Pédophilie dans l'Eglise: chez les baptistes aussi (03/11/2011)

light_160_3d.jpgIl y a deux semaines, France 3 diffusait un documentaire édifiant au sujet des "silences" de l'Eglise catholique de France concernant des agressions sexuelles au sein d'une communauté catholique charismatique, les Béatitudes (19 octobre 2011).

 

Plus largement, ce type de dérive renvoie aux difficultés de l'institution à admettre les écarts de son clergé. En témoignent aussi, beaucoup plus largement, les milliers de cas de pédophilie désormais documentés, à l'échelle internationale, qui touchent la réputation même de l'Eglise catholique, accusée d'indulgence vis-à-vis de ceux qui, parmi ses prêtres, se sont livrés à des abus scandaleux sur des enfants.

 Mais le spécialiste du protestantisme, auteur d'une thèse sur le baptisme, ne saurait simplement se laisser porter par le sens du vent médiatique. Il importe en effet de rappeler qu'en matière de dérives sexuelles, aucun milieu n'est exempt, pas plus les milieux politiques que d'autres milieux chrétiens.

 

Abus sexuels sur les jeunes-filles dans la Convention Baptiste du Sud

 De retentissantes affaires d'abus sexuels et de pédophilie, outre-Atlantique, nous le rappellent depuis quelques années en milieu protestant, et notamment.... baptiste, et plus spécifiquement au sein de la Convention Baptiste du Sud, la plus grande dénomination protestante des Etats-Unis.

37935_159912190695374_115327031820557_438851_2212055_a.jpgC'est grâce à une femme nommée Christa Brown (ci-contre) que ces douloureux dossiers voient enfin la lumière, obligeant la Convention Baptiste du Sud à réagir.  Christa Brown, aujourd'hui avocate, raconte son histoire dans un livre intitulé This Little Light: Beyond a Baptist Preacher Predator and His Gang (Foremost Press, 2009).

Violée à l'âge de 16 ans par un pasteur baptiste nommé Dunagan, cette avocate raconte son calvaire, mais aussi les processus subtils de contrainte par ascendant utilisés par le pasteur, couvert par sa hiérarchie. Elle narre enfin son combat contre la principale union d'Églises baptistes américaines.

Ebahie de réaliser que la hiérarchie du pasteur-abuseur "couvre" les faits, elle a décidé de soulever l'opinion, exhortant la Convention Baptiste du Sud à créer une base de données sur les pasteurs convaincus de pédophilie.

under_reported_abuse.jpgCroyez-vous que la Convention Baptiste du Sud a accepté l'idée? Que nenni... En dépit de maladroites excuses partielles, la Convention Baptiste du Sud a préféré botter en touche, refusant fermement, en 2008, la création de la base de données.

Entre temps, l'histoire de Christa Brown a entr'ouvert le couvercle sur de nombreux autres dossiers jusqu'alors soigneusement cachés, révélant des dizaines, voire plus d'une centaine de cas d'enfants et adolescent(e)s abusé(e)s par des pasteurs peu scrupuleux, habiles à jouer de leur prestige et de l'autorité religieuse que leur confère leur charge.

 

images.jpeg"Arrêter les prédateurs baptistes"

 Cette mobilisation, qui continue en cette fin d'année 2011, a nourri un site internet intitulé "Arrêter les prédateurs baptistes" (StopBaptistPredators.org).

Qu'on ne s'y trompe pas: il ne s'agit pas, pour les promoteurs de ce site, de dénoncer le baptisme en tant que courant du christianisme, pas plus que la plupart des victimes de curés pédophiles ne demandent la dissolution de l'Église catholique.

Ce qu'ils souhaitent, en revanche, soit que les dérives et abus soient enfin dénoncés, sans ambiguités, par les autorités de la Convention Baptiste du Sud. Et de toute évidence, il reste encore du chemin à faire...

Pour aider la Convention Baptiste du Sud à retrouver ses esprits, le site propose, en attendant, une base de donnée ad hoc, mise en ligne gratuitement, énumérant les noms des pasteurs baptistes à qui l'on peut reprocher des faits prouvés.

 

Unknown.jpegA noter que ces affaires ont eu somme toute peu d'écho en France, sans doute parce que l'Amérique, c'est loin, et qu'on a bien assez à faire ici avec les scandales ecclésiastiques "bien de chez-nous", que ce soit aux Béatitudes (cf. documentaire de France 2) ou ailleurs.

Mais signalons tout de même que la revue Books avait évoqué ces dossiers, dans son numéro 18 (décembre 2010-janvier 2011), dans un article au titre... un tantinet provocateur, intitulé "L'Église baptiste, paradis des pédophiles", où l'on racontait en particulier l'histoire de Christa Brown.

 

Forte autorité supra-locale

 Il faut remarquer que le milieu baptiste en question ici est un milieu un peu atypique, bien qu'il s'agisse de la plus grande dénomination baptiste du monde. En effet, la Convention Baptiste du Sud a pour spécificité, par rapport aux autres unions d'Églises baptistes, d'être très fortement institutionnalisée, au point que beaucoup de ses analystes (comme Nancy Ammerman ou Bill Leonard) estiment qu'elle a rompu avec ses racines baptistes congrégationalistes, fondées sur l'autonomie de l'assemblée locale.

On est dans un système à forte autorité supra-locale, à l'inverse de ce qui se passe dans d'autres milieux baptistes, et de ce point de vue, on se rapproche un peu des régulations catholiques.

 

images-2.jpegOn remarquera par ailleurs  que la plupart des cas de pédophilie recensés aux Etats-Unis en milieu baptiste du Sud ne touchent pas de petits enfants, mais plutôt des jeunes filles entre 13 et 18 ans, ce qui constituerait une différence notable avec la pédophilie en milieu catholique, qui touche bien davantage les très jeunes garçons, ou les enfants pré-pubères.

On peut faire l'hypothèse que ce différentiel s'expliquerait en raison d'un décalage entre un milieu pastoral marié et hétérosexuel assumé (terrain baptiste où la tentation porte sur les jeunes-filles) et un milieu clérical célibataire et voué à la chasteté perpétuelle (terrain catholique).

 

 Cinq conclusions

 Du point de vue du respect de la personne humaine, ces faits sont extrêmement graves, et il n'y a aucune raison que les chercheurs en sciences sociales des religions détournent la tête, sous prétexte que la "chasse aux sectes" fait parfois de l'excès de zèle.

images-1.jpegQuand la religion fait mal, le chercheur doit pouvoir l'expliquer et l'analyser avec autant de sang froid (et de respect pour les acteurs, y compris les victimes!) que lorsqu'il cherche à décaper les préjugés antireligieux au nom d'une analyse objectivante.

Beaucoup de faits, en la matière, sont bien documentés, dont d'autres sont soumis à l'enquête.

Ils conduisent à cinq conclusions:

 

1/ La socialisation religieuse, par son caractère très englobant (système d'explication global du monde), représente un puissant levier d'influence sur les gens, en particulier les enfants, fragiles et dépendants des adultes, et cela, quel que soit le milieu religieux;

Le charisme du pasteur et sa position d'autorité constituent des ressources pour les Eglises, mais aussi de redoutables vecteurs de contrainte symbolique sur les jeunes;

 

2/ Le fort degré d'institutionnalisation (comme dans l'Eglise catholique ou la Convention Baptiste du Sud) n'est aucunement une garantie en soi en matière de régulation des dérives.

L'institution peut même fort bien ralentir la manifestation de la vérité, surtout lorsque celle-ci menace la réputation de la Maison;

 

3/ C'est la plupart du temps grâce aux simples fidèles, aux laïcs, plus qu'aux régulations internes des Églises, que les affaires remontent, et sont finalement traitées.

Ce qui conduit à s'interroger sur le degré de pertinence des hiérarchies ecclésiastiques et des "titres" d'autorités conférés aux clergés (qu'ils soient protestants ou catholiques).

Ces hiérarchies ont-elles d'abord pour fonction de servir les fidèles (et une cause qui les dépasse, en l'occurrence, pour des chrétiens, le message de Jésus-Christ), ou ont-elles surtout pour but de servir les intérêts de l'institution (sa réputation, sa crainte du scandale)?

 

4/ Il y a une différence de degré, mais pas de nature, entre les abus d'autorité sur les enfants en catholicisme et abus d'autorité en protestantisme; dans le premier cas (catholique), les abus seraient un peu plus nombreux (à ce stade des connaissance en tout cas) et plus ciblés sur les jeunes garçons; mais le protestantisme, qu'il soit baptiste du Sud des Etats-Unis, ou autre, n'est nullement immunisé contre les dérives. L'absence de célibat des pasteurs ne constitue pas un garde-fou en soi, et les protestants n'ont guère de leçon à donner...

 

CM Capture 2.jpg5/ Ces faits posent la question des mécanismes internes de lutte contre les dérives sectaires.

Si, en terrain protestant, le pasteur n'est pas suffisamment critiquable, si ses pratiques ne sont pas suffisamment transparentes, vérifiées, si l'institution fait trop corps avec ses figures humaines d'autorité (critiquer le pasteur= critiquer l'Eglise=saper l'oeuvre de Dieu), si les reproches ou réclamations sont diabolisés au lieu d'être traités avec le souci prioritaire de protéger en toute circonstance la liberté et la dignité individuelle de chaque fidèle, alors, toutes les dérives deviennent possibles, qu'elles soient contre les enfants, ou même (sur d'autres modes) contre des adultes.

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