Oui, le protestantisme états-unien a été colonialiste (06/03/2014)

250px-Church_of_Notre_Dame_Facade_2006.jpgJe viens de participer au jury de soutenance de Salim Tobias Perez (EPHE), sur le sujet suivant: 

"Religion et immigration aux Etats-Unis, Le rôle de la paroisse Notre Dame de Lourdes (New York) dans l'intégration des hispaniques dominicains" (thèse EPHE 2014). Ce travail de recherche tout à fait stimulant porte d'abord et avant tout sur la sociographie et les stratégies interculturelles des migrants hispaniques (dominicains surtout) dans la paroisse new-yorkaise en question, y compris face à l'offre attractive du pentecôtisme.

Il n'est pas mon propos ici de revenir sur la substance principale de cette thèse de sciences sociales, qui fera naturellement l'objet d'un rapport circonstancié dans le circuit académique. C'est un point "annexe", mais très stimulant pour l'historien, qui nous retiendra pour cette brève blognote.

etats-unis, catholicisme, église catholique, notre dame de lourdes, new york, salim tobias perez, ephe, hispaniques, latinos, texas, nouveau mexique, colonisation, dominique borne, benoît falaize, pierre guidiAux pages 341 et suivantes du mémoire de thèse EPHE, l'auteur, s'appuyant sur les travaux des historiens, rappelle un point bien trop oublié: le TEXAS, le NOUVEAU MEXIQUE, d'immenses territoires hispanophones (par ailleurs parcouru par des tribus amérindiennes souvent animistes) ont été annexés par les Etats-Unis au milieu du XIXe siècle sur la base d'un processus de colonisation intérieure, où les missions protestantes ont accompagné le processus colonial au détriment (entre autres) des populations catholiques déjà présentes.

En d'autres termes, et contrairement à une certaine vulgate "pro-protestante", le protestantisme américain est bel et bien porteur, tout comme (sinon plus!) son alter-ego européen, d'un héritage colonial chargé, même si celui-ci paraît moins visible en raison notamment de la continuité territoriale de la colonisation états-unienne (qui tranche avec la dynamique de projection outre-mer de la colonisation européenne).

En territoire texan, au milieu du XIXe siècle, le colonisé était catholique, et le colonisateur, protestant! Ce qui a probablement nourri, en toute hypothèse, un ensemble complexe de rapports de force et d'héritages culturels qui jouent toujours (de manière plus atténuée), posant le protestant "WASP" comme en surplomb du latino catholique... 

 

5953-small132.gifDes protestants "sans projet colonial" ? Souvent un stéréotype

En France, rappelons que cette problématique religion-colonisation a en particulier fait l'objet d'une très belle synthèse publiée en 2009 aux éditions de l'Atelier, sous la direction de Dominique Borne et Benoît Falaize (lien). Dans une recension de cet ouvrage, Pierre Guidi souligne notamment ceci: 

"Le protestantisme occupe quant à lui une place particulière, dans le sens où il s’est répandu à la faveur de l’avancée européenne mais de manière plus décentralisée, sans le soutien des États mais avec les philanthropes, les explorateurs, les négociants. À la différence du catholicisme, il était sans projet colonial et animé d’une vision universaliste" (lien vers la recension). 

Cette optique "sans projet colonial" a été très mise en valeur, avec constance, par les missions protestantes américaines. En substance, l'idée était d'opposer l'Europe chrétienne, colonialiste, aux Etats-Unis, sans empire colonial. Avec notamment l'idée forte selon laquelle les protestants Yankee ne seraient pas colonialistes, et dépourvus d'héritage lourd dans ce domaine. Se tourner vers l'offre missionnaire protestante américaine, c'était sortir de l'ambiguité incestueuse entre colonisation et mission! 

Or, un des nombreux points avancés dans la thèse de Salim Tobias Perez est de nous rappeler qu'il s'agit d'un stéréotype. En réalité, bien des protestants Yankee ont bel et bien soutenu un vaste projet mêlant intimement colonisation et mission protestante, au détriment des populations catholicisées du Texas et du Nouveau Mexique, notamment. Une page bien trop oubliée, que la belle thèse de Sélim Tobias a permis de rouvrir (entre autres apports).

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