Un des plus talentueux jeunes loups UMP du gouvernement Fillon, Laurent Wauquier, a jeté il y a quelques jours un pavé dans la mare en critiquant ce qu'il considère être une dérive vers l'assistanat, plaidant notamment pour que les bénéficiaires du RSA (Revenu de Solidarité Active) assument quelques heures de travail d'utilité générale en échange de leur allocation.
Il n'est pas dans mes intentions de débattre ici de l'opportunité, ou non, des propositions faites.
Tout au plus pourra-t-on se réjouir que les prises de positions polémiques de Wauquier ont permis l'ouverture d'une large réflexion sur notre mode franco-français de régulation des difficultés sociales, ce qui n'est pas inutile!
Au-delà des petitesses politiciennes et des cris d'orfraie poussés par certains, j'aimerais attirer ici l'attention sur un dossier que j'étudie particulièrement, dans la mesure où il touche le quotidien de centaines de milliers, voire de millions de migrants (dont plusieurs se retrouvent dans les églises évangéliques que j'ausculte pour le CNRS).Ce dossier, c'est celui de la prise en charge des demandeurs d'asile.
Scandale social et humanitaire
Dans la très grande majorité des contextes nationaux, les demandeurs d'asile ont le droit de travailler. Après tout, c'est une manière de s'insérer dans la société, de contribuer à sa richesse. C'est aussi une opportunité pour reprendre confiance en soi (1000 et 1 études soulignent le rôle thérapeutique du travail dans la construction d'une bonne image de soi).
Cela ne signifie pas que le travail soit facile (pas d'angélisme!), mais au vu du parcours dramatique de beaucoup de demandeuses et demandeurs d'asile, la possibilité d'un travail rémunéré, même ingrat ("plonge", manoeuvre etc.) est un vrai "plus", apprécié comme tel.
ET POURTANT! La France se singularise depuis longtemps par cette aberration, qui constitue un véritable scandale social et humanitaire (je pèse mes mots): les demandeurs d'asile ne sauraient travailler en France. Ils n'en ont pas le droit!
"Toute personne a droit au travail" (Déclaration universelle des Droits de l'Homme)
Petit rappel: "Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage."
Il s'agit de l'article 23 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (ONU, 1948), ratifiée par la France. Qui a dit que la France était le pays des droits de l'homme?
Dans la France de 2011, ce droit n'est pas respecté pour les demandeurs d'asile. Sans que grand monde s'en émeuve! En revanche, la France a mis en place un ingénieux système compensatoire. Puisque les demandeurs d'asile n'ont plus le droit de travailler, eh bien on va les assister (nous revoilà au coeur du sujet lancé par Wauquier).
On va donner de l'argent de poche aux demandeurs d'asile inactifs en échange d'un matricule et d'une résidence surveillée, ghetto aménagé, qu'on appelle le CADA (Centre d'Accueil de Demandeurs d'Asile).
On va également financer un vaste système d'assistanat et d'infantilisation par le truchement de travailleurs sociaux qui "prennent en charge" des migrants dûment enregistrés, surveillés, fichés.... en vue de leur intégration... ou de leur expulsion facile.
J'exagère? Un peu... (le "matricule" s'appelle "numéro de dossier").Mais à peine. Il ne s'agit pas ici de critiquer les travailleurs sociaux en bloc. Certaines, et certains, effectuent un travail vraiment admirable, utile, et d'une grande humanité. Il ne s'agit pas davantage de critiquer l'administration en tant que telle.
Elle a le mérite de faire son travail, dans des conditions difficiles, en visant à une prise en charge décente des migrants, bien mieux traités en France que dans d'autres pays européens (Italie ou Grèce, en particulier).
Le problème est plus profond. Il tient à l'esprit même de ce système d'accueil sous surveillance (cf. un rapport de la CIMADE). Depuis les circulaires de septembre et de décembre 1991 (interdition de travail pour les demandeurs d'asile, mise en place des CADA), c'est une véritable industrie de la surveillance et de l'infantilisation qui s'est mise en place, sur la base de ce qui s'approche parfois d'une véritable ghettoïsation organisée, en dépit des bonnes intentions affichées.
Le problème, aujourd'hui, est que ce système ne fonctionne pas, car il se heurte à une contradiction interne. D'un côté, on affirme "prendre en charge" humainement les demandeurs d'asile (au risque de les ghettoïser et de les pousser à l'illégalité et la délinquance en raison de l'interdiction de travailler qui leur est faite). De l'autre, on se plaint qu'ils ne s'intègrent pas assez, alors qu'on fait en réalité en sorte que cette intégration leur soit plus difficile (par une ségrégation spatiale et le refus du droit au travail).
Système d'assistanat organisé mis en place par la Gauche
Pourtant, ce système est coûteux.... bien plus coûteux, par exemple qu'une formule mixte et plus souple qui permettrait aux demandeurs d'asile de travailler (ce qui les responsabilise, leur donne une dignité, les éloigne de la délinquance), avec quelques aides d'accompagnement.
La faute à qui?
Surprise, la responsabilité tient à la Gauche, à savoir le gouvernement Rocard. C'est en 1991, sous la responsabilité du socialiste Michel Rocard (un peu vite béatifié par une certaine intelligentsia protestante), qu'on doit la réflexion qui a abouti à la mise en place de ce système funeste, véritable catastrophe sociale et machine à fabriquer des travailleurs (et des délinquants) illégaux.
C'est à Edith Cresson, en septembre 1991, qu'il est revenu ensuite de ratifier les mesures décidées par son prédécesseur (du même bord politique).
Entend-on le Parti Socialiste, aujourd'hui, proposer une remise à plat? Que nenni... Les migrants et demandeurs d'asile sont le cadet des soucis des bobos aux dents longues qui se préparent, à l'ombre de Martine Aubry, dans l'espoir d'une alternance.
Commentaires
Eh ben pour une fois qu'en dehors de la cimade et de France terre d'asile, quelqu'un s'intéresse à ça! Merci et continuez ya du boulo et les temps sont durs pour nos amis migrants
Merci pour cette note, qui pose effectivement question. Surtout ceci:
"On va également financer un vaste système d'assistanat et d'infantilisation par le truchement de travailleurs sociaux qui "prennent en charge" des migrants dûment enregistrés, surveillés, fichés.... en vue de leur intégration... ou de leur expulsion facile"
Merci de nous avoir fait connaître tout cela. Mais, au-delà de commentaires sur la blogosphère, comment faire évoluer les choses - ou en tout cas faire connaître notre désapprobation profonde? Quels canaux proposeriez-vous?
Réponse à NF :
Ah! En tant que chercheur (et j'écris essentiellement dans ce blog en tant que chercheur), je suis un peu embarrassé pour répondre à la question des canaux d'action.
Je vais donc me limiter à cette observation:
-Des associations très compétentes, à commencer par la CIMADE, effectuent un travail absolument remarquable.... mais avec peu de bénévoles, et sur créneau revendicatif et parfois très politisé qui leur donne assez peu d'écho auprès de la population. Leur positionnement suscite aussi une méfiance d'autant plus grande des gouvernements, que ces derniers subventionnent ces associations.
-Des pans entiers de la société civile se préoccupent peu, ou pas du tout, de l'enjeu politique et social posé par les migrants. C'est notamment le cas de beaucoup d'églises protestantes, y compris d'églises évangéliques, qui se mobilisent bien plus volontiers sur d'autres sujets (bioéthique). Ceci dit, ces dernières accueillent dans leurs rangs beaucoup de migrants, qui apprécient leur offre solidariste et intégraliste (lien spirituel-matériel, accent sur le partage fraternel).
Mais cette prise en charge locale du malaise des migrants, bien qu'appréciée par ces derniers, oblitère ou néglige le traitement des causes structurelles de la ghettoïsation et de l'infantilisation qui menace les demandeurs d'asile et autres sans-papiers.
Si vous étiez sur facebook, j'aurais mis "J'AIME".