Le nouveau pape catholique face au défi évangélique mondial (15/03/2013)

images.jpeg"Vamos!" Alors qu'un milliard et deux-cent millions de catholiques s'exhortent à aller de l'avant sous la houlette de leur nouveau pape François, beaucoup s'interrogent face au défi évangélique.

Depuis trois siècles, les protestants de tendance "évangélique" ne cessent d'élargir leur assise. Axés sur sur la conversion, des communautés locales autogérées et une piété biblique prosélyte, ils représentent désormais environ 565 millions de chrétiens et rallient à eux chaque année des centaines de milliers d'anciens catholiques.

L'Eglise catholique romaine demeure, certes, et de loin, le major player sur la scène chrétienne, avec 50% du total mondial des fidèles qui se revendiquent de Jésus-Christ.

Mais depuis 50 ans, les transferts démographiques du catholicisme vers l'évangélisme (branche prosélyte et conquérante du protestantisme) se sont beaucoup accélérés. Ce ne sont plus quelques ruisseaux, ou rivières. C'est au débit de l'Amazone qu'affluent à Rio, Kinshasa, Mexico, Manille, les nouveaux convertis venus du catholicisme.

 

628x471.jpg107 millions d'évangéliques latinos, sortis pour la plupart du catholicisme

C'est en Amérique latine que le phénomène, dit-on, est le plus net. A voir. Il est vrai que le catholicisme sud-américain, jadis totalement hégémonique, a cédé un terrain très considérable.  Sur les 107 millions d'évangéliques que l'Amérique latine compte aujourd'hui, l'écrasante majorité vient du catholicisme.

Mais à y regarder de plus près, le processus de translation du catholicisme vers l'évangélisme se retrouve aussi sur tous les continents.

La Côte d'Ivoire ou les deux Congos, en Afrique, en sont de bons exemples, en dépit des efforts considérables de l'Eglise romaine pour maintenir son assise, notamment grâce à un maillage scolaire sans égal. Et que dire, en Asie, des Philippines, bastion catholique doté aujourd'hui de 13 millions d'évangéliques, en majorité ex-catholiques?

En France même, les derniers sondages IFOP nous apprennent que les protestants sont 39% à afficher une pratique religieuse régulière, contre 7% des catholiques. Des protestants français cinq fois plus pratiquants aujourd'hui que les catholiques! C'est largement au dynamisme évangélique qu'on doit ce décalage.


20110324-210149-pic-306317505_t640-575x352.jpgPerte d'identité catholique chez les jeunes latinos des USA

Enfin, aux Etats-Unis, les dernières données du Pew Forum (13 mars 2013) s'avèrent, pour l'Eglise catholique, un peu inquiétantes, voire alarmantes.

La pratique catholique est aujourd'hui bien plus faible, aux Etats-Unis, que la pratique protestante, contrairement à la situation il y a 35 ans. En 1974, 47% des catholiques américains allaient à l'église tous les dimanches, contre  29%. Aujourd'hui (2013), seulement 24% des catholiques le font encore (montant divisé par deux), alors que 38% des protestants pratiquent régulièrement (hausse de 9 points!)

Par ailleurs, un sondage Gallup du 25 février 2013 révèle un fort déclin de l'appartenance catholique chez les hispano-américains: 61% des plus de 65 ans sont catholiques, contre 47% des 18-29 ans, l'érosion se faisant au profit, en particulier, des Eglises évangéliques...

 

Jesus-crise-le-diocese-de-Nancy-assume-sa-pub_article_popin.jpgCrise de plausibilité du modèle catholique romain

Tout laisse à penser que le catholicisme vit aujourd'hui une "crise de plausibilité" structurelle analysée, en son temps et dans un contexte européen, par Danièle Hervieu-Léger (Catholicisme, la fin d'un monde, Bayard). Point n'est besoin de partager toutes les analyses de la sociologue pour convenir que trois verrous, en particulier, apparaissent bloquer l'horizon catholique aujourd'hui:

-par sa culture "top-down" (autorité monarchique), l'Eglise romaine tranche avec la progression structurelle de la démocratie et sa culture "bottom-up" (autorité qui vient du peuple).

-Par sa relégation relative des femmes (refus des femmes prêtres, refus des prêtres mariés, refus de la pilule contraceptive ou du préservatif), elle tranche avec l'essor d'une vision paritaire et égalitaire des rôles homme-femme.

-Enfin, par sa centralisation liturgique et dogmatique, elle tranche avec l'essor d'une civilisation du choix, qui encourage les fidèles à être acteurs et créateurs de leur identité communautaire (régimes de validation mutuelle du croire).

Sur ces trois terrains, les Eglises évangéliques sont loin d'être totalement en phase avec les évolutions sociétales. Mais en dépit de leurs handicaps et, parfois, dérives sectaires, elles sont beaucoup mieux positionnées que l'Eglise catholique. Elles engrangent en outre les dividendes d'une offre de sens structurante et explicite (offre du salut chrétien), socialement portée par des communautés chaleureuses où le changement personnel apporté par la foi ne cesse d'être exemplarisé.

 

pape-francois-conclave.jpgFace à ce défi évangélique mondial, que peut le nouveau pape François, ancien cardinal (jésuite) Jorge Mario Bergoglio?

Comment se positionne-t-il par rapport aux Eglises évangéliques? Sa marge de manoeuvre, soyons clair, est très limitée.

Cependant, dans la partie de cartes géopolitiques qui s'annonce, il dispose dans sa main de trois atouts indéniables face au défi évangélique mondial.

 

1/ Le premier est son credo très explicitement affiché d'entrée, qui articule conservatisme doctrinal/progressisme social infrapolitique. Il reflète très précisément celui des évangéliques.

A l'inverse des Eglises pluralistes et libérales qui ont joué perdant en sacrifiant l'orthodoxie doctrinale sur l'autel de la modernité (croyant ainsi mieux s'adapter), le nouveau pape a parfaitement compris que l'attente des contemporains est celle d'une différence chrétienne forte et audible, ce qui passe par le maintien d'une doctrine chrétienne hétéronome (même si elle tranche par rapport à l'air du temps).

En même temps, il entend incarner cette doctrine au travers d'un christianisme social infrapolitique qui se veut aux prises avec les attentes populaires, non sans écho avec le positionnement de nombreuses Eglises évangéliques. Pas de théologie de la libération pour autant (loin s'en faut, comme le rappelle très justement Michael Löwy dans le quotidien Le Monde), mais une option pour les pauvres, loin du faste.

Ne l'oublions pas: ce positionnement du pape François n'est pas une nouveauté totale, loin s'en faut. Benoît XVI le revendiquait déjà, et avant lui, d'autres papes aussi. Mais le pape François semble mettre sur ces accents plus de simplicité pastorale directe, en écho aux procédés évangéliques.   

 

2/ Le second atout du nouveau pape est naturellement son origine argentine.  Tous les commentateurs l'ont noté, inutile d'en rajouter beaucoup.

Voici un pontife non-européen, venu d'un continent neuf marqué par l'enjeu post-colonial et les défis du développement. Un changement bienvenu pour une Eglise catholique dont les forces vives viennent désormais des "Suds"! Face à une offre évangélique massivement implantée en Afrique, en Asie et en Amérique latine, un chef catholique issu du creuset latino, non dénué de charisme (en dépit de sa réputation de discrétion) peut contribuer à renforcer la plausibilité universelle de l'Eglise romaine, débarassée de son parfum de plus en plus entêtant de provincialisme européen désuet.

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L'évangéliste globe-trotter Luis Palau, un proche du nouveau pape catholique (mars 2013)

3/ Enfin, un troisième atout, plus personnel, est sa familiarité naturelle avec les milieux évangéliques, qu'il a côtoyés depuis longtemps en Amérique latine.

Sa proximité avec le grand évangéliste argentin Luis Palau (né en 1934, ci-dessus) est à cet égard révélatrice: prédicateur évangélique globe-trotter, Palau a expliqué, dans un interview à la chaîne CBN, comment le nouveau pape aspire à une annonce évangélique simple et directe auprès des foules baptisées catholiques mais "païennes" (ne connaissant pas Jésus-Christ).

Cette grande personnalité évangélique argentine a également raconté comme le cardinal Bergoglio (nouveau pape) lui aurait demandé l'imposition des mains (!) pour être rempli du Saint-Esprit...

Tout ceci est à relativiser, bien-sûr (ne négligeons pas la tentation de l'autopublicité), mais ces anecdotes concordantes, relayées hier par le prestigieux magazine nord-américain Christianity Today au fil d'un interview éclairant, dénotent pour le moins la pratique d'un certain compagnonnage: face à l'offre protestante évangélique, le nouveau pape sait à quoi s'en tenir, maîtrise les codes, et aime boire le "matè" (thé vert argentin) avec les born again!

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