y avoir, qu'elle porte sur des critères d'impératif de reconnaissance dans l'espace public, pour les hommes et les femmes (sans cibler ces dernières). Et qu'on ne mentionne surtout pas la soi-disant "burqa"! Car bien que ce terme n'ait pas grand chose à voir avec la réalité de l'immense majorité de l'islam, dans l'esprit des gens, elle renvoie... aux musulmans, nourrissant les amalgames et les surenchères.

La bête immonde de l'intolérance et du mépris de l'autre est déjà éveillée, et elle fait honte aux valeurs de la France.

N'en rajoutons pas.

Commentaires

  • Merci de cette analyse qui sort des stigmatisations, pour s'intéresser aux personnes et à leur respect, sans camper sur une position de principe inhumaine.

  • Je relève dans l'éditorial des "Dernières Nouvelles d'Alsace" http://www.dna.fr/edito/20100127_DNA001662.html l'extrait suivant : "De nouvelles convenances s'imposent à la faveur de glissements progressifs visant à ériger en normes quotidiennes des comportements importés d'Arabie saoudite. Ce sont ces glissements que les intégristes tentent d'imposer en France : en brandissant habilement le niqab (alors qu'à ce jour cet habit ne concerne que quelques centaines de femmes), ils banalisent le hidjab (voile cachant les cheveux), qui passait naguère pour un signe religieux ostentatoire et devient aujourd'hui une aimable variante exotique de la mode féminine."

    Et c'est bien ce qui m'inquiète.

    Par ailleurs, j'ai récemment fait la connaissance d'une musulmane sympathique par ailleurs, mais qui a refusé poliment de me serrer la main, alors qu'elle a serré celle de mon épouse. Elle portait le hidjab (on ne voyait que l'ovale du visage).
    Le couple passe pour être bien intégré. J'ai parfois du mal à comprendre ce que l'on appelle "intégration"...

  • Merci pour cet article.
    Nos réactions sont parfois étranges. L'autre jour, à Brest, j'ai croisé une femme qui avait un voile (pas une burka) qui ne permet qu'à grand-peine de voir ses yeux. Je n'avais jamais vu en "vrai" un tel habit (seulement au travers des images médiatiques).
    Honnêtement, je me suis senti agressé, insécurisé par ce voile là, qui m'était inconnu. J'ai l'habitude des voiles qui couvrent les cheveux, des voiles qui cachent une partie du visage, mais là c'était trop pour mon petit coeur.

    L'ayant dépassé, je me suis demandé - au final - ce qui a provoqué cette réaction violente en moi.
    Ce voile, ce n'est pas une arme. Il ne m'a pas mis en danger. Il n'a pas ébranlé mes convictions profondes. Qui est en danger, finalement, avec ce voile? Vous le dites très bien : c'est la personne qui le porte. Danger d'être coupée des autres, danger de se voir insulter, maltraiter, etc.

    Nous avons besoin de plus de voix pour dire que tous ont besoin de nos regards bienveillants (et pas forcément compatissants ou "charitables", mais bel et bien bienveillants, que nous arrivions à considérer l'autre comme un humain, ce ne serait déjà pas si mal).

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