Laurent Wauquiez et le débat sur l'assistanat: regard décalé (14/05/2011)

1465418_3_f822_laurent-wauquiez-a-juge-anormal-que-le-systeme.jpgUn des plus talentueux jeunes loups UMP du gouvernement Fillon, Laurent Wauquier, a jeté il y a quelques jours un pavé dans la mare en critiquant ce qu'il considère être une dérive vers l'assistanat, plaidant notamment pour que les bénéficiaires du RSA (Revenu de Solidarité Active) assument quelques heures de travail d'utilité générale en échange de leur allocation.

Il n'est pas dans mes intentions de débattre ici de l'opportunité, ou non, des propositions faites.

 

Tout au plus pourra-t-on se réjouir que les prises de positions polémiques de Wauquier ont permis l'ouverture d'une large réflexion sur notre mode franco-français de régulation des difficultés sociales, ce qui n'est pas inutile!

 

Au-delà des petitesses politiciennes et des cris d'orfraie poussés par certains, j'aimerais attirer ici l'attention sur un dossier que j'étudie particulièrement, dans la mesure où il touche le quotidien de centaines de milliers, voire de millions de migrants (dont plusieurs se retrouvent dans les églises évangéliques que j'ausculte pour le CNRS).Ce dossier, c'est celui de la prise en charge des demandeurs d'asile.

 

immigration,cada,michel rocard,france,laurent wauquiez,rsa,cimade,gauche,parti socialiste,umpScandale social et humanitaire

Dans la très grande majorité des contextes nationaux, les demandeurs d'asile ont le droit de travailler. Après tout, c'est une manière de s'insérer dans la société, de contribuer à sa richesse. C'est aussi une opportunité pour reprendre confiance en soi (1000 et 1 études soulignent le rôle thérapeutique du travail dans la construction d'une bonne image de soi).

Cela ne signifie pas que le travail soit facile (pas d'angélisme!), mais au vu du parcours dramatique de beaucoup de demandeuses et demandeurs d'asile, la possibilité d'un travail rémunéré, même ingrat ("plonge", manoeuvre etc.) est un vrai "plus", apprécié comme tel.

ET POURTANT! La France se singularise depuis longtemps par cette aberration, qui constitue un véritable scandale social et humanitaire (je pèse mes mots): les demandeurs d'asile ne sauraient travailler en France. Ils n'en ont pas le droit!

 

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Petit rappel: "Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage."

Il s'agit de l'article 23 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (ONU, 1948), ratifiée par la France. Qui a dit que la France était le pays des droits de l'homme?

 

Dans la France de 2011, ce droit n'est pas respecté pour les demandeurs d'asile. Sans que grand monde s'en émeuve! En revanche, la France a mis en place un ingénieux système compensatoire. Puisque les demandeurs d'asile n'ont plus le droit de travailler, eh bien on va les assister (nous revoilà au coeur du sujet lancé par Wauquier).

On va donner de l'argent de poche aux demandeurs d'asile inactifs en échange d'un matricule et d'une résidence surveillée, ghetto aménagé, qu'on appelle le CADA (Centre d'Accueil de Demandeurs d'Asile).

On va également financer un vaste système d'assistanat et d'infantilisation par le truchement de travailleurs sociaux qui "prennent en charge" des migrants dûment enregistrés, surveillés, fichés.... en vue de leur intégration... ou de leur expulsion facile.

J'exagère? Un peu... (le "matricule" s'appelle "numéro de dossier").Mais à peine. Il ne s'agit pas ici de critiquer les travailleurs sociaux en bloc. Certaines, et certains, effectuent un travail vraiment admirable, utile, et d'une grande humanité. Il ne s'agit pas davantage de critiquer l'administration en tant que telle.

Elle a le mérite de faire son travail, dans des conditions difficiles, en visant à une prise en charge décente des migrants, bien mieux traités en France que dans d'autres pays européens (Italie ou Grèce, en particulier).

 

accueil_sous_surveillance_Cimade-1_width150.jpgLe problème est plus profond. Il tient à l'esprit même de ce système d'accueil sous surveillance (cf. un rapport de la CIMADE). Depuis les circulaires de septembre et de décembre 1991 (interdition de travail pour les demandeurs d'asile, mise en place des CADA), c'est une véritable industrie de la surveillance et de l'infantilisation qui s'est mise en place, sur la base de ce qui s'approche parfois d'une véritable ghettoïsation organisée, en dépit des bonnes intentions affichées.

 

Le problème, aujourd'hui, est que ce système ne fonctionne pas, car il se heurte à une contradiction interne. D'un côté, on affirme "prendre en charge" humainement les demandeurs d'asile (au risque de les ghettoïser et de les pousser à l'illégalité et la délinquance en raison de l'interdiction de travailler qui leur est faite). De l'autre, on se plaint qu'ils ne s'intègrent pas assez, alors qu'on fait en réalité en sorte que cette intégration leur soit plus difficile (par une ségrégation spatiale et le refus du droit au travail).

 

images.jpegSystème d'assistanat organisé mis en place par la Gauche

Pourtant, ce système est coûteux.... bien plus coûteux, par exemple qu'une formule mixte et plus souple qui permettrait aux demandeurs d'asile de travailler (ce qui les responsabilise,  leur donne une dignité, les éloigne de la délinquance), avec quelques aides d'accompagnement.

La faute à qui?

 

Surprise, la responsabilité tient à la Gauche, à savoir le gouvernement Rocard. C'est en 1991, sous la responsabilité du socialiste Michel Rocard (un peu vite béatifié par une certaine intelligentsia protestante), qu'on doit la réflexion qui a abouti à la mise en place de ce système funeste, véritable catastrophe sociale et machine à fabriquer des travailleurs (et des délinquants) illégaux.

C'est à Edith Cresson, en septembre 1991, qu'il est revenu ensuite de ratifier les mesures décidées par son prédécesseur (du même bord politique).

Entend-on le Parti Socialiste, aujourd'hui, proposer une remise à plat? Que nenni... Les migrants et demandeurs d'asile sont le cadet des soucis des bobos aux dents longues qui se préparent, à l'ombre de Martine Aubry, dans l'espoir d'une alternance.  

 

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