La bataille du dimanche (01/05/2008)

CM Capture 1.jpgOn se souvient de Juliette Gréco, qui scandait en 1952 «Je hais les dimanches»...

Ce «dimanche prétentieux qui veut paraître rose» (dixit Gréco), notre président Nicolas Sarkozy lui règle-t-il son compte?

Force est d’observer que son souci de faciliter l’ouverture des commerces 7 jours sur 7 sonne le glas d’une certaine conception du dimanche, jour à part, et pourquoi pas, «jour du Seigneur».
Mais voilà, nous avons beau vivre dans un pays très sécularisé, où 5 Français sur 100 seulement vont au culte ou à la messe chaque semaine, tout le monde n’applaudit pas.
La preuve, regardez cette affiche,.

Touche pas à mon dimanche.jpg



J’ai photographié cette affiche il y a trois jours (28 avril 2008), dans les rues de Paris, non loin de mon lieu de travail, dans le 17e arrondissement.

Je la trouve fascinante.
Du point de vue de la sociologie des religions, elle diffuse au moins trois messages.

Premier message
Premier message: le combat d’une organisation d’inspiration chrétienne pour éviter le travail dominical. Classique, hyper-classique même.
Mais il est intéressant que dans la France quasi néo-païenne de 2008, on se batte encore pour cela, quand tant de pays voisins ont banalisé le travail dominical.

Second message
Second message: on se place du point de vue du droit du travail.
Rien, dans l’argumentaire présenté, ne renvoie à une quelconque obligation religieuse. C’est du point de vue syndical, du point de vue du respect des travailleurs, que le syndicat chrétien lutte contre le travail du dimanche.
Là encore, c’est finalement assez classique.


CM Capture 2.jpgTroisième message
Troisième message: on suggère que le dimanche, c’est réservé à la couette!
Là, c’est beaucoup moins classique, et c’est cet aspect qui me semble le plus intéressant dans l’angle choisi par la CFTC. Le visuel laisse clairement entendre ceci: un dimanche matin, c’est pas une vie d’aller au boulot quand des avatars de Béatrice Dalle et Brad Pitt pourraient s’adonner aux galipettes sous la couette!
Vous me direz, j’ai l’esprit tordu….

A d’autres!


On n’a pas choisi un beau jeune couple par hasard, on n’a pas choisi par hasard non plus de les montrer au lit, et ce n’est pas par hasard qu’on parle d’excitation. IL ne faut pas être grand clerc pour saisir le message: le dimanche, on devrait pouvoir s’adonner en paix au joies du calin, et oublier le turbin de la semaine.

CM Capture 3.jpg D’un point de vue socio-historique, cet angle publicitaire choisi par la CFTC m’inspire ce commentaire: nous avons ici un parfait exemple de combat contre un effet de la sécularisation, EN UTILISANT un autre effet de la sécularisation.

Je m’explique: il s’agit bien ici, pour le syndicat chrétien, de lutter contre le travail du dimanche, car le dimanche est un jour à part, non pas seulement un acquis social mais aussi «le jour du Seigneur», comme l’affirma explicitement le secrétaire général adjoint du-dit syndicat (ci-dessus) dans les colonnes du Figaro (30 avril 2008).


On lutte donc bien contre un des effets de la sécularisation, qui vise à gommer le caractère spécifique du dimanche.
Mais nous vivons dans une société trop sécularisée pour que ce combat puisse aujourd’hui être audible sur la base d’une argumentation religieuse.

La CFTC emprunte donc à la société sécularisée un de ses arguments: l’épanouissement du couple, si possible jeune, beau et sexuellement actif. C’est au nom de «l’excitation» à préserver (couette, nous voilà) qu’on défend le dimanche.


Ce propos s’inscrit, historiquement, en décalage avec l’enseignement de l’Eglise catholique, auquel se rattache pourtant de loin la CFTC.
Rappelons en effet que l’Eglise catholique a longtemps regardé d’un mauvais œil la sexualité conjugale le dimanche, le mari étant plutôt enjoint de ne pas s'approcher trop près de sa femme…

 

1309646.jpgLa messe plutôt que la bagatelle


Du reste, toute activité un tant soit peu fatiguante, en-dehors de la pratique religieuse, était mal vue le dimanche, comme l’illustrent ces extraordinaires représentations médiévales du «Christ du dimanche», blessé de tous côté par ceux et celles qui transgressent le repos sacré (voir le livre de D.Rigaux).

Le «jour du Seigneur» devait être au Seigneur, pas à la bagatelle.



Il est donc révélateur de voir aujourd’hui le repos dominical défendu AU NOM de l’excitation du couple: c’est à l’intérieur d’un système de valeurs sécularisées que le syndicat chrétien se positionne, car il n’a probablement pas d’autre choix s’il veut obtenir un impact.

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