2009-2010: un vent d'islamophobie sur la France ? (19/02/2010)

Ilham.jpegLa tolérance est pour tous, ou elle n'est pas. Il semble que l'intolérance ne connaisse pas non plus les frontières confessionnelles. La France, peu réputée pour sa longue tradition de tolérance à l'égard des minoritaires, en donne illustration ces dernières années.

Sur le terrain religieux, l'antisémitisme a connu, particulièrement depuis 2008, une certaine recrudescence, qui reste préoccupante. Un nombre croissant d'indicateurs laisse à penser qu'il en est aujourd'hui de même pour l'islamophobie.


Tout en ne m'inscrivant pas, loin s'en faut, dans toutes les conclusions de Vincent Geisser, chercheur au CNRS spécialisé sur l'islam de France, je rejoins ce collègue pour souligner que l'islamophobie est un objet d'étude légitime et observable.


Je ne définirai pas, quant à moi, l'islamophobie comme un racisme (ce qui est absurde: l'islam est une religion, pas un ciment ethnique).

 

Elle n'est évidemment pas assimilable non plus à la critique argumentée contre l'islam, qui fait partie du débat démocratique et n'a rien d'une "phobie", n'en déplaise aux entrepreneurs communautaristes de tout poil qui cachetonnent sur des abus d'interprétation.

 

images-1.jpegHypothèse d'une islamophobie croissante


Mais si on définit l'islamophobie comme une aversion prononcée à l'encontre de toute expression identitaire musulmane, il me se semble que les récents débats donnent du grain à moudre à la thèse d'une islamophobie grandissante en France. D'autant plus que les profanations de sites musulmans (cimetières, mosquées, comme à Saint-Etienne, à Obernai, à Sorgues, ces deux dernières semaines) tendent à se multiplier: six mosquées profanées depuis début 2010 en France, cela fait presqu'une par semaine!

 

La vague islamophobe reste certes limitée, mais elle est réelle, ce qui devrait inquiéter tous les républicains, partant du principe que tout citoyen, quelles que soient ses convictions (notamment musulmanes), a droit au respect.


Les éléments pour documenter cette hypothèse d'une islamophobie croissante ne manquent pas.

-Il y a eu l'effet de retour de la discrimination suisse anti-minarets, qui a libéré, en France, une intolérance décomplexée à l'égard de la différence architecturale musulmane

-Il y a eu le débat sur la "burqa", qui a passionné l'opinion, et les politiques, avant de finir sur les bureaux du Conseil d'Etat (on attend la suite)


-Certains dérapages du débat sur "l'identité nationale" ouvert l'an dernier par Eric Besson ont, par ailleurs, nourri les amalgames et les peurs (cf. ce maire UMP de Gussainville qui annonce: "on va se faire bouffer")


Et voilà, ces dernières semaines, deux nouvelles affaires autour de l'islam de France: le cas Ilham Moussaïd, et le cas du Quick de Roubaix. Regardons de plus près ces deux affaires.

 

Ilham.jpegLe cas Ilham Moussaïd


Ilham Moussaïd est une candidate locale du parti NPA, pour les élections régionales 2010. Mais voilà, tout en se revendiquant du féminisme et de la gauche, elle a choisi de porter le foulard sur la tête. Elle est adulte, aucune loi ne lui interdit de le faire.... Mais la médiatisation de ce foulard n'en a pas moins déclenché une véritable tempête politique et médiatique.

On comprend qu'il puisse légitimement y avoir débat sur ce foulard, qui ne se résume pas à un bout de tissu. Mais on ne peut qu'être frappé par la disproportion singulière entre la petitesse de l'épisode (une candidate locale non-éligible qui choisit de couvrir ses cheveux, sans pour autant faire de prosélytisme) et l'énormité des réactions.

images.jpegAvec sans aucun doute un pompon d'honneur à Jean-Paul Huchon, président du conseil régional d'Île de France, qui déclara notamment, le 6 février 2010: "Je ne sais même pas où Olivier Besancenot a été chercher ça" (on admirera le "ça", qui, dans le contexte du propos, semble désigner Ilham).

Notre récent condamné en justice (pour prise illégale d'intérêt), candidat à sa propre succession, qualifie la validation de la candidature locale d'Ilham Moussaïd de fait "tellement aberrant", regrettant que ce ne soit pas une "plaisanterie" (sic).


Or, le même Jean-Paul Huchon avait adressé des voeux publics aux musulmans d'île de France, en novembre 2006, avec ces mots: "je souhaite qu'Allah accepte votre jeûne et vous comble (...)".

Je pose la question : qui est le plus laïque: Ilham Moussaïd, jeune-femme avignonaise qui porte un fichu sur la tête, mais qui garde ses convictions religieuses dans la sphère privée, ou son "vertueux" procureur Jean-Paul Huchon, qui invoque publiquement Allah à des fins soupçonnées d'électoralisme?

En d'autres termes, le test laïque passe-t-il d'abord par ce qu'on a sur la tête, ou par ce qu'on a dans la tête?

 


575x385_1457907_0_fc39_ill-1307551-7498-quick.jpgAffaire du Quick de Roubaix: vers une loi charcuterie?


Quant à l'affaire du Quick de Roubaix, enseigne de restauration qui choisit de supprimer le porc et de recourir à de la viande hallal, on atteint des sommets.

Sous prétexte que les roubaisiens se verraient discriminés, voilà le maire socialiste (sans aucune arrière-pensée électoraliste, cela va de soi) qui sonne l'hallali, et menace de saisir la HALDE (haute autorité de lutte contre les discriminations).



Trois éléments de bon sens paraissent avoir échappé au maire, mais aussi aux très nombreux commentateurs qui lui ont emboîté le pas au nom, imaginent-ils, de la laïcité.



1/ Le Quick n'est pas un service public. Au contraire d'une cantine scolaire d'une école publique (où là, le débat mérite d'être posé au nom des valeurs laïques) un restaurant a parfaitement le droit de proposer ce qu'il veut!

2/ Il y a, en France, environ 95% de restaurants Quick sans viande hallal. Si le Quick de Roubaix (ainsi que sept autres enseignes en France) discrimine, paraît-il, les non-musulmans en leur faisant manger de la viande hallal, pourquoi ne retournerait-on pas l'argument en soulignant que les 95% de restaurants non-hallal discriminent les musulmans?

3/ La France reste, en principe, une république et une démocratie
, qui permet aux citoyens d'aller manger où ils veulent. Si un fast food (même le seul de la ville) se met au hallal pour des raisons commerciales qui lui appartiennent, est-ce à l'Etat (ou à la Halde) de décider à la place des consommateurs ce qui est bien et bon, ou mal et mauvais?

Faudra-t-il bientôt une "loi charcuterie"?
Les citoyens et consommateurs ne sont-ils pas assez grands pour faire leurs choix, tout comme les restaurateurs font les leurs?



Faute de se rappeler ces principes de bon sens, les commentaires déferlent sur les rédactions (y compris sur le site du Monde, que j'ai consulté hier) pour sonner le tocsin contre l'islamisation de la France, la défaite de la laïcité.... donnant à un micro-événement qui ne regarde que les amateurs de hamburger des allures d'affaire d'Etat, au risque de tout mélanger et de stigmatiser les citoyens musulmans de ce pays.



Sur ces deux affaires (Moussaïd et Quick), la France donne, à l'étranger, une image singulièrement moisie de ses valeurs.

La laïcité et la République sont des biens très précieux, qui méritent d'autres combats que ces futiles prétextes à l'intolérance.

| Lien permanent | Commentaires (20) | Tags : france, république, laïcité, tolérance, islam, islamophobie, ilham moussaïd, roubaix |  Facebook | |  Imprimer | |