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Ota Benga au Quai Branly

musée du quai branly,anthropologie,fabrique des indigènes,tolérancesVous ne connaissez pas Ota Benga? Jusqu'à ma dernière visite au musée du Quai Branly, moi non plus.

On connaît mieux Saartjie Baartman, la fameuse "Vénus Hottendote" au tragique destin, immortalisé l'an dernier au cinéma.

Tragique et emblématique, l'histoire du Congolais Ota Benga l'est aussi.

Voici son histoire.

Ota Benga est un Pygmée du Congo. Ramené aux Etats-Unis en 1904, il est exhibé à l'Exposition Universelle de Saint-Louis, dans le Missouri, à l'époque où l'exposition des "sauvages", "chaînons manquants", "monstres" et "phénomènes de foire" bat son plein.

 

Maillon décisif dans la chaîne de l'Evolution?

En montrant Ota Benga aux foules de curieux, il s'agissait d'exposer une soi-disant "preuve vivante" d'un maillon décisif dans la chaîne de l'évolution darwinienne. En 1906, Ota Benga est transféré au zoo du Bronx (oui, au zoo). On l'expose dans une cage, aux côtés d'un orang-outan.

Mais voilà: les choses vont un peu loin, même pour l'époque, et une partie de l'opinion publique s'émeut et proteste, en particulier des responsables religieux chrétiens. Ota Benga finit par trouver refuge dans un orphelinat, puis s'installe en Virginie. Il y travaille comme ouvrier dans une manufacture de tabac.

La notice explicative proposée sous son buste conclut ainsi: "En 1916, il apprend qu'il ne pourra plus jamais revenir en Afrique, et se suicide, à l'âge de 32 ans".

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Buste d'Ota Benga réalisé l'année de sa mort (photo S.Fath)

 

Parmi beaucoup d'autres, cette histoire singulière permet de sensibiliser un large public à la mise en scène de l'altérité à l'époque des grands empires coloniaux, dans le cadre de l'exposition "Exhibitions, L'invention du sauvage", proposée par le Musée du Quai Branly (Paris) du 29 novembre 2011 au 3 juin 2012.

Saartjie Baartman, ota benga,musée du quai branly,anthropologie,fabrique des indigènes,tolérance, France, discriminationsCette exposition magistrale a été réalisée grâce au talent de spécialistes des deux commissaires scientifiques, Pascal Blanchard, historien et chercheur associé au CNRS et de Nanette Jacomijn Snoep, responsable des collections Histoire du musée du quai Branly, grâce aussi à l'énergique clairvoyance de Lilian Thuram, ex international de football français très engagé dans le combat contre le racisme.

 

"Exhibitions, L'invention du sauvage"

Pour avoir eu l'occasion de découvrir cette exposition jeudi dernier, entre deux rendez-vous, je puis témoigner de sa très grande qualité d'ensemble: à la fois pédagogique, sans complaisance (vu le sujet, c'était un vrai danger), multimédia, et surtout, sans facilités anachroniques (il est facile de tomber dans des erreurs de perspective et des jugements faciles, à 90 ou 120 ans de distance).

Les organisateurs ont réalisé un tour de force, compte tenu de la difficulté du sujet. Gageons que les visiteurs, nombreux, sauront profiter de cette formidable occasion de réfléchir à notre rapport à la différence, hier et aujourd'hui.

Un seul regret: la très faible mention de l'élément religieux, qui constitue pourtant une variable culturelle incontournable à la charnière du XIXe et du XXe siècle. Quel dommage de n'avoir pas fouillé davantage du côté des archives, très nombreuses, des missions chrétiennes? Ou de la presse confessionnelle hexagonale?

Dans les redéfinitions contemporaines de l'altérité, particulièrement avant la fin du XXe siècle, le religieux est incontournable. Hélas, en-dehors de rares mentions (dont l'histoire d'Ota Benga, ce qui explique que je l'aie choisie pour introduire cette note), le rôle des clergés et regards religieux est absent.

 

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Ce qui renvoie à un problème plus général dans la muséographie française: à l'inverse de nos voisins suisses, allemands, britanniques, le religieux est encore trop souvent minoré en tant qu'élément explicatif, comme si ce n'était pas être tout à fait laïque que de respecter la vérité des faits, lorsque ces derniers font intervenir la religion.

Ou bien on met le religieux "sous cloche", dans une approche souvent confessionnelle (cela donne alors une expo SUR tel élément religieux), ou bien on l'oublie, ou on lui donne un strapontin (comme dans cette expo, ou à la Cité nationale de l'immigration, où la religion est (pour l'instant?) moins évoquée que le sport, alors qu'elle joue un rôle pour le moins aussi important dans l'enracinement des migrants en France!!).

Commentaires

  • Bonjour,

    Concernant les "phénomènes" humains, le magazine terrain a sorti un numéro passionnant sur "les effets spéciaux et artifices", dont le propos déborde largement la simple problématique technique, et discute, et explique, si l'on peut dire, ces débordements, par les troubles qui étaient apparus, au 19ème siècle, sur les notions de réalité, d'expérience, d'humain, etc. Troubles qui formeront notre propre conception des choses, aujoutd'hui... et aussi votre métier de chercheur :-)

    La discipline sociologique est, malheureusement, passée par les errements que vous dénoncez, à juste titre. (à juste titre la dénonciation ; pour ce qui est des errements, c'est plus difficile).

    Voir par exemple "Les sirènes de l'expérience" (sirène, au sens de la personne, dont on se posait la question à l'époque de savoir si elles existaient vraiment) : http://terrain.revues.org/4005 ; tout le numéro est complètement passionnant de toutes façons.

    À ce que j'ai compris, les pygmées, comme les femmes à barbe, comme les sirènes, et tant d'autres, entraient malheureusement dans ce champ d'expériences, et notamment la notion d'expérience personnelle, notion inventée à cette époque, et qui se concrétisait en particulier par les zoos, pour que chacun puisse mieux voir par lui même, avec sa propre spécificité. Il me semble que cette notion donne encore aujourd'hui les "expériences personnelles" des évangéliques - mais pas sur le même sujet, c'est vrai.

    Cela donnera aussi notre conception actuelle de la démocratie et de la... laïcité. L'élaboration de ces conceptions n'a pas été qu'un champ de roses, elle ne vient pas uniquement des "lumières".

    Quand aux religieux, ils étaient très nombreux, à l'époque, à visiter des marchés aux esclaves pour leurs emplettes, dans le sud des états unis, avec la bénédiction biblique de tous les Pasteurs voulus.

    D'autres religieux, effectivement, s'opposaient à ces pratiques. Ceux là, vous en parlez. Ne les faites pas entrer au musée trop vite, et surtout pas le musée de l'Édification des Foules Admiratives.

    Cordialement.

  • Juste une remarque en passant: si vous prenez la peine de bien lire "Dieu XXL, évangéliques et fondamentalistes du Sud", vous verrez que je parle abondamment AUSSI des pasteurs qui défendaient l'esclavage.
    Que ce soit aux Etats-Unis ou au Brésil (qui a aboli l'esclavage en 1888, soit un quart de siècle après les Etats-Unis, ce qu'on oublie souvent), le combat pour l'abolition s'est heurté, c'est vrai, à des résistances religieuses, et il faut le rappeler, et réfléchir là-dessus, c'est important.

    Mais il reste qu'en dépit d'un conformisme social persistant et d'une tendance à favoriser les puissants, le christianisme du XIXe siècle a tout de même, pris dans son ensemble, davantage poussé pour l'abolition de l'esclavage que pour son maintien. Ceci n'est pas de l'apologétique, c'est une réalité historique.

    Sans la variable chrétienne, on peut faire l'hypothèse d'un maintien PLUS LONG de l'esclavage. Relisez les volumes de "l'Histoire générale du christianisme" consacrés au premier millénaire de l'histoire chrétienne, et vous verrez qu'en Europe, les terres "chrétiennes" ont fait reculer plus vite l'esclavage qu'ailleurs.

    Sans doute faut-il y voir un reflet, non pas d'un interdit biblique sur l'esclavage (il n'y en a pas), mais d'une anthropologie chrétienne fondamentalement égalitaire, portée par une figure fondatrice (Jésus-Christ) qui avait, d'après les textes, une très agaçante propension à mettre en avant les intouchables, hors castes, samaritains, publicains et rappeurs de l'époque, que d'aucuns auraient bien voulu mettre aux fers.

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