Ota Benga au Quai Branly (17/12/2011)

musée du quai branly,anthropologie,fabrique des indigènes,tolérancesVous ne connaissez pas Ota Benga? Jusqu'à ma dernière visite au musée du Quai Branly, moi non plus.

On connaît mieux Saartjie Baartman, la fameuse "Vénus Hottendote" au tragique destin, immortalisé l'an dernier au cinéma.

Tragique et emblématique, l'histoire du Congolais Ota Benga l'est aussi.

Voici son histoire.

Ota Benga est un Pygmée du Congo. Ramené aux Etats-Unis en 1904, il est exhibé à l'Exposition Universelle de Saint-Louis, dans le Missouri, à l'époque où l'exposition des "sauvages", "chaînons manquants", "monstres" et "phénomènes de foire" bat son plein.

 

Maillon décisif dans la chaîne de l'Evolution?

En montrant Ota Benga aux foules de curieux, il s'agissait d'exposer une soi-disant "preuve vivante" d'un maillon décisif dans la chaîne de l'évolution darwinienne. En 1906, Ota Benga est transféré au zoo du Bronx (oui, au zoo). On l'expose dans une cage, aux côtés d'un orang-outan.

Mais voilà: les choses vont un peu loin, même pour l'époque, et une partie de l'opinion publique s'émeut et proteste, en particulier des responsables religieux chrétiens. Ota Benga finit par trouver refuge dans un orphelinat, puis s'installe en Virginie. Il y travaille comme ouvrier dans une manufacture de tabac.

La notice explicative proposée sous son buste conclut ainsi: "En 1916, il apprend qu'il ne pourra plus jamais revenir en Afrique, et se suicide, à l'âge de 32 ans".

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Buste d'Ota Benga réalisé l'année de sa mort (photo S.Fath)

 

Parmi beaucoup d'autres, cette histoire singulière permet de sensibiliser un large public à la mise en scène de l'altérité à l'époque des grands empires coloniaux, dans le cadre de l'exposition "Exhibitions, L'invention du sauvage", proposée par le Musée du Quai Branly (Paris) du 29 novembre 2011 au 3 juin 2012.

Saartjie Baartman, ota benga,musée du quai branly,anthropologie,fabrique des indigènes,tolérance, France, discriminationsCette exposition magistrale a été réalisée grâce au talent de spécialistes des deux commissaires scientifiques, Pascal Blanchard, historien et chercheur associé au CNRS et de Nanette Jacomijn Snoep, responsable des collections Histoire du musée du quai Branly, grâce aussi à l'énergique clairvoyance de Lilian Thuram, ex international de football français très engagé dans le combat contre le racisme.

 

"Exhibitions, L'invention du sauvage"

Pour avoir eu l'occasion de découvrir cette exposition jeudi dernier, entre deux rendez-vous, je puis témoigner de sa très grande qualité d'ensemble: à la fois pédagogique, sans complaisance (vu le sujet, c'était un vrai danger), multimédia, et surtout, sans facilités anachroniques (il est facile de tomber dans des erreurs de perspective et des jugements faciles, à 90 ou 120 ans de distance).

Les organisateurs ont réalisé un tour de force, compte tenu de la difficulté du sujet. Gageons que les visiteurs, nombreux, sauront profiter de cette formidable occasion de réfléchir à notre rapport à la différence, hier et aujourd'hui.

Un seul regret: la très faible mention de l'élément religieux, qui constitue pourtant une variable culturelle incontournable à la charnière du XIXe et du XXe siècle. Quel dommage de n'avoir pas fouillé davantage du côté des archives, très nombreuses, des missions chrétiennes? Ou de la presse confessionnelle hexagonale?

Dans les redéfinitions contemporaines de l'altérité, particulièrement avant la fin du XXe siècle, le religieux est incontournable. Hélas, en-dehors de rares mentions (dont l'histoire d'Ota Benga, ce qui explique que je l'aie choisie pour introduire cette note), le rôle des clergés et regards religieux est absent.

 

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Ce qui renvoie à un problème plus général dans la muséographie française: à l'inverse de nos voisins suisses, allemands, britanniques, le religieux est encore trop souvent minoré en tant qu'élément explicatif, comme si ce n'était pas être tout à fait laïque que de respecter la vérité des faits, lorsque ces derniers font intervenir la religion.

Ou bien on met le religieux "sous cloche", dans une approche souvent confessionnelle (cela donne alors une expo SUR tel élément religieux), ou bien on l'oublie, ou on lui donne un strapontin (comme dans cette expo, ou à la Cité nationale de l'immigration, où la religion est (pour l'instant?) moins évoquée que le sport, alors qu'elle joue un rôle pour le moins aussi important dans l'enracinement des migrants en France!!).

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